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I. CADRE THÉORIQUE

4. Le rôle de la MdT dans le traitement des structures syntaxiques complexes

En plus d’avoir établi une échelle de complexité syntaxique, Jakubowicz (2011) fait l’hypothèse que le développement de la syntaxe serait en fait lié aux capacités de MdT. Dans ses travaux, elle développe l’idée que la MdT serait particulièrement nécessaire au traitement des phrases complexes, dans la mesure où, il faut retenir de l’information tout en réajustant ses connaissances au fur et à mesure de l’avancée dans la phrase. Par exemple, pour comprendre cette phrase relative objet « montre-moi le chien que le monsieur promène », il faut tout d’abord traiter l’objet (« le chien »), le retenir en mémoire pendant qu’on traite les autres éléments de la phrase, puis enfin, rassembler toutes les informations en reliant correctement le verbe à chacun de ses arguments (Finney, Montgomery, Gillam, & Evans, 2014). On peut aussi comprendre l’intervention de la MdT dans la production du pronom clitique objet à la 3ème personne car pour produire correctement le pronom il faut garder en mémoire les propriétés grammaticales du référent (le genre, le nombre…), tout en réalisant un mouvement syntaxique pour placer le pronom avant le verbe.

Toutes ses activités de traitement et de mise à jour perpétuelle impliquées dans le traitement des phrases complexes causent une charge cognitive importante. C’est pourquoi, les jeunes enfants typiques et les enfants avec un développement atypique commencent par traiter des phrases simples et courtes afin d’éviter la surcharge cognitive. Puis, avec la maturité, les capacités de MdT augmentent et permettent à l’enfant typique de réaliser davantage d’opérations syntaxiques en parallèle pour comprendre et produire les structures du français de plus en plus complexes (Delage & Frauenfelder, 2012 ; Delage et al., soumis). Cependant, chez l’enfant atypique, ce développement peut être perturbé.

Plusieurs auteurs se sont donc intéressés plus particulièrement à cette question et ont pu justement relever des liens entre la MdT et la syntaxe dans plusieurs populations – à la fois chez les enfants typiques et chez les enfants atypiques, avec notamment un trouble développemental du langage (TDL).

4.1 Relation entre la MdT et la syntaxe chez les enfants avec un développement typique (DT)

La littérature scientifique a mis en évidence un lien entre la MdT et la syntaxe chez les enfants DT. En effet, déjà chez les très jeunes enfants, les études ont montré un effet positif de la répétition de non-mots sur la répétition de phrases complexes (Willis & Gathercole, 2001) et sur la longueur et la complexité syntaxique du langage spontané des enfants (Adams &

Gathercole, 2000).

Ce lien continue à se maintenir au cours du développement typique, comme l’ont montré Finney et al. (2014) dans leur étude sur des enfants entre 7 et 11 ans (N = 54), chez qui, ils ont mis en évidence un lien positif entre leurs performances dans une tâche de listening span et une tâche syntaxique de compréhension de phrases relatives objet. Montgomery, Magimairaj et O’Malley (2008) ont également démontré la présence d’une corrélation entre le traitement des structures complexes et la MdT chez des enfants entre 6 et 12 ans (N = 52). Cependant, ces derniers sont allés plus loin et ont cherché à comparer les valeurs corrélationnelles des épreuves d’empans simples sur la compréhension de phrases complexes par rapport aux épreuves d’empans complexes. Les résultats ont montré qu’il y avait seulement un lien entre les épreuves d’empans complexes et la compréhension de phrases complexes mais pas avec les épreuves d’empans simples. De plus, des analyses de régression ont révélé que 30% de la variance de la compréhension syntaxique pouvait s’expliquer par les empans complexes. Delage et Frauenfelder (2012) ont montré quant à eux, chez des enfants francophones entre 6 et 12 ans, que les épreuves d’empans simples et d’empans complexes corrélaient avec plusieurs mesures évaluant la complexité syntaxique (répétition de phrases complexes, compréhension de phrases complexes, longueur moyenne des énoncés, taux de subordination, taux d’enchâssement profond). En plus des liens corrélationnels retrouvés entre les capacités en MdT et en syntaxe, cette étude a aussi soulevé l’existence d’un fort lien prédictif entre ces deux composants. En effet, ces auteurs ont trouvé que les empans complexes pouvaient prédire 49% de la variance des performances en compréhension de phrases complexes, 30% de la variance de la longueur moyenne des énoncés (LME), 16% de la variance du taux de subordination et 18% de la variance du taux d’enchâssements profonds. Concernant les empans simples, ils pouvaient expliquer 50% de la variance des scores en répétition de phrases complexes.

Ces nombreuses études permettent donc d’établir une relation étroite entre la MdT et la syntaxe complexe chez les enfants DT. Non seulement, elles mettent en évidence des liens

corrélationnels significatifs entre ces deux domaines mais elles démontrent aussi que la MdT et plus particulièrement les tâches d’empans complexes font partie des prédicteurs les plus importants pour expliquer les compétences syntaxiques des enfants typiques.

4.2. Relation entre la MdT et la syntaxe chez les enfants avec un trouble développemental du langage (TDL)

Du fait de la relation entre les compétences en MdT et en syntaxe chez les enfants typiques, d’autres travaux (Montgomery & Evans, 2009 ; Durrleman & Delage, 2016) ont cherché à savoir si ce lien existait aussi au sein des populations atypiques, comme chez les enfants avec un TDL. Pour ce faire, Montgomery et Evans (2009) ont évalué les performances d’enfants d’âge scolaire avec un TDL (N = 24) en compréhension de plusieurs types de phrases (simples, passives, pronominales, réfléchies). Parallèlement, leurs compétences en MdT ont été mesurées par une tâche d’empans simples (répétition de non-mots) et par une tâche d’empans complexes (empan d’écoute). Les résultats ont montré que les empans simples corrélaient seulement avec la compréhension de phrases simples mais pas avec la compréhension de phrases complexes et que les empans complexes corrélaient avec les phrases complexes (passives, pronominales et réfléchies).

Durrleman et Delage (2016) ont aussi remarqué une relation entre la MdT et l’utilisation d’une autre structure complexe – le pronom clitique à la 3ème personne du singulier. Plus les enfants avec un TDL (âgés entre 5 et 16 ans ; N = 22) étaient performants dans la tâche d’empan de chiffres envers, plus ils produisaient des pronoms clitiques. Pour appuyer ce lien, une autre étude (Riches et al., 2010) a aussi montré que la répétition et la compréhension de phrases complexes étaient corrélées avec les performances en MdT (moyenne d’âge 15 ;3 ;

N = 14).

Enfin l’étude de Delage et Frauenfelder (2019) a su révéler, en plus, un lien prédictif entre ces différentes tâches syntaxiques et la MdT puisqu’ils ont trouvé que les empans simples, les empans complexes et l’âge permettaient d’expliquer ensemble 50% de la variance des performances en compréhension de phrases complexes et 58% des résultats en répétition de phrases complexes.

Ainsi, la recherche assure, autant chez les enfants DT, que chez les enfants avec un TDL la présence d’un lien corrélationnel mais aussi prédictif entre les tâches de MdT et diverses

tâches syntaxiques. Il semble donc probable que ce lien se retrouve aussi dans d’autres populations atypiques, comme notamment chez les enfants avec un TSA.

4.3. Relation entre la MdT et syntaxe chez les enfants avec un TSA

À l’heure actuelle, peu d’études ont encore été réalisées afin d’explorer la présence d’un lien entre la MdT et la syntaxe chez les enfants avec un TSA. Cependant nous nous attendons à retrouver ce lien aussi dans cette population pour plusieurs raisons.

Nous pouvons observer que les enfants avec un TDL partagent un profil cognitif très similaire aux enfants avec un TSA.

En ce qui concerne leur profil langagier, ces populations semblent avoir d’importantes difficultés en morpho-syntaxe et plus particulièrement avec les structures morpho-syntaxiques complexes. Riches et al., (2010) ont trouvé que les adolescents TDL et TSA étaient en difficulté pour répéter des phrases relatives de complexité variable. Cependant, les enfants avec un TDL sont apparus encore plus sensibles à la complexité des phrases que les TSA et ont davantage tendance à éviter les structures complexes en simplifiant les répétitions de phrases relatives objet en phrases relatives sujet. Par ailleurs, les enfants avec un TSA ou un TDL étaient tout autant en difficulté pour la production de pronom clitique objet. Par contre, Durrleman et Delage (2016) ont révélé différents types d’erreurs entre les enfants TSA en comparaison avec les enfants TDL. En effet, l’erreur la plus fréquente chez les enfants avec un TSA était l’omission du pronom clitique alors que chez les TDL, le groupe nominal était souvent produit à la place du pronom clitique.

Enfin, d’autres auteurs (Zebib et al., 2013) ont trouvé que, malgré des difficultés au sein des deux populations pour produire des questions, cela était encore plus difficile pour les TSA que les TDL (TSA = 60,6% de réponses correctes vs TDL = 87,9%). Pour expliquer ce résultat, les auteurs émettent l’hypothèse de l’impact du déficit pragmatique, caractéristique des enfants avec TSA. De plus, même si les deux groupes tentent d’éviter les structures complexes et préfèrent les questions de type in-situ, les auteurs remarquent que les enfants avec un TDL le font encore davantage que les enfants avec un TSA (TSA = 27% de questions in-situ vs TDL = 54,9% de questions in-situ).

En ce qui concerne leur profil en MdT, plusieurs études ont montré qu’il était déficitaire chez les enfants avec un TSA et un TDL. Cependant, il semble que ce déficit soit plus fort chez les enfants avec un TDL. Durrleman et Delage (2016) ont ainsi trouvé des performances

déficitaires chez les TSA et les TDL aux épreuves de répétition de non-mots, d’empans de chiffres endroits et d’empans de chiffres envers. Par contre, elles relèvent un déficit plus important chez les TDL par rapport aux TSA à la tâche de répétition de non-mots. Alloway, Rajendran et Archibald (2009) ont observé le même pourcentage d’enfants avec TDL ou avec un TSA ayant un déficit sur les tâches d’empans simples mais ils ont remarqué une atteinte plus généralisée dans la population des enfants avec un TDL (80%) par rapport à la population d’enfants avec un TSA (30%) sur les tâches d’empans complexes.

Même si on relève quelques différences entre les TSA et les TDL on peut voir qu’ils partagent tous deux des déficits en MdT et en syntaxe. Or, comme nous l’avons vu plus haut, ces deux déficits ont pu être reliés chez les TDL, il apparaît donc probable qu’ils le soient aussi chez les TSA.

Les études qui ont été réalisées jusqu’à présent confirment cette idée. Schuh et Eigsti (2012) notamment, ont révélé par une analyse de régression que la MdT parvenait à expliquer 60% des performances langagières des enfants avec un TSA. Les auteurs suggèrent ainsi une implication importante de la MdT sur le langage et cela d’autant plus que les structures sont complexes. Durrleman et Delage (2016) ont remarqué une relation avec la production du pronom clitique à la 3ème personne et la MdT. Elles ont pu montrer, dans un groupe d’enfants avec un TSA, une corrélation entre la production du pronom clitique objet et la tâche de répétition de non mots, d’empans de chiffres endroits et d’empans de chiffres envers. L’étude de Riches et al. (2010) a aussi permis de tisser un lien corrélationnel, chez des adolescents avec un TSA entre une tâche de répétition de phrases relatives objets et plusieurs tâches de MdT comme la répétition de pseudo-mots, l’empan de chiffres endroits et l’empan de chiffres envers.

Ainsi, au vu des nombreuses études qui supposent un lien entre la MdT et la syntaxe à la fois dans une population typique et atypique et puisqu’un déficit en MdT apparaît être en partie responsable des limitations syntaxiques aussi chez les enfants avec un TSA, il semble donc possible qu’en entrainant la MdT des enfants avec un TSA on puisse réduire leurs déficits syntaxiques. Nous allons donc maintenant nous intéresser aux différents programmes d’entrainement qui existent aujourd’hui et à leurs efficacités.