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Le rôle des réseaux sociaux dans le questionnement lié au rapport au corps et à l’estime de soi

B. L’influence des réseaux sociaux sur la construction identitaire : naissance d’une vie virtuelle

3) Le rôle des réseaux sociaux dans le questionnement lié au rapport au corps et à l’estime de soi

a) Un accès plus libre à l’information

Les changements pubertaires s’accompagnent d’une redéfinition des rapports que l’individu entretient avec son propre corps et d’une affirmation de son identité dans plusieurs registres (émotionnel, social, scolaire, projectif, …). Il y a à la fois une redéfinition de soi et de son identité personnelle qui permet d’atteindre le stade d’une identité achevée ; l’individu a alors un sentiment d’unité, de cohérence et de bonne connaissance de ses points forts et ses points faibles.

Dans le même temps, les regards et les comportements de l’entourage se modifient aussi bien de la part des adultes que des pairs. Ils entrainent une reconstruction de l’image corporelle et font émerger un certain nombre d’interrogations liées à un engagement progressif dans l’intimité sexuelle et l’acquisition de stratégies d’approche de l’autre qui se matérialisent entre autres par des questions sur la sexualité.

67 Grégoire Zimmermann et al., « Conduites à risque à l’adolescence : manifestations typiques de construction

de l’identité ? », Enfance 2017/2 (N° 2), P247.

Cette exploration est désormais facilitée par l’accès à l’information et à la communication en ligne qui permet l’accès à des ressources, des conseils ou des discussions.

Concernant l’exploration de l’orientation sexuelle, des travaux ont montré qu’elle est favorisée par l’accessibilité de l’information, par l’anonymat des utilisateurs et par l’asynchronie des interactions (Valkenburg Patti & Peter, 2011)69. Autrefois, la socialisation

des jeunes était plus verticale qu’elle ne l’est aujourd’hui et essentiellement menée par les adultes de l’entourage. Avec la transformation de la société, la socialisation est devenue davantage horizontale, par les pairs. Les informations provenaient essentiellement de l’entourage proche ou du cercle d’amis et les échanges sur des sujets aussi sensibles que l’orientation sexuelle étaient relativement tabous. Comme la télévision ou la radio ont permis, dans les années 80 et 90 de s’informer ou d’échanger sur certaines problématiques liées à la sexualité (contraception, maladies sexuellement transmissibles, vie sexuelle, …) offrant à leurs auditeurs la possibilité d’appeler et de dialoguer avec des professionnels ou d’autres auditeurs, les réseaux sociaux favorisent aujourd’hui les échanges sur des sujets parfois encore difficiles à aborder dans le cercle familial ou amical.

Si les nouveaux médias permettent un accès plus facile à l’information, ils induisent également des modifications dans ce qu’on nomme les standards, ces images idéales véhiculées et qui servent souvent d’étalon aux adolescents.

b) Un changement dans la perception

La perception du corps joue un rôle important dans la construction de l’estime de soi à l’adolescence.

C’est par son apparence, ses attributs corporels et ses compétences physiques que l’individu étaye son soi physique et renforce son estime de soi.

Une étude (Fourchard & Courtinat-Camps, 2013)70 sur l’estime de soi met en évidence le rôle

de l’estime de soi dans la construction identitaire à l’adolescence et le fait que le niveau d’estime de soi varie selon le genre. « La tendance générale qu’ont les filles à se sous-estimer

s’explique en grande partie par la difficulté d’assumer une apparence physique souvent en décalage avec les images stéréotypées des femmes véhiculées par les médias […] ».

69 Valkenburg Patti M. et Peter . (2011), Online communication among adolescents : an integrated model of its

attraction, opportunities and risks”, Journal of adolescents Health, p 121-127

70 Fourchard, F., & Courtinat-Camps, A. (2013). L’estime de soi globale et physique à

l’adolescence. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 61(6), 333-339. https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.04.005

En cela les réponses stéréotypées apportées par les médias numériques influencent nécessairement la perception du corps chez l’adolescent. Si de nombreuses célébrités, chanteuses, actrices, ont désormais un compte sur un ou plusieurs réseaux sociaux, elles étaient déjà des vecteurs d’images symbolisées dans les médias traditionnels. En revanche, une évolution relativement récente a vu apparaître le rôle d’influenceurs/influenceuses bouleversant le paysage médiatique habituel. Les influenceurs, le plus souvent rémunérés ou sponsorisés, par de grandes marques, donnent le ton des dernières tendances, du dernier look à la mode, de l’idéal masculin ou féminin. L’influenceuse se singularise par son absence de singularité ; elle est cette « Madame tout le monde » idéalisée, cette « bonne copine » dénuée de toute légitimité scientifique ou professionnelle, qui s’arroge le droit de « donner le La » des bons et mauvais comportements, simplement en parlant de soi et donnant l’impression de représenter le nouveau standard. Elle doit son influence au nombre de « likes » qu’elle reçoit, ce qui conduit à un nouveau type de légitimité reposant sur l’audience. Ce changement de paradigme en plus de modifier et de multiplier des standards d’apparence physique, de modes de vie et de modes de consommation a également entraîné de nouvelles façons de se mettre en scène, selon la communauté à laquelle l’adolescent souhaite ou non être associé.

c) Un changement dans l’exposition

Mercklé71 observe que l’arrivée de Facebook a été déterminante dans le retour des hexis

corporels – auparavant neutralisés par l’invisibilité des corps en ligne et le recours aux avatars.

Désormais, les expositions de soi, par soi-même ou par les autres, de photos et vidéos, reposent les questions de la pudeur et renchérissent les hexis textuels (émoticônes) déjà très importants.

L’émergence du « moi » de l’individu, dans les sociétés modernes, se réalise également sur les réseaux sociaux.

« Les réseaux sociaux favorisent un environnement relationnel dense, où les interactions sont

nombreuses. Mais ces connections multiples n’encouragent pas tant l’attention à l’Autre que le souci du « moi » par rapport aux autres ». Il s’agit moins de reconnaître autrui que de se faire reconnaître par autrui ». Julia de Funès72, philosophe, fait un parallèle intéressant entre

le like et le lac de Narcisse. Les jeunes cherchent à compenser leur vulnérabilité durant la période adolescente par une image forte sur les réseaux sociaux. « Narcisse demeure attentif

71 Mercklé, P. (2016). La sociologie des réseaux sociaux. Paris: La Découverte. P 90

72 de Funès, J. (2019). Le développement (im)personnel: Le succès d’une imposture (Hors collection) (French

au nombre de like sur ses posts, et à la vitrine de lui-même qu’il compose avec soin sur les réseaux sociaux. L’écran a remplacé le lac, mais Narcisse 2.0 préfère encore et toujours l’image idéale qu’il renvoie de lui-même à la réalité fragile de ce qu’il est » (De Funès, 2019).

Alors même que, publiant sur internet, les individus estiment que leurs publications seront lues par des gens ayant un intérêt pour le sujet, ils n’ont pas toujours réellement conscience du caractère public de leurs écrits (Herault & Molinier, 2009)73. L’une des caractéristiques des

contributions en ligne est qu’elles peuvent être reproduites de différentes manières (par la fonction « copier-coller », par une copie d’écran, …). Lorsqu’une personne publie sur un groupe des informations privées qui peuvent être liées à son état de santé, sa sexualité, son mode de vie ou sa vie professionnelle, elle ne réalise pas toujours que les différents modes de téléchargement permettent facilement de s’approprier, de dupliquer, et éventuellement de rediffuser les données produites par d’autres, et ce même à leur insu ou contre leur volonté. Nous aborderons ci-après les effets dévastateurs du cyber-harcèlement qui démontrent à eux seuls les dangers d’une utilisation non maîtrisée de ces nouveaux outils.

Cependant, une bonne gestion des paramètres de confidentialité offre de nouvelles opportunités de bénéficier de la liberté offerte par les réseaux sociaux pour explorer son image de soi au travers l’expression de ses identités.