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Le rôle du lexique dans la lecture : quelles stratégies ?

Dans le document Lecture et lexique : intercompréhension et L2 (Page 142-147)

Terminologie italienne et française L1 et L2

LE LEXIQUE ET SON ROLE DANS LA LECTURE

7. Le rôle du lexique dans la lecture : quelles stratégies ?

Dans le premier chapitre de cette thèse nous avons analysé les stratégies d’apprentissage et les stratégies de lecture (Chap. I, § 2.4) et nous avions anticipé que, d’après la classification de R. Oxford (1990), nous approfondirions les stratégies compensatoires qui encouragent l’apprenant à trouver des solutions alternatives au moment d’un blocage. Nous voulons aussi rappeler que le modèle compensatoire de E. Bernhardt (2000) (Chap. I, § 4.4), met l’accent sur le fait que pour compenser le déficit d’une source de connaissances, l’apprenant va utiliser une autre source, va opérer une substitution. Le concept de vicariance se fonde aussi sur la compensation et la substitution de stratégies moins efficaces avec d’autres plus performantes (Chap. I, § 5).

Dans ce paragraphe, nous allons développer les stratégies de lecture qui nous ont permis d’établir le rôle du lexique dans les processus de lecture en langue étrangère qui ont lieu grâce à la compensation. Nous analyserons : la stratégie de l’inférence et la stratégie de l’approximation lexicale.

7.1 La stratégie de l’inférence lexicale

Le phénomène de l’inférence lexicale a été traité comme une stratégie du lecteur en L1 (R. Oxford (1990) et M. O’Malley et A. U. Chamot (1990)) et dans le cadre de notre thèse sur le rôle du lexique pendant la lecture, la stratégie de l’inférence nous permet de cibler le rôle du lexique au cours des processus de compréhension de la lecture en langue étrangère. Nous aborderons d’abord quelques définitions pour après approfondir les processus spécifiques de la stratégie de l’inférence et les facteurs facilitant et inhibant le déclenchement de cette stratégie de lecture.

Suivre le raisonnement d’un apprenant au moment où il ne reconnaît pas un mot et qu’il se sert de la stratégie de l’inférence nous permet de suivre les processus du lecteur quand il n’arrive pas à comprendre un mot et déclenche une série de ressources afin de sortir de son impasse.

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La stratégie de l’inférence et de la tolérance à l’ambiguïté (qui d’après le modèle de J. M. O’Malley et A. U. Chamot (1990) sont des stratégies cognitives, et qui d’après le modèle d’Oxford (1990) sont des stratégies compensatoires), l’inférence et la tolérance à l’ambiguïté, sont parmi les stratégies les plus exploitées pendant la lecture en L1 et, en même temps, celles qui semblent les plus difficiles à réemployer pendant la lecture en L2, au moins aux niveaux élémentaires, A1-A2 du CECRL.

La stratégie d’inférence sert à utiliser les données connues d’un texte afin d’imaginer ou d’inférer le sens des éléments nouveaux ou inconnus ; l’inférence aide à utiliser le contexte langagier ou extra-langagier ayant comme objectif de suppléer aux lacunes dans la maîtrise du code linguistique et afin de comprendre la signification globale d’un texte : deviner intelligemment (Cyr, 1996 : 50). On utilise en effet également le terme divinement pour désigner cette stratégie cognitive. Citons ici le raisonnement d’un bon lecteur face à l’inférence, tel que P. Cyr (1996 : 50-51) le propose :

« Je ne connais pas exactement la signification de ce mot que je viens de lire dans un texte. […] Cela ne me dérange pas pour l’instant parce que j’ai compris la plupart des autres mots qui l’entourent. Je pense avoir compris l’essentiel du message ; le mot nouveau, d’après le contexte ou la situation, veut probablement dire telle chose. Je formule une hypothèse, il est peut-être important ou non de la vérifier maintenant. Si je m’aperçois que ce mot semble essentiel pour la compréhension du message […], si je le vois dans un texte, je peux toujours le souligner et le chercher ultérieurement dans un dictionnaire, je verrai plus tard si c’est nécessaire » (Cyr, 1996 : 50-51).

Dans cette citation de P. Cyr, la stratégie de l’inférence est à rapprocher du concept de tolérance et à l’ambigüité qui consiste à percevoir la nouveauté ou la complexité de la langue cible comme étant une donnée normale et à l’accepter patiemment. De plus, un tel raisonnement pourrait être conçu par un apprenant pendant la lecture en L1.

Nous avons pris en considération les travaux de R. J. Sternberg et J. S. Powel (1983) qui définissent l’inférence comme une stratégie de compréhension de la lecture permettant de saisir le sens d’unités lexicales opaques en exploitant le contexte du document écrit. L’inférence implique 3 processus fondamentaux :

1. On commence tout d’abord par le tri des informations les plus importantes et les plus pertinentes : codification sélective ;

2. Ensuite, on passe à l’exploitation des informations disponibles pour déduire la signification : combinaison sélective et en conclusion

125 3. On établit enfin une relation entre nouveau sens appris et informations stockées

dans la mémoire à long terme : comparaison sélective.

Les trois processus ne se déclenchent pas de manière aléatoire mais ils reposent sur une série d’indices contextuels présents dans le texte, quoique de manière variable, qui facilitent l’activation des processus qui sont :

1. Indices temporels : quand et avec quelle fréquence apparaît le mot « cible ». 2. Indices spatiaux : la position dans le texte du mot « cible » et les autres

collocations possibles dans lesquelles l’unité lexicale pourrait être placée.

3. Indices de valeur : les qualités plus ou moins positives acquises par le mot «cible» grâce au contexte.

4. Indices indiquant l’état : les caractéristiques relatives au mot « cible » (forme, couleur, dimension, taille, etc.).

5. Indices indiquant les fonctions : objectifs possibles, emplois et actions du mot «cible»,

6. Indices indiquant les causes : les causes possibles ou les conditions inhérentes au mot « cible ».

7. Indices d’appartenance à une classe : une catégorie générale à l’intérieur de laquelle le mot « cible » déploie des rapports de signification et de valeur sémantique avec les autres mots tels que hyponimie, hyperonimie, etc. (Sternberg, 1987 : 92).

A partir de ces indices, les caractéristiques spécifiques du texte permettent donc d’activer plus ou moins aisément les trois processus de codification, combinaison et comparaison sélective pendant la lecture en L2.

Tout en considérant que les six variables du texte examinées par R. J. Sternberg (1987 : 92-94) sont valables aussi bien en L1 qu’en L2, toujours d’après R. J. Sternberg, et M. Haynes (1993 : 54) dans le cas des inférences par le contexte en L2, il existe des variables ultérieures à prendre en compte pour découvrir la signification des mots inconnus toujours en se servant du contexte. Nous allons maintenant les expliciter en distinguant entre variables facilitant ou inhibant les inférences à travers le contexte. Les variables facilitant les inférences à travers le contexte sont :

1. la présence d’un mot inconnu dans une phrase car les lecteurs arrivent à inférer la signification d’un mot inconnu par le contexte immédiat (la phrase) plutôt qu’à l’aide du sens global du texte dans son entier. A ce propos, M. Haynes (1993 : 54) observe que :

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« Tenter de deviner est visiblement plus difficile s’il s’agit de la compréhension d’un texte long » (Haynes, 1993 : 54)24 ˂traduit par nous˃.

Selon M. Haynes, les informations qui facilitent le dépannage lexical devraient donc figurer surtout dans le contexte immédiat, c’est-à-dire la phrase, plutôt que dans un long texte lu en entier. L’expérimentation de O. Théophanous (2004) explore les attitudes d’inférence lexicale lors d’une tâche de lecture en langue étrangère confirme cette idée :

« Leur inférence lexicale ont opéré plus facilement dans le cadre de la phrase ou de l’environnement syntagmatique immédiat. Quant à l’inférence globale, qui exige une plus grande mobilité dans le texte et un traitement plus complexe de l’information, elle a été plus difficile à mettre en place » (Théophanous, 2004 : 185).

L’inférence résulte plus aisément réalisable si le mot à inférer se trouve dans une phrase et si l’apprenant ne doit pas en rechercher le sens loin du mot en question. 2. L’analyse des aspects formels du mot : graphie et morphologie, aident les

apprenants à découvrir le sens des mots.

3. La combinaison de processus descendants et ascendants pendant la lecture permet un accès plus ample à la compréhension du texte (Chap. I, § 4.3).

Les variables inhibant les inférences à travers le contexte sont : 1. Un contexte insuffisant,

2. L’absence de répétitions,

3. La présence majeur de mots grammaticaux par rapport aux mots lexicaux qui entravent les possibilités d’inférer de l’apprenant,

4. Une lisibilité insuffisante,

5. La carence lexicale chez l’apprenant qui fait baisser la possibilité de faire des inférences,

6. La présence des faux-amis, qui sont des facteurs trompeurs, est un obstacle à la compréhension profonde en L2.

24 « Guessing is apparently more difficult when comprehension of longer text is required » (Haynes, 1993 : 54).

127 Nous voulons mettre en relief que les facteurs inhibant l’inférence pendant la lecture, sont très proches des facteurs que nous avions approfondi dans le chapitre sur la lecture en L2 en particulier quand nous avons abordé les difficultés de la lecture en L2 (Chap. I, § 3.4). Dans le cas des sources de difficulté en lecture, nous avions en effet pris en examen la lisibilité d’un document et la densité lexicale.

En conclusion nous allons reprendre la constatation de M. Haynes (1993) et de R. J. Sternberg (1987) qui considèrent la présence de faux-amis comme étant un facteur inhibant l’inférence par le contexte. Dans le chapitre III de cette thèse nous viserons le rôle des faux amis pour la compréhension en nous fondant sur les observations et la récolte de données que nous avons accomplies pendant le cours d’intercompréhension plurilingue (Chap. III, § 9.1.2).

7.2 La stratégie de l’approximation lexicale

Le concept d’approximation lexicale a été souvent confondu erronément avec le concept d’erreur. Jusqu’à la fin des années Soixante, dans l’histoire de la didactique des langues, l’erreur indiquait un comportement linguistique imparfait, une connaissance insuffisante des règles morphosyntaxiques, un écart par rapport à la règle. Puis, dans les années Soixante-dix, grâce à des études sur l’acquisition de la L1 et sur l’interlangue, de S. P. Corder (1967) et L. Selinker (1972), on assiste à un changement radical à l’égard de l’erreur, considérée comme une partie essentielle du processus d’apprentissage d’une langue et comme indicateur des hypothèses que l’apprenant accomplit par rapport aux systèmes de la L2. L’erreur est donc une forme incorrecte et provisoire qui, au cours du développement progressif de l’interlangue, sera remplacée par la forme correcte (Nemser, 1971 ; Corder, 1981). S. Rastelli (2009 : 28) observe que dans cette nouvelle perspective, les erreurs ne sont plus considérées comme l’effet de l’inférence de la L1 ni comme une activité créative ; les erreurs sont à considérer comme le résultat d’un comportement gouverné par des règles. Ils mettent en évidence que dans la langue parlée des natifs, les termes qui nous paressent vagues et imprécis sont nécessaires (Jucker, Smith et Lüdge : 2003).

C. Blanche Benveniste (2007 : 167) observe que :

« si tous les termes étaient précis et si toutes les informations étaient données sous une forme compacte et rigoureuse, suivre une conversation exigerait un effort de concentration considérable » (Blanche Benveniste, 2007 : 167).

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L. Wittgenstein (1953) aborde le concept du vague, met en évidence qu’il s’agit d’un aspect physiologique et prépondérant de notre langage en L1, et souligne qu’en revanche en L2 il faut apprendre à être moins précis.

L’approximation lexicale est une caractéristique bien connue et étudiée de la langue parlée en L1 (Blanche Benveniste et Jeanjean, 1987). Au moment de la production, le locuteur cherche ses mots, mais souvent les mots justes n’arrivent pas du premier coup. La recherche du mot adéquat demande du temps pour la réflexion, dans la production orale comme dans la réception des messages oraux et écrits.

L’approximation lexicale est un processus spontané favorisant le caractère naturel, fonctionnel et provisoire de la mise à jour du sens des mots. Il s’agit d’une opération de recherche lexicale, d’une négociation interne au locuteur, qui constitue une étape vers une production ou une compréhension plus précise du mot recherché. C. Blanche Benveniste (2005), en se fondant sur son expérience d’EuRom4, constate qu’il est possible de réussir à lire dans trois langues romanes (pour les Français : portugais, espagnol, italien) à condition d’accepter une compréhension imprécise et vague : « tolérer différentes sortes de lectures approximatives ». C. Blanche Benveniste (2005 : 25) remarque aussi que l’approximation est « une excellente stratégie » et que « les psychologues nous apprennent que, si nous estimons être de « bons lecteurs » dans notre langue maternelle, nous ne pouvons l’être qu’en utilisant à bon escient «l’approximation». La stratégie d’approximation exige une grande capacité de tolérer l’ambiguïté.

Nous étudierons la manière d’utiliser la stratégie d’approximation lexicale pour traiter une difficulté lexicale dans le troisième chapitre de cette thèse (Chap. III, § 9.1.3) car nous nous sommes demandé quelle est la fonction de cette stratégie et à quoi mène l’utilisation de l’approximation lexicale.

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