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La politisation des experts des organes de traités

SECTION II. AMBIGUÏTÉS DES ANTAGONISMES INSTITUTIONNELS

B. L A POLITISATION RESULTANT DES ACTEURS NON GOUVERNEMENTAU

1. La politisation des experts des organes de traités

Les procédures spéciales ont la réputation d’être des mécanismes très indépendants. Cependant, certains interlocuteurs ont laissé entendre qu’ils ne le sont pas forcément. Un délégué gouvernemental déclare ainsi : « Les procédures spéciales sont politisées car le HCDH influence leur travail. Ils sont financés par des contribuables qui imposent un agenda. Les titulaires de mandat ont aussi des agendas personnels. Les pays qui les financent leur demandent des contreparties. » Lors des entretiens, la question de l’indépendance des procédures spéciales vis-à-vis des ONG a également été évoquée. Certains titulaires de mandat auraient des liens avec des ONG nationales et seraient influencés par ces dernières, ce qui poserait un problème par rapport à leur indépendance, notamment si ces ONG sont financées par des États.

Dans quelle mesure le manque d’indépendance des procédures spéciales est-il avéré ou relève-t-il de la mauvaise foi ? Selon nous, on ne peut nier que la plupart de ces experts sont indépendants. Nous pensons que leur statut apporte suffisamment de garantie d’indépendance, dans la mesure où ils ne sont pas soumis aux États et qu’ils se prononcent en leur nom propre. Nous partageons ainsi l’avis exprimé par l’un des interlocuteurs qui affirme que « les procédures spéciales restent les mécanismes les plus indépendants ».

En revanche, la politisation des experts membres des organes de traités nous semble plus problématique, bien qu’ils ne soient liés à aucun organe intergouvernemental de l’ONU. Si, comme l’affirme le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, à priori «la nature normative et la qualité d’expert du système des organes de traités le protègent de la politisation433», le manque d’indépendance et d’impartialité de certains experts au sein des organes de traités reste un problème. En effet, des membres cumulent parfois les fonctions d’expert et de délégué gouvernemental. À titre d’exemple, un ambassadeur, ancien Vice-Ministre des affaires étrangères du Bélarus, a siégé au Comité des droits économiques, sociaux et culturels434. Cette politisation est mise en évidence par Michael K. Addo qui indique que « some “elected experts” tend to be “known” (often very well) to the governments that nominated them. States have been known to nominate serving government ministers (including serving Ministers for Foreign Affairs) whose elections have passed without objection. It is fairly common practice for states to nominate high level diplomats or government advisors435. » Selon u n rapport soumis en 2012 par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme

431

Information disponible sur le site officiel du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme,

http://www.ohchr.org/FR/AboutUs/Pages/HighCommissioner.aspx. 432

Ibid.

433

Rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, A/66/860, 26 juin 2012, op. cit., p. 8.

434

http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/TreatyBodyExternal/Memberships.aspx?MembershipID=150. 435

Michael K. Addo, « Practice of United Nations Human Rights Treaty Bodies in the Reconciliation of Cultural Diversity with Universal Respect for Human Rights », Human Rights Quarterly, vol. 32, n° 3, 2010, p. 601-664, p. 663.

à la 66e

session de l’Assemblée générale, 18 % des membres des organes de traités sont des diplomates ou des représentants gouvernementaux et 6 % sont des diplomates ou des représentants gouvernementaux à la retraite436.

L’élection de membres gouvernementaux au sein des organes de traités est préoccupante, car ces experts peuvent servir de relais aux positions gouvernementales. En effet, les positions des différents groupes régionaux ou des pays dont ces experts sont originaires transparaissent parfois dans les discussions et les observations finales des comités. Ces experts ont d’autant plus intérêt à défendre les positions et la ligne officielle de leur gouvernement qu’ils risquent de perdre leur poste au niveau national.

On perçoit également une certaine politisation dans le choix et l'examen des pays par les experts des comités. En pratique, pour chaque pays dont le rapport périodique doit être considéré, on désigne un expert qui fera office de rapporteur. Ce qui signifie que cet expert sera chargé de préparer les questions à poser au gouvernement et les observations finales concernant ce pays, lesquelles seront ensuite débattues entre les membres du Comité avant leur adoption finale. Il arrive que des experts réputés pour leur sévérité à l’égard de certains pays montrent plus de complaisance dans les questions qu'ils posent et les observations finales qu'ils rédigent, lorsqu’il s’agira d’un autre pays.

En outre, la politisation des organes de traités est susceptible de poser un problème pour les victimes. En effet, les Comités peuvent organiser des sessions privées avec les ONG avant le dialogue avec les autorités qui a lieu en séance publique. Au cours de ces sessions avec les ONG, les noms de victimes de violations peuvent être mentionnés, exposant ainsi les victimes. Ce risque existe également pour les plaintes individuelles qui sont adressées aux Comités, dont une divulgation par l’expert attaché à un gouvernement exposerait les victimes à des représailles.

Cette politisation au sein des organes de traités fait dire à un interlocuteur qu’« au final on a un mini Conseil avec les organes de traités ». Elle a d’ailleurs conduit les présidents des différents organes de traités à adopter, lors de leur vingt-quatrième réunion tenue à Addis-Abeba en juin 2012, les « Principes directeurs relatifs à l’indépendance et à l’impartialité des membres des organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme » (Principes directeurs d’Addis-Abeba).

Ces principes directeurs, qui figurent dans le rapport des présidents des organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme et qui ont été soumis à la 67e

session de l’Assemblée générale, le 2 août 2012, constituent des mesures importantes437. C e s p r i n c i p e s e x i g e n t le non-cumul des fonctions, l’indépendance des experts et la transparence pour ce qui est, notamment, des conflits d’intérêts. Les principes directeurs affirment l’inamovibilité des membres durant leur mandat438. En effet, parfois, des experts préoccupés par leur réélection ne veulent pas adopter des positions qui risqueraient de leur faire perdre le soutien des États qui ont proposé leur candidature.

Ainis en vertu de ces principes, «l’indépendance et l’impartialité des membres des organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme sont indispensables à l’exercice de leurs fonctions et responsabilités et requièrent qu’ils siègent à titre personnel. Les membres de ces organes doivent non seulement être indépendants et impartiaux, mais aussi être considérés comme tels par un observateur raisonnable439.» A ce sujet, il est précisé que «l’indépendance et l’impartialité des membres des organes conventionnels se trouvent compromises en cas d’affiliation politique avec l’exécutif d’un État. Les membres des organes conventionnels éviteront par conséquent toutes fonctions ou activités qui sont incompatibles ou peuvent être considérées par un observateur raisonnable comme étant incompatibles avec les obligations et responsabilités d’un expert indépendant dans le cadre d’un instrument international donné440 ». Les membres des Comités doivent par ailleurs prendre «l’engagement de

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Rapport de la Haut-Commissaire aux Nations Unies aux droits de l’homme, « Réforme de l’Organisation des Nations Unies : mesures et propositions », document A/66/860, 26 juin 2012, p. 83 et 84. Disponible sur

http://www.ohchr. org/EN/HRBodies/HRTD/Pages/TBStrengthening.aspx. 437

Rapport de l’Assemblée générale, « Rapport des présidents des organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme », A/67/222, 2 août 2012, annexe I, « Principes directeurs relatifs à l’indépendance et à l’impartialité des membres des organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme », par. 2, disponible sur http://daccess- dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N12/449/84/PDF/N1244984.pdf?OpenElement. 438 Ibid., par. 5. 439 Ibid., par. 1. 440 Ibid., par. 12.

respecter les principes d’indépendance et d’impartialité lors de leur déclaration solennelle dans le cadre de l’instrument international concerné441 ».

S’agissant des conflits d’intérêts, le texte souligne que «de nombreux motifs peuvent donner lieu à un conflit d’intérêts, réel ou perçu, et donc à la mise en doute du respect des prescriptions d’indépendance et d’impartialité, en ce qui concerne notamment la nationalité, le lieu de résidence, l’emploi actuel ou antérieur, l’appartenance ou l’affiliation à une organisation ou les relations familiales et sociales du membre. En outre, il peut y avoir conflit d’intérêts du fait de l’intérêt que peut avoir un État dont le membre est ressortissant ou résident442.» Il rappelle que «les membres ne peuvent recevoir d’instructions ni faire l’objet d’influences ou de pressions d’aucune sorte de la part de l’État dont ils sont ressortissants ou de tout autre État ou de ses services et ils ne doivent demander ni accepter aucune instruction de quiconque concernant l’exercice de leurs fonctions. En conséquence, les membres ne doivent rendre compte qu’à [...] l’organe conventionnel concerné et non à leur État, ni tout autre État443.»

Les Principes directeurs d’Addis-Abeba prennent également en compte le problème des doubles standards et du manque d’impartialité, en affirmant que «les membres éviteront toute action touchant aux activités de leur organe conventionnel qui soit susceptible d’entraîner ou puisse être considérée par un observateur raisonnable comme entraînant un parti pris à l’égard de certains États. En particulier, les membres s’abstiendront de toute action susceptible de donner l’impression que leur État ou tout autre État reçoit un traitement plus favorable ou moins favorable que celui accordé aux autres États444.»

Les principes directeurs «recommandent vivement l’adoption rapide [des principes] par les différents organes conventionnels, notamment en les incorporant de manière appropriée dans leurs règles de procédure445». Cependant la mise en pratique de ces principes reste encore un défi. Les recommandations qui y figurent sont difficiles à faire appliquer à tous les comitéschaque comité étant attaché à son « autonomie ». De plus dans la pratique, l’autorité des présidents de la réunion des organes de traités n’est pas acceptée par tous les comités446. Leurs décisions ne sont pas toujours suivies d’effet même si les Principes directeurs d’Addis-Abeba concèdent un rôle clé au Président des organes de traités. Ils indiquent en effet qu’«il est du devoir du Président de l’organe conventionnel concerné de rappeler, le cas échéant, aux différents membres la teneur des présents principes directeurs447».

Ainsi, certains comités ont adopté les principes directeurs, d’autres non, et certains les ont amendés. En somme, pour ce qui est de l’application des principes, chaque comité procède comme il l’entend, ce qui risque d’engendrer un problème d’harmonisation et de cohérence. Cela étant, l’adoption de ces principes est un geste fort et symbolique au sein d’un système onusien enclin à une forte politisation, dont les ONG ne sont pas exemptes.

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