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CHAPITRE 1 : GENERALITES

1.2. Rôle des insectes nécrophages dans le processus de décomposition d’un cadavre…

1.2.1. Utilisation de l’écosystème-cadavre en fonction du régime alimentaire

Sur un organisme en décomposition, on distingue quatre groupes d’arthropodes en fonction de leur régime alimentaire. On y rencontre des espèces nécrophages, nécrophiles, omnivores et des espèces opportunistes. Une cinquième catégorie est parfois citée, il s’agit des espèces dites accidentelles (Figure 20).

ü Espèces nécrophages

La microfaune nécrophage qui se développe sur un cadavre est surtout composée d’insectes appartenant essentiellement aux ordres des Diptères (mouches bleues, vertes ou à damier), des Coléoptères (nécrophores ou silphes) et des Lépidoptères (papillons). Une réelle diversité d’espèces, mais aussi de comportements existe chez ces nécrophages. Les nécrophages sont directement attirés par le cadavre. Ils se nourrissent aux dépens de l’organisme en décomposition et plus spécifiquement des liquides. On rencontre principalement des insectes appartenant aux ordres des Diptères et des Coléoptères (Leclercq, 1978 ; Campobasso et al., 2001 ; Wyss & Chérix, 2006). Durant les stades précoces de décomposition, les premiers insectes qui colonisent le cadavre appartiennent à l’ordre des Diptères Calliphoridae (Goff, 2009). Leurs œufs et larves ont besoin de chairs humides pour se développer. Ces larves, en sécrétant des enzymes digestives qui dissolvent les muscles et autres tissus mous, permettent la libération des liquides de décomposition riches en protéines. Elles permettent l’ouverture de la carcasse, et laissent des brins de tissu ligamentaire, graisses et autres lambeaux de

Figure 19 : Succession des stades adultes (a) et juvéniles (b) d'insectes nécrophages sur un cadavre humain dans l'Est du Tennessee (Byrd & Castner, 2001).

Tableau III : Travailleurs de la mort se succédant sur un corps exposé à l’air libre (Leclercq, 1978).

Escouades Insectes et Acariens Etat du corps

Intervalle postmortem approximatif 1ère escouade Diptères Calliphoridae Calliphora vicina Calliphora vomitoria Lucilia spp. Muscidae Musca domestica Musca autumnalis Muscina stabulans Frais et récent (variable selon la saison,

les températures)

2ème escouade 3 premiers mois

Diptères Calliphoridae Calliphora vicina Calliphora vomitoria Lucilia spp. Cynomyia mortuorum Sarcophagidae Odeur développée 3ème escouade Coléoptères Lépidoptères Dermestidae

Aglossa sp. Graisse rance

4ème escouade Diptères Coléoptères Piophilidae Sepsidae Drosophilidae Fanniidae Sphaeroceridae Syrphidae Cleridae Necrobia sp. Après la fermentation

butyrique et caséique 3 à 6 mois

5ème escouade Diptères Coléoptères Muscidae Hydrotaea sp. Phoridae Silphidae Histeridae Fermentation ammoniacale Evaporation des liquides

sanieux

4 à 8 mois

6ème escouade 6 à 12 mois

Acariens

7ème escouade Complètement sec

Coléoptères Lépidoptères Dermestidae Dermestes maculatus Attagenus pellio Tineidae 1 à 3 ans 8ème escouade Coléoptères Ptinidae

Figure 20 : Schéma des relations trophiques liant les différents groupes écologiques présents sur un cadavre en décomposition (adapté d’Arnaldos et al., 2005).

chair qui sèchent rapidement (Braack, 1987). Après plusieurs jours de colonisation, on peut aussi distinguer différents types de larves de mouches : des sauteuses (Piophiles), des nécrophages (Lucilies) et des prédatrices (Chrysomies). Certaines larves présentent aussi certaines adaptations et peuvent survivre dans des milieux très humides grâce à leur « tuba » (Stratiomyides). D’autres enfin, tels que les Phoridae, grâce à leur morphologie particulière, sont capables de coloniser des carcasses enterrées sur lesquelles elles peuvent se reproduire durant plusieurs générations.

Chez les Coléoptères nécrophages, les comportements sont également variés. Les silphes, par exemple, présentent un comportement parental très élaboré. Ils triturent les tissus en décomposition pour former une boule sur laquelle la femelle va déposer les œufs. Les parents vont ensuite nourrir les larves en régurgitant un liquide alimentaire provenant de la digestion de ce nid (Dekeirsschieter et al., 2011). Les larves ont aussi leurs préférences alimentaires. Les chenilles d’une espèce de papillon se nourrissent exclusivement des tissus graisseux tandis que les larves de Dermestes (ou de Ténébrions) préfèrent la peau et les tissus desséchés, ne laissant après leur passage que les os. De nombreuses espèces de Coléoptères sont essentiellement observées durant les phases de décomposition avancée, puis de dessèchement du cadavre (momification/squelettisation). C’est notamment le cas des Dermestidae (Ozdemir & Sert, 2009; Charabidze et al., 2014).

ü Espèces nécrophiles

Les espèces nécrophiles sont prédatrices ou parasites des larves et des pupes des nécrophages (Leclercq, 1978 ; Leclercq & Verstraeten, 1992). On rencontre régulièrement des Coléoptères (Silphidae, Histeridae, Staphylinidae), des Diptères (Calliphoridae et Stratiomyidae) ainsi que des Hyménoptères (Campobasso et al., 2001 ; Wyss & Chérix, 2006).

Les larves de certains Diptères peuvent devenir prédatrices à partir d’un certain stade de développement. C’est, par exemple, le cas des larves de stade L3 appartenant au genre Muscina et de certaines espèces du genre Chrysomya (Gaudry, 2002). Certains Coléoptères tels que les Silphidae, les Staphylinidae et les Histeridae sont connus pour être de redoutables prédateurs (De Carvalho & Linhares, 2001 ; Ozdemir & Sert, 2009 ; Castro et al., 2010). Mais peu d’études se sont intéressées à la prédation des Diptères par les colonisateurs tardifs que sont les Dermestidae. Durant les premières phases de colonisation et de développement de leurs larves, les Dermestes sont capables de cohabiter avec des larves de Diptères et d’entrer en compétition avec celles-ci (Dekeirsschieter et al., 2011).

Un autre groupe d’animaux, les organismes parasites, peut aussi être identifié sur la charogne. Les larves de mouches nécrophages peuvent en effet, être parasitées par des micro-guêpes du genre Nasonia qui vont pondre leurs œufs à l’intérieur de la pupe (nymphe de la mouche). Les larves de ces guêpes vont ensuite se repaître des tissus vivants de la pupe.

ü Espèces omnivores

Les principales espèces omnivores sont généralement des Hyménoptères (fourmis et guêpes) et des Coléoptères. Ces espèces se nourrissent aussi bien des insectes nécrophages et nécrophiles présents sur le cadavre, que du cadavre en décomposition (Leclercq & Verstraeten, 1992 ; Campobasso et al., 2001 ; Wyss & Chérix, 2006). Ces espèces omnivores arrivent pratiquement en même temps que les nécrophiles (Arnaldos et al., 2005).

ü Espèces opportunistes

Les espèces opportunistes utilisent le cadavre comme une extension de leur habitat (Wyss & Chérix, 2006). Elles se servent du cadavre comme une annexe de leur biotope afin de s’abriter, se réchauffer, hiberner et parfois même pour se nourrir (Leclercq & Verstraeten, 1992). Elles sont originaires de la végétation environnante ou de la pédofaune et peuvent exceptionnellement être prédatrices des espèces nécrophages (Campobasso et al., 2001). On y dénombre des collemboles, des araignées, des mille-pattes, des Lépidoptères, mais aussi des acariens qui se nourrissent des moisissures et champignons qui peuvent se développer sur le corps en décomposition (Campobasso et al., 2001 ; Wyss & Chérix, 2006). Des insectes tels que les bousiers, les guêpes, les fourmis et les papillons peuvent également être observés sur les carcasses.

1.2.2. Effets de l’activité des insectes nécrophages sur la décomposition des cadavres

Les insectes représentent la majorité des espèces nécrophages. Deux ordres sont majoritairement attirés par les cadavres : les Diptères et les Coléoptères. Seuls les trois premiers groupes écologiques cités plus haut, sont utiles en entomologie forensique, les deux derniers groupes étant présents de manière fortuite.

La présence de cette faune entomologique au sein de l’écosystème-cadavre, a pour conséquence directe, une perte pondérale progressive de la dépouille. En dehors des espèces opportunistes et accidentelles, l’intervention des insectes dans le processus de décomposition influe notablement sur la vitesse de dégradation d’un cadavre (Payne, 1965 ; Marchenko, 1988 ; Carter et al., 2007). Linné (1767) postulait déjà que « trois mouches peuvent consommer un cadavre de cheval aussi vite que le ferait un lion ». En outre, Payne (1965) a réalisé une comparaison de la vitesse de dégradation de cadavres de porcs en présence ou en l’absence d’insectes. De fortes différences ont été observées dans le processus et la vitesse de décomposition, ces phénomènes étant nettement ralentis sur les corps protégés de l’entomofaune nécrophage. L’auteur a expliqué cette différence par une dissémination importante des bactéries, une fragmentation mécanique et chimique (enzymes digestives) forte et une augmentation locale de température en présence de larves.

A la suite de nombreuses années d’expérimentations et d’observations menées au centre de recherche anthropologique de Knoxville (U.S.A.), Mann et al. (1990) ont proposé dans un article de synthèse, une classification des différents facteurs affectant la vitesse de décomposition d’un corps. Leurs conclusions montrent clairement le rôle fondamental joué par les insectes : qu’il s’agisse d’un effet direct ou d’une conséquence indirecte, sept des onze facteurs mentionnés plus haut, sont liés à la possibilité de colonisation et de développement des insectes sur le corps.

Pour vérifier l’hypothèse formulée par Linné (1767), Payne (1965), un écologiste majeur des années soixante, plaça des cadavres de porcs dans un environnement naturel. Au bout de seulement 4 jours, les carcasses avaient perdu 70 % de leur masse corporelle initiale. Payne (1965) réalisa ensuite la même expérience, mais en plaçant un grillage autour des cadavres. En bloquant ainsi l’arrivée des insectes, il observa que la décomposition était nettement ralentie : sans la présence des insectes nécrophages, 45 jours étaient nécessaires pour observer la même perte de masse que précédemment. Ces conclusions ont également été vérifiées sur des corps humains, grâce au centre de recherche anthropologique de Knoxville (également baptisé « ferme des cadavres »), aux USA. Les observations réalisées sur place démontrent le rôle fondamental joué par les espèces nécrophages. Ahmad et al. (2011), qui ont comparé en Malaisie, la faune entomologique qui colonisant des cadavres de singe placés en milieu ouvert et en milieu fermé, ont noté qu’entre 5 et 10 jours post mortem, le taux restant de masse corporelle des cadavres de singe, exposés en milieu ouvert, était d’environ 40%.