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CHAPITRE III : L’humour et le printemps égyptien (2011)

3.1. L’Égypte printanière : un état de lieu

3.1.2. Le rôle des médias sociaux dans le soulèvement du 25 janvier 2011

fruit des efforts du gouvernement, en principe « to expand the nation’s information technology capabilities as a tool for socioeconomic development » (El-Tantawy, 2011). Les statistiques de l’Internet marketing research firm Internet World Stats montrent que vers février 2010, « more than 21 % of Egypt’s population of 80 million had access to the Internet, and more than 4.5 million used Facebook » (Internet World Stats, 2011). « Additionally, more than 70 % of the population had a mobile phone subscription » (Arab Republic of Egypt Ministry of Communications and Information Technology, 2010) (El-Tantawy, 2011).

L’accessibilité aux réseaux Internet coïncide avec la création des chaînes de télévision et de journaux privés non étatiques. Ceci a permis une marge importante de liberté d’expression et une ouverture sur une diversité de discours qui va se développer avec le temps :

It could be said that the introduction of satellite television channels and the Internet represented an important shift from the monolithic, state-controlled, and government- owned media pattern to a much more pluralistic and diverse media scene, where many diverse and competing voices representing different political positions and orientations could be heard at the same time, adding to the richness of ongoing political debates and the formation of a wide array of public opinion trends (Khamis, 2011).

Ainsi, un tournant important vers un média plus pluraliste se démarque du discours étatique monolithique et figé, ce qui a permis aux voix d’opposants et d’intellectuels, souvent confinés à des cercles restreints, de se mettre à l’avant-scène (Ben Néfissa, 2008). Plus loin encore, « [l]’expression dans les médias de voix dissidentes et critiques à l’égard du régime a permis de reconfigurer la marge de manœuvre de l’opposition » (Duboc, 2011).

Dans ce nouveau contexte branché, médiatisé et dynamique, on voit apparaître des mouvements de résistance et de contestation, principalement à partir des années 2000. C’est au même moment où on voit naître et émerger les blogues politiques et les médias virtuels en Égypte. Ces derniers sont considérés comme ayant préparé le chemin aux soulèvements de 2011 parce qu’ils ont permis

the wide sharing of an antigovernmental discourse that revealed the former Egyptian regime’s dysfunctions and offenses, such as violations of human rights and limitations on freedom and democratic practice […] as well as encouraging effective action and organization during the revolution itself to rally public support and orchestrate the mass movement against the regime in power (El-Nawawy et Khamis, 2014).

Les deux sont liés et il est « impossible de séparer l’histoire du weblog en Égypte de l’histoire politique contemporaine du pays » (Klaus, dans Battesti et al., 2011 : 961).

Avec les élections législatives de 2005, on verra apparaître l’implication de blogueurs politiques dans l’espace public égyptien, quoique leur intégration dans le champ médiatique a été lente et leur reconnaissance comme source journalistique s'est faite dans la presse d’opposition (Ibid. : 963-967). Ces blogues politiques, rédigés en arabe ou en anglais par des jeunes activistes, « were particularly concerned with politics, and seek to report, document, and challenge both the institutional media and the government. Cyberactivists engaged in political organization, fundraising, and ideological articulation and were increasingly perceived as political actors by the state » (Radsch, 2013:226). Pourtant, leur but demeurait fort simple : « to bring about political change » (Ibid.).

C’est en avril 2008 que la première expérience de mobilisation cyberactiviste se déroule et laisse entendre le poids joué par les réseaux sociaux. Le nom du groupe du « 6 avril » y est pour quelque chose, un groupe composé de jeunes pour un activisme politique et social qui ont pour symbole le signe d’un poing fermé rappelant ainsi l’histoire du socialisme engagé : « April 2008 marked the first Egyptian instigated cyberactivism attempt, in which activists created a Facebook page to join textile workers in Mahalla on a general strike » (El-Tantawy, 2011). Cette grève des travailleurs du textile marque un tournant dans l’utilisation des médias sociaux et fait montre aussi de son efficacité dans la mobilisation pour une action collective et, à la longue, l’émergence d’une « socialisation virtuelle » de jeunes internautes des classes moyennes. Ce noyau de jeunes potentiellement mobilisables s’inscrit

dans la tendance que l’on retrouve dans les mobilisations autour de l’affaire Khalid Sa'id (El-Chazli, 2011; El-Chazli dans Pierret, 2013 : 193).

En juin 2010, un jeune alexandrin d’une vingtaine d’années du quartier Sidi Gaber, Khaled Sa'id, a trouvé la mort après avoir été battu sauvagement par des policiers. La photo du visage déformé et méconnaissable du jeune Khaled diffusée dans les médias et celle de son visage lorsqu’il était vivant et bien portant n’ont laissé personne indifférent sur le Web. Une page Facebook Kolona Khaled Sa'id (Nous sommes tous Khaled Sa'id) a été lancée et suivie par des milliers de personnes en peu de temps. Cette page dont les jeunes administrateurs sont restés anonymes jusqu’à ce jour réussit à mobiliser une jeunesse des classes moyennes et supérieures qui s’identifie à la victime (El-Chazli dans Pierret, 2013:194) et signale même « un engagement plus “romantique” et une entrée en politique d’une nouvelle jeunesse » (Ibid.). Ce fait divers marque aussi « l’événement déclencheur qui amène certains individus à s’intéresser à la “chose publique” » (Ibid. : 194).

Les événements en Tunisie et surtout le départ de Ben Ali vers la fin de 2010 ont motivé toute une jeunesse pour une action collective importante le jour de la police, soit le 25 janvier 2011 et :

[d]ans cette optique, une réunion a lieu le 20 janvier entre représentants des différents groupes de jeunes militants : M6A, jeunes de la campagne de soutien à el-Baradei (JCSB), Jeunes pour la Justice et la Liberté (JJL), Jeunes des Frères musulmans (JFM), jeunes du parti du Front démocratique (PFD) et jeunes activistes libéraux indépendants. L’idée est de se coordonner avec la page Facebook « Nous sommes tous Khalid Sa'id », forte de ses 300 000 membres, pour appeler à une mobilisation importante (Ibid. : 197).

L’évolution des médias sociaux à partir des années 2000 en Égypte était un moyen crucial – comme ailleurs dans le monde – pour changer les dynamiques de mobilisation sociale en introduisant la rapidité et l’interaction qui manquaient aux techniques traditionnelles (El-Tantawy, 2011). Entre autres, les médias sociaux ont donné la chance aux activistes sur place de suivre les événements en Égypte et de s’engager dans les discussions et les groupes d’action (Ibid.). En conséquence, cela a permis un regroupement plus large au niveau du pays et une implication plus dynamique au niveau des discussions et de la mobilisation. À titre d’exemple, la révolution tunisienne était scrutée minute par minute sur les réseaux sociaux; des images et des vidéos étaient partagées et échangées (El-Tantawy, 2011).

Aussi, avant le 25 janvier et dans le cadre de préparatifs, des activistes ont publié des vidéos incitant les gens à participer aux manifestations contre les brutalités policières :

On January 17, 2011, Egyptian female activist and blogger Nawara Negm posted a video message from an Egyptian actress with words of encouragement for Tunisians. Negm also posted information and cell phone numbers, urging Egyptians to send text messages to encourage Tunisians during the protests (El-Tantawy, 2011).

Lors des soulèvements, les médias ont joué un rôle crucial dans la diffusion et l’organisation des manifestations ainsi que le partage des informations utiles sur la circulation et les endroits où la police s’installait. Réalisant le pouvoir des médias sociaux avec ces flux d’images et d’informations, le régime Moubarak a coupé l’Internet et le service des cellulaires partout en Égypte le 28 janvier (Ibid.).