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Du rôle de l‟agriculture dans le développement au développement de l‟agriculture

CHAPITRE 1. ANALYSE THÉORIQUE DU RÔLE DU SECTEUR AGRICOLE

1. Analyse théorique du rôle du secteur agricole dans le développement

1.4. Du rôle de l‟agriculture dans le développement au développement de l‟agriculture

1.4.1. État de la controverse.

Ils sont de plus en plus nombreux, les économistes ruraux, à revendiquer un caractère « spécifique » de l‟agriculture en vertu duquel ce secteur aurait un rôle très important à jouer pour la lutte contre la pauvreté et l‟insécurité alimentaire. Pour cette raison, ils estiment que le secteur agricole devrait être largement accompagné de politiques agricoles. La dépendance de plus en plus grande de nombreux pays en développement aux marchés pour atteindre la sécurité alimentaire est généralement critiquée. Au contraire, c‟est l‟autosuffisance alimentaire qui est prônée (ROPPA, ANOPACI). En ce qui concerne la place de l‟intervention publique, en général, le milieu agro-économique prend souvent appui sur l‟exemple de la Politique Agricole Commune (PAC) et de son application en France, avec notamment l‟organisation d‟un marché commun régional, une préférence communautaire et une intervention très forte de l‟État pour stimuler la production et assurer un niveau de vie comparable aux autres secteurs de l‟économie.

Pour les économistes « pro-libéraux », la théorie économique du commerce international prône un libre échange (Ricardo) et la spécialisation selon la dotation en facteurs de production (Heckscher, Olhin et Samuelson (HOS)). Négligeant les effets négatifs de la dégradation des termes de l‟échange, la théorie libérale soutient que les pays en développement, disposant d‟une main-d‟œuvre abondante mais de peu de capital, devraient se spécialiser dans la production des matières premières (coton, cacao, café, hévéa, etc..). La dépendance aux marchés agricoles est au contraire vue comme une évolution logique de l‟ouverture et un choix économiquement rationnel dans la mesure où d‟autres pays peuvent produire moins cher les produits alimentaires. Dans cet ordre d‟idées, c‟est le développement d‟une agriculture commerciale d‟exportation qui est plutôt prônée (Rapport sur les OM pour

le développement, 2008). En effet, bien que visible dans les faits, la dégradation des termes de l‟échange, difficilement évaluable, reste peu expliquée économiquement (Bonnet et al., 2005) et fait encore l‟objet d‟un débat théorique important.

1.4.2. Les fondements théoriques de l’intervention publique.

La justification de l‟intervention publique et son intensité est un sujet largement débattu en économie. Le champ de l‟économie publique justifie l‟intervention de l‟État pour trois types de raisons : la première reste liée aux marchés : l‟imperfection des marchés (défaillances), l‟incomplétude des marchés (absence de certains marchés (notamment celui des assurances), informations imparfaites et asymétriques) et l‟existence de monopoles naturel ; la deuxième raison est liée à l‟existence de biens publics et d‟externalités ; la troisième raison fait référence à l‟équité.

Depuis les années 80, la théorie dominante est la théorie néoclassique. Les courants de pensées qui en découlent (la nouvelle macroéconomie classique et la nouvelle économie keynésienne) reconnaissent aussi l‟efficacité de l‟allocation par le marché, démontrée par les théorèmes de l‟économie du bien-être. Ces courants placent ainsi la situation d‟équilibre général en concurrence parfaite, qui est un « optimum de Pareto » conformément au premier théorème du bien-être, comme la référence à atteindre. L‟idée que la concurrence est bénéfique car source « d‟efficience économique » admet que pour les petits producteurs ruraux, le « jeu du marché », la « loi de l‟offre et de la demande » auraient pour effet mécanique une augmentation du prix des produits agricoles vendus et une diminution du prix des intrants achetés dans l‟hypothèse d‟une amélioration des conditions de la concurrence entre fournisseurs et entre acheteurs. Il en résulterait une agriculture plus profitable pour les agriculteurs. Pourtant, les différents courants de pensée diffèrent dans leur degré de justification de l‟intervention de l‟État.

- L’intervention de l’État est source de coûts et d’inefficacités.

La théorie néoclassique justifie cette idée en partant de l‟analyse des coûts de transaction de Coase (1960). Coase considère les coûts de transaction en situation de défaillance de marché (externalités et biens publics) et incite à comparer les coûts de transaction avec ou sans

réglementation de l‟État. Il conclut sur son théorème2

à savoir : le mécanisme de marché peut être le plus efficace pour atteindre une allocation parétienne efficace de second rang. Cette dernière est l'affectation des ressources qui est la « meilleure possible » compte tenu de l‟existence de coûts de transaction qui empêchent de parvenir à un optimum de Pareto. L‟interprétation de ce théorème par les néoclassiques et l‟école de la nouvelle macroéconomie publique est une supériorité au mécanisme de marché sur l‟intervention publique pour l‟allocation des ressources, même dans le cas de marchés défaillants. Pour ces courants de pensée, l‟amélioration de la concurrence passe par la levée des entraves au libre jeu du marché, que sont supposées constituer les interventions publiques (prix administrés, participation directe à la production, taxes sur les produits agricoles, subventions aux intrants, etc.) qui apparaissent comme autant de sources « d‟inefficience ». Cette libéralisation du secteur agricole, négociée dans le cadre de l‟OMC et soutenue par les grandes organisations internationales, semble parée de tous les avantages.

- Hayek (1973 - 1979) : La doctrine du « laissez- faire »

Cette doctrine du laissez-faire soutient que la politique la plus naturelle c‟est de ne rien faire. Elle préconise l‟absence d‟interférence de la puissance publique avec les forces du marché. Le gouvernement n‟a alors rien de particulier à faire, si ce n‟est d‟éviter les compétitions injustes, et la croissance émergera seule des marchés. La raison pour cela est que le marché est un instrument unique et extrêmement efficient pour chercher de nouvelles opportunités.

En comparant l‟État à un individu, Hayek arrive aux conclusions suivantes citées par Greffe et Maurel, (2009) : « la perception que chaque individu a du monde ne lui permet absolument pas de saisir et a fortiori de maîtriser la complexité de la réalité, ce qui vaut aussi pour l’État. De ce fait, ce dernier ne peut intervenir dans les choix économiques des individus, et mieux vaut privilégier un ordre spontané qui permet la mise en ordre de l’inconnu, ce qui conduit d’ailleurs à rejeter l’étatisme ».

2 Le théorème de Coase fait l‟objet de nombreuses interprétations, mais, dans son utilisation la plus courante, il répond à la remarque de Pigou sur le fait que l‟intervention publique est indispensable en cas d‟externalités.

- Toute intervention de l’État met en jeu un comportement de recherche de rente.

L‟école de pensée du public choice (choix publics), également appelée nouvelle économie politique, constitue un élargissement du cadre néoclassique au champ politique. Elle émet l‟hypothèse que les hommes politiques et les agents de la fonction publique sont, comme les autres, des individualistes méthodologiques, et par conséquent qu‟ils n‟agissent (y compris dans l‟exercice de leurs fonctions) que pour maximiser une certaine fonction d‟utilité personnelle, au détriment des fonctions de service de l‟intérêt général auxquelles ils sont supposés œuvrer. La théorie des choix publics introduit l‟idée que les interventions publiques peuvent aussi être le fruit de pressions de certains groupes de la société envers les décideurs politiques qui ont un intérêt principal d‟être élus. Si l‟on suit ce paradigme, « l‟inefficacité économique est attribuée aux interventions inopportunes de l‟État, interventions dues essentiellement à l‟action de groupes d‟intérêt qui modèlent le système politique (Hibou, 1998). Ainsi, l‟État, en tant que somme d‟individus maximisateurs, ne peut par définition représenter l‟intérêt général, pas plus que les valeurs de justice et d‟équité. S‟agissant des pays en développement, l‟État devient le lieu (et le moyen) de diverses recherches de rente (ou surprofits) notamment en détournant les aides extérieures.

L'idée de la théorie de la nouvelle économie publique (Laffont et Tirole (1993) par exemple) est d'analyser les défaillances du législateur et de les corriger, car le marché n'est pas la seule source d'insuffisances. Les défaillances de la réglementation doivent être réduites au minimum afin d'aboutir à une allocation parétienne efficace de second rang. Ces défauts sont principalement : l'asymétrie d'information entre le régulateur et le réglementé, l'intérêt personnel du régulateur, son insuffisante crédibilité. La critique de Lucas (1976), largement développée par Greffe et Maurel (2009), a plutôt une portée plus centrée sur la modélisation. C‟est une critique qui met en évidence l‟importance de prendre en compte les modifications dans le comportement des agents suite à des réformes dans les politiques.

Compte tenu de ce corpus théorique, on remarque que la justification des choix d‟intervention publique s‟éloigne de fondements de la théorie économique pure pour entrer dans le champ de l‟économie politique.

Greenwald et Stiglitz (1986), de la nouvelle économie keynésienne, arrivent à la conclusion opposée que le gouvernement peut toujours parvenir à une allocation plus optimale que le marché, surtout dans le cas de marchés incomplets et notamment en cas d‟asymétrie d‟information. Leur théorème montre que les marchés réels correspondent largement aux

hypothèses de marchés incomplets avec des asymétries d‟information, et que la conclusion sur l‟intervention publique peut avoir une portée universelle.