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I. CADRE THÉORIQUE

2. La mémoire de travail (MdT) chez les enfants avec un TSA

Plusieurs études ont montré un déficit en MdT chez les enfants avec un TSA (Shuh &

Eigsti, 2012 ; Durrleman & Delage, 2016 ; Wang et al., 2017 ; Habib et al., 2019). Cependant, avant d’aborder ce sujet plus en détail, il nous paraît important de définir la MdT et de présenter les modèles sur lesquels s’appuie ce mémoire.

2.1. La MdT et ses modèles

La MdT est un système qui sert à stocker temporairement et à manipuler conjointement les informations nécessaires pour réaliser différentes tâches cognitives complexes telles qu’impliquées dans le raisonnement, l’apprentissage et la compréhension du langage (Baddeley, 2003 ; Barrouillet & Camos, 2012). En 1974, Baddeley et Hitch sont parmi les premiers à modéliser le fonctionnement de la MdT. Bien qu’ils soient encore aujourd’hui souvent cités, d’autres modèles ont depuis été développés. Ces nouveaux modèles (Majerus, 2006, 2008 ; Barrouillet & Camos, 2007, 2012) se différencient notamment par leur volonté d’établir des relations plus étroites entre la MdT et d’autres fonctions exécutives, comme l’attention.

2.1.1. Le modèle de la MdT de Baddeley et Hitch (1974)

Bien que datant un peu, le modèle de Baddeley et Hitch (1974) apparaît aujourd’hui encore comme un modèle très important en psycholinguistique pour caractériser le fonctionnement de la MdT. Dans sa forme initiale, ce modèle présente la MdT avec trois composantes : l’administrateur central et deux système esclaves, le calepin visuo-spatial et la boucle phonologique. La boucle phonologique stocke l’information verbale. Cela est possible grâce au système de stockage phonologique qui retient l’information verbale pendant quelques secondes et au système de récapitulation articulatoire qui s’occupe de rafraichir l’information par un processus de subvocalisation (Baddeley, 2003). Pour évaluer cette composante, on utilise les tâches d’empans simples sur un matériel verbal, dans lesquelles il est demandé de maintenir active une information verbale (Barouillet & Camos, 2007). Les tâches d’empans de chiffres endroits ou d’empans de mots et de non-mots, par exemple, sont fréquemment utilisées. Le calepin visuo-spatial est l’un des autres sous-systèmes de la MdT. Il stocke les informations

visuelles et spatiales (Baddeley, 2003). Il s’évalue aussi par l’intermédiaire de tâches d’empans simples mais sur du matériel non verbal. Toutefois, ce sous-système ne sera pas plus discuté dans le cadre de ce mémoire. L’administrateur central est un système de contrôle attentionnel.

Il contrôle les deux sous-systèmes esclaves présentés ci-dessus – la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial. Il régule les ressources attentionnelles et interagit avec la mémoire à long terme (Baddeley, 2003). Les capacités de l’administrateur central sont évaluées par des tâches d’empans complexes (Barrouillet & Camos, 2007). Les tâches d’empans complexes diffèrent des tâches d’empans simples dans la mesure où elles demandent de stocker une information tout en réalisant une autre activité concurrente en parallèle. Ainsi, par exemple, on utilise souvent les tâches du type counting span et de listening span pour évaluer cette composante.

En 2000, Baddeley modifie le modèle en y ajoutant une quatrième composante : le buffer épisodique ou mémoire tampon. Il assure le stockage temporaire et l’intégration d’informations multimodales avant que celles-ci soient encodées en MLT (mémoire à long terme). En liaison avec la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial, le buffer épisodique reste néanmoins sous le contrôle de l’administrateur central qui vient aussi y récupérer des informations (Baddeley, 2000 ; Barrouillet & Camos, 2007) (voir Figure 1).

Figure 1. Modèle de la MdT à composants multiples (Baddeley, 2003).

Administrateur central

Mémoire à long terme

Boucle phonologique Buffer

épisodique Calepin

visuo-spatial

2.1.2. Modèle théorique de Majerus (2006, 2008)

En 2006, Majerus, Poncelet, Greffe et Van der Linden, proposent une distinction intéressante au sein de la MdT verbale entre la mémoire « item » et la mémoire « sérielle ». La mémoire « item » fait partie d’un système langagier. Cette mémoire s’occupe de retenir l’information phonologique, sous-lexicale et sémantique. Alors que, la mémoire sérielle fait partie d’un autre système spécialisé distinct qui gère le traitement et le stockage de l’ordre séquentiel des stimuli. Ces deux systèmes sont chapeautés par un troisième système, le système de focalisation attentionnelle dont le but est d’allouer les ressources attentionnelles au système langagier et au système de traitement de l’ordre sériel (Majerus, 2008) (voir Figure 2)

Ainsi, afin d’isoler l’implication de la mémoire item et de la mémoire sérielle et d’évaluer plus spécifiquement cette dernière, les auteurs ont créé une tâche dans laquelle le contenu était donné à l’enfant sous la forme d’image d’animaux. Il lui était ensuite demandé de retrouver l’ordre de présentation de ces images. Cette tâche sera décrite de manière plus détaillée dans la méthodologie (voir « course des animaux », partie méthodologie).

Figure 2. Modèle de la MdT de Majerus (Majerus, 2008).

Contrôle attentionnel/

exécutif

Représentations lexico-sémantiques

(langage) Représentations

phonologiques (langage)

Traitement de l’ordre sériel

2.1.3. The Time Based Ressource Sharing Model (Barrouillet et Camos, 2007)

Depuis le modèle de Baddeley et Hitch (1974), la recherche a connu une évolution particulièrement importante surtout en ce qui concerne la place accordée à l’attention dans la MdT. Bien que déjà présente dans le modèle de Baddeley, son importance n’a cessé de croître.

Ainsi, Barrouillet et Camos (2012, 2007) lui accorde un rôle fondamental dans leur modèle TBRS (The Time Based Resource Sharing Model). Selon eux, le traitement et le maintien de l’information en MdT sont deux processus cognitifs qui ont besoin chacun de ressources attentionnelles propres pour qu’ils soient réalisés correctement. Cependant, les ressources attentionnelles sont limitées, par conséquent le focus attentionnel ne peut se porter sur ces deux processus simultanément. Par ailleurs, lorsque le focus attentionnel cible le traitement, il devient totalement indisponible pour maintenir l’information active en mémoire. Ainsi, le focus attentionnel doit continuellement alterner entre le traitement et le stockage de l’information pour éviter que l’information ne disparaisse en mémoire. L’attention et, plus particulièrement l’alternance attentionnelle, apparaissent donc, dans ce modèle, comme un facteur primordial à la MdT.

2.2. Déficit en MdT chez les enfants avec un TSA

Dans la littérature, on retrouve de nombreuses études qui se sont intéressées à la MdT chez les enfants avec un TSA. Ainsi, par exemple, Shuh et Eigsti (2012), relèvent dans un groupe d’enfants âgés de 9 à 17 ans avec un TSA (N = 18) des performances en MdT verbale déficitaires dans une tâche de répétition de pseudo-mots, évaluant les empans simples et dans une tâche d’empan d’écoute (listening recall task), évaluant les empans complexes. Durrleman et Delage (2016) confirment cette atteinte de la MdT verbale sur les deux types d’empans en retrouvant des performances déficitaires chez d’autres enfants avec un TSA, âgés entre 5 et 16 ans (N = 21) sur la tâche de répétition de pseudo-mots et d’empans de chiffres endroits ainsi que dans la tâche d’empans de chiffres envers.

Ces résultats se reflètent dans les conclusions de deux analyses. La première méta-analyse, réalisée par Wang et al., (2017) conclue, sur la base de 29 études, que les individus avec un TSA ont un déficit en MdT, quel que soit leur âge et que ce déficit s’observe à la fois sur les tâches d’empans simples et sur les tâches d’empans complexes. Cependant, ils trouvent que le déficit en MdT verbale est plus important qu’en MdT visuo-spatiale. En 2019 une seconde méta-analyse, portant sur 34 études (Habib et al., 2019) retrouve quant à elle aussi une MdT déficitaire chez les enfants avec un TSA mais tout autant sur le versant verbal que sur le versant visuo-spatial.

Ces deux méta-analyses s’accordent donc sur la présence d’un déficit en MdT verbale chez les enfants avec un TSA, même si elles s’opposent sur la force de l’atteinte de la MdT visuo-spatiale par rapport à la MdT verbale. Dans ce mémoire, cette opposition ne sera pas soulevée car nous nous concentrerons surtout sur le déficit du versant verbal de la MdT.

Nous allons maintenant voir qu’en plus d’un déficit en MdT verbale, nous retrouvons aussi souvent des difficultés syntaxiques chez les enfants avec un TSA.