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Le rôle de l’exclusivité territoriale

Chapitre I L’exclusivité territoriale au cœur de l’ordre moderne européen

Section 1 Le rôle de l’exclusivité territoriale

75. Le principe de l’exclusivité territoriale est au cœur des techniques du pouvoir moderne. Il reste pourtant réduit, par une certaine doctrine, au rang subalterne d’attribut attaché à la qualité d’Etat en droit international public. C’est la genèse de l’Etat qui, le mieux, permet de suggérer une version différente : l’exclusivité territoriale apparaît non seulement comme la première manifestation de la notion moderne de souveraineté (A), mais aussi au fondement du droit international classique (B) et du droit étatique moderne (C). Un lien profond, une continuité réglée, peut ainsi être caractérisé entre l’exclusivité territoriale, la souveraineté moderne et l’ordre juridique étatique.

§1:

La première manifestation de

la souveraineté

76. Les définitions contemporaines de la souveraineté de l’Etat, en raison de leur caractère purement normatif, laissent bien peu de place à l’exclusivité territoriale (A). Ces approches présentent l’inconvénient d’être trop éloignées de la réalité de la puissance. Pourtant, une brève lecture des auteurs qui ont été témoins de leur vivant de la naissance de la notion moderne de

souveraineté347 permet, au contraire, de confirmer que celle­ci a été d’abord une action coercitive dont la singularité fut de s’enraciner dans l’espace (B).

A.

L’approche contemporaine de

la notion de souveraineté :

l’absence de l’exclusivité

territoriale

77. Parmi les définitions juridiques les plus rigoureuses de la souveraineté interne348, on rencontre dans la doctrine du XXème siècle la notion d’ « omnicompétence »349, de « compétence de la compétence »350 ou encore de « monopole d’édiction du droit positif par l’Etat »351. Ces définitions partagent une idée commune : « l’Etat est maître de se déterminer lui­même, à son gré, le cercle de sa compétence »352. Ces définitions présentent, de surcroît, cette particularité d’être purement normatives, c’est­à­dire de considérer la notion moderne de souveraineté comme « un concept et un attribut purement juridique, dissocié de la réalité de puissance »353. Depuis la première guerre mondiale, la majorité des définitions fournies par les juristes laissent entendre que commander consisterait uniquement à légiférer, à prescrire des règles de la conduite humaine. C’est l’influence exercée par l’environnement juridique contemporain qui a probablement conduit ces

347 Nous ajouterons à ces auteurs de « l’époque » qui s’étend du XVIème siècle au XVIIIème siècle, des auteurs

contemporains du XXème siècle dans la mesure où ces derniers ont bien souvent eu la volonté, en raison d’opinions

politiques dites « réactionnaires », de restaurer cet « esprit du passé » qui a présidé à la formation de l’Etat moderne et de ses frontières juridiques.

348 Selon une doctrine bien établie, la notion moderne de souveraineté présenterait deux visages, l’un tourné vers

l’intérieur (l’ordre interne), l’autre vers l’extérieur (l’ordre international). C’est la « qualité d’un pouvoir suprême à l’intérieur de son ressort et ne connaissant que des égaux hors de son ressort » (O. Beaud, « Souveraineté », in :

Dictionnaire de Philosophie politique (sous la dir. de S. Rials et P. Raynaud), 2e éd., PUF, 1998, p.626). 349 O. Beaud, La puissance de l’Etat, op. cit., p. 236 et passim.

350 G. Jellinek, L’Etat moderne et son droit, t.1, op. cit., p. 155 : «La distinction entre les Etats souverains et les

Etats non­souverains est maintenant facile à établir. La souveraineté est la capacité de se déterminer seul soi­ même au point de vue juridique. L'Etat souverain seul peut, dans les limites qu'il a lui­même établies ou reconnues, régler en toute liberté le contenu de sa compétence. Au contraire, l'Etat non ­souverain, tout en se déterminant lui aussi librement, ne peut le faire que dans les limites de son pouvoir étatique ». V. a. H. Quaritsch, « La Souveraineté de l'Etat dans la jurisprudence constitutionnelle allemande », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 9, février 2001.

351 O. Beaud, Ibidem, p.130

352 R. Carré de Malberg, Contribution à une théorie de l’Etat, t.1, op. cit., p.259­262. 353 L. Dembinski, « Le territoire et le développement du droit international », op. cit., p. 135.

juristes à réduire le concept de souveraineté à une qualité abstraite de l’Etat354, et par la même occasion, à oublier que la réalité d’un ordre juridique complet et centralisé faisait défaut à l’époque même où cette notion a triomphé.

78. Tous les auteurs contemporains du XXème siècle ne se sont pas,

cependant, totalement affranchis de la réalité de la puissance. Georg Jellinek, par exemple, était probablement plus proche de la réalité de l’ordre moderne. Il décrit le territoire comme « la base réelle de l’exercice de tout l’ensemble de la puissance de commander »355. Or, par « base réelle », cet auteur entendait souligner, semble­t­il, l’existence d’une base effective pour la souveraineté, par opposition à une assise purement normative. Carl Schmitt touche aussi de près à la réalité de la puissance lorsqu’il décrit la souveraineté comme une « puissance organisée de l’Etat s’exerçant de façon effective sur une surface délimitée »356. D’autres auteurs du XXème siècle, comme Raymond Carré de Malberg, ressentent également l’importance du pouvoir de contrainte dans la définition de la souveraineté : le territoire est le cadre de la puissance publique et « ce qui fait de la volonté de l’Etat une volonté dominatrice, c’est la force coercitive d’exécution qu’elle porte en elle. Cette force n’est pas un élément distinct venant s’ajouter à la volonté étatique. Elle est un caractère essentiel de cette volonté, et même elle en forme le caractère spécifique »357. Reste que même pour ces auteurs du siècle dernier, la place généralement réservée au principe de l’exclusivité territoriale reste accessoire, plus précisément dans l’ombre du principe de

354 C. Chaumont, « Recherches du contenu irréductible du concept de souveraineté internationale de l’Etat », in

Hommage d’une génération de juristes au Président Basdevant, Pedone, Paris, 1960, p. 117 : « La plus grande

erreur de la perspective classique en matière de souveraineté est d’avoir fini par désincarner ce concept en en faisant une propriété abstraite et ne varietur de l’Etat. Ce que cette notion gagne en pureté, elle le perdait en vraisemblance ».

355 G. Jellinek, Ibidem, p.23.

356 C. Schmitt, Le nomos de la terre, 1ère éd., PUF, coll. Léviathan, 2001, p. 200. Puis l’auteur précise un peu plus

loin que « la puissance étatique souveraine est avant tout une puissance effective » (Idem, p.206). On peut également mentionner à ce titre une définition donnée par Olivier Beaud : « La souveraineté moderne est un pouvoir suprême de l’Etat sur les personnes qui entrent dans le cercle de sa domination » (La puissance de l’Etat,

op. cit., p.42).

357 R. Carré de Malberg, Ibidem, p. 199. V. a. dans le même ouvrage, p. 4 : le territoire est le « cadre dans lequel

l’indivisibilité de la souveraineté358. Pour que le principe de l’exclusivité territoriale sorte de l’obscurité, il est nécessaire de remonter dans le temps pour se tourner vers des auteurs qui ont assisté, de leur vivant, au triomphe de la notion moderne de souveraineté. Un élément non normatif, exécutif et concret, refait alors surface : le pouvoir de contrainte à l’intérieur des limites d’un territoire359.

B.

L’approche traditionnelle de

la notion de souveraineté : le

caractère prépondérant de

l’exclusivité territoriale

79. En matière de souveraineté, il n’est pas jusqu’à la prestigieuse notion d’imperium qui ne renvoie à l’idée de violence, de contrainte. Synonyme chez les publicistes de souveraineté, le terme imperium est généralement défini aujourd’hui comme « l’ensemble des pouvoirs qui ont leur principe dans la détention d’une fraction de puissance publique »360. Mais si l’on remonte aux origines, c’est­à­dire à l’Empire romain, l’imperium apparaît alors sous sa cruelle sévérité : un pouvoir de commandement de nature militaire, plus précisément le pouvoir de vie et de mort qu’exerce le chef militaire sur ses hommes361. L’imperium, avant de s’apparenter à une maîtrise des choses ou

358 V. n. J. Freund, L’essence du politique, op. cit., p. 559 : « l’affirmation du non­partage de la souveraineté en

tant que celle­ci possédait une autorité exclusive dans des frontières déterminées » ; E. Balibar, Nous, citoyens

d’Europe ? Les frontières, l’État, le peuple, La Découverte & Syros, Paris, 2001, p. 270 : « Le fait que la

souveraineté s’exerce sur un territoire déterminé où elle est exclusive de toute autre est implicite dans les propositions générales de Bodin aussi bien que dans les exemples qu’il discute (en particulier lorsqu’il oppose le pouvoir des monarques absolus ou de la république romaine à l’enchevêtrement des fonctions d’autorité caractéristique de l’Empire germanique) ».

359 Ludwick Dembinski distingue ainsi deux perspectives de la souveraineté chez les juristes modernes : la

réaliste, qui prend appuie sur le « contrôle effectif du territoire », et la conceptualiste qui se concentre sur « l’attribut purement juridique ». Il constate toutefois une tendance nette des auteurs contemporains à oublier la première au profit de la seconde (« Le territoire et le développement du droit international », op. cit., p. 135).

360 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Association Henri Capitant, 7e éd., 2005, p.459.

361 J. Gaudemet, « Dominium – Imperium. Les deux pouvoirs dans la Rome ancienne », Droits, n°22, 1995, p. 125

; v. a. J. Dauvillier, « Aux origines des notions d’Etat et de souveraineté sur un territoire », in : Mélange offert à

Paul Couzinet, Toulouse, 1974, p. 197 : l’imperium « implique un pouvoir disciplinaire absolu sur les troupes, le ius gladii, emportant droit de vie et de mort, sans recours, au cas de crime ou de désobéissance. (…). À

l’imperium se rattache enfin le droit de contrainte, coercitio maior, qui peut aller jusqu’à faire emprisonner un citoyen ».

de l’espace, constituait un pouvoir de contrainte du chef sur ses hommes : pouvoir militaire (faculté de lever les troupes, de les commander et de les conduire au combat) et pouvoir de coercitio (droit de faire emprisonner)362. C’est d’ailleurs probablement en connaissance de cette origine que la philosophie politique moderne s’est réapproprié l’usage de cette notion dans le but, délibéré, de marquer une rupture avec un ordre féodal qui était concentré sur la possession du sol.

80. Chez Thomas Hobbes, par exemple, le lien entre le « pouvoir de vie ou de mort » et « la souveraineté de l’Etat » est particulièrement évident. Pour cet auteur, il est « impossible de conserver l’Etat là où quelqu’un d’autre que le souverain dispose du pouvoir d’accorder des récompenses plus fortes que la vie, et d’infliger des peines plus grandes que la mort »363. De même, si Jean Bodin voit la première marque de souveraineté dans la puissance législative364, il ne s’éloigne cependant jamais de la réalité politique de l’ordre naissant : « la force du commandement gist en la contrainte »365. Mais c’est surtout chez Gottfried Wilhelm Leibniz que la place du pouvoir de contrainte, et partant de l’exclusivité territoriale, est la plus manifeste. Témoin de la désagrégation de l’Empire Germanique sous l’auspice des Traités de Westphalie, il cherche à comprendre le critère ultime de cette souveraineté fraîchement acquise par les petits Etats allemands. Il commence

362 C. Jarrosson, « Réflexions sur l’Imperium », in : Études offertes à Pierre Bellet, Litec, coll. Mélange, 1991, §

7. Il n’est pas inutile d’ajouter que le titre d’imperator, sous l’empire Romain, était accordé aux généraux victorieux bien avant d’être conféré par le vote de la lex curiata de imperio, c’est­à­dire par les comices curiates. Autrement dit, le pouvoir suprême, dit imperium, était accordé sans considération de la possession du sol, ni de la propriété, mais en, considération des qualités militaires du chef désigné.

363 T. Hobbes, Léviathan ou Matière, forme et puissance de l’État chrétien et civil, trad. par G. Mairet, Gallimard,

coll. Folio/Essai, 2000, p.634 : « La conservation de la société civile dépendant de la justice et la justice dépendant du pouvoir de vie ou de mort, et autres récompenses et peines moins fortes, pouvoir qui réside en ceux à qui appartient la souveraineté de l’Etat, il est impossible de conserver l’Etat là où quelqu’un d’autre que le souverain dispose du pouvoir d’accorder des récompenses plus fortes que la vie, et d’infliger des peines plus grandes que la mort ». Le contrat social de Jean Jacques Rousseau repose sur un même postulat : « Comme la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres, le pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens… » ; l’auteur ajoutant plus loin « Qui veut conserver sa vie aux dépens des autres doit la donner aussi pour eux quand il faut. Or, le citoyen n’est plus juge du péril auquel la loi veut qu’il s’expose ; et quand le prince lui a dit : « Il est expédient à l’Etat que tu meures », il doit mourir, puisque ce n’est qu’à cette condition qu’il a vécu en sûreté jusqu’alors… » (Contrat social, Paris, Garnier, 1965, p. 253 et 256).

364 J. Bodin, Les Six Livres de la République, 10e éd. (1593), rééd. Fayard, Corpus des œuvres de philosophie en

langue française, 1986, t.I, chap.10, p. 306 : « la puissance de donner et casser la loy à tous en general, et à chacun en particulier » ; cité à partir de O. Beaud, La puissance de l’Etat, op. cit., p. 97.

365 J. Bodin, République, op. cit., t.III, 5, p.118. L’auteur précise sa pensée : « Toute la force des loix gist en ceux

par exclure de la qualité de souverain les seigneurs locaux, car « …ce qu’il peut fur fes fujet eft fort limité, et il a bien le pouvoir de contraindre quelques mutins en fe fervant des miniftres de la juftice ou en faifant fonner le toxain, mais il n’a pas le droit de lever des gens de guerre et d’entretenir des forces capables de contraindre toute la communante : Car cela n’appartient qu’à celuy qui a la Supériorité territoriale, comme nous l’appellon en Allemagne »366. Puis il refuse cette qualité à l’Empereur, auquel il donne le terme de « Majesté » dans la mesure où il dispose du « droit de commander fans pouvoir eftre commandé de qui que ce foit »367. Ce pouvoir, qui n’est pas sans rappeler celui conféré à l’Etat souverain dans la doctrine juridique contemporaine, Leibniz le considère comme accessoire : « l’Empereur et l’Empire ont un tres grand pouvoir fur les Electeurs et Princes, mais je foûtiens que cela ne détruit par la fouveraineté »368. C’est alors qu’il va pénétrer l’essence même de la souveraineté, qui correspond au « pouvoir legitime de contraindre les fujets à obeir, fans pouvoir eftre contraint, si ce n’est par une guerre. Car autre chofe eft le droit de commander, autre chofe eft le droit reconnu de contraindre fans difficulté »369. Critère ultime, donc, qui renvoie directement au contenu de l’exclusivité territoriale : « la fouveraineté ne fe perd pas par quelque contrainte paffagere et qu’un autre ne la fçauroit acquerir dans nos Eftats, que lors qu’il a obtenu un droit certain et ordinaire d’appuyer les ordres qu’il y donne par un corps fubfiftant capable de brider le pays »370.

sujects d’obéïr ou de les punir en quoy gist l’exécution des commandements que Demosthenes appeloit les nerfs de la République » (Idem, p.118).

366 G.W. Leibniz, Entretient de Philarète et d’Eugène, sur la question du temps, agitée à Nimwègue, touchant le

droit d’ambassade des électeurs et princes de l’Empire, p.15. Succède à ce premier argument un second argument

qui donne également toute sa place au territoire : « fi le territoire eft petit, comme celuy du Royaume imaginaire d’Ivetot, ou de la petite Republicelle de S. Marin. Le Seingneur ou le Senat de ce Territoire pourra fans doute entretenir une garnifon pour fe maintenir contre les defordres domestiques ; mais il ne pourra pas fe faire confiderer par dehors, pour ce qui regarde la Paix la Guerre et les Alliances des étrangers, (…) car cela eft refervé à ceux qui font maiftres d’un territoire affez confiderable, pour eftre appellez Souverains ou Potentas. » (Idem, p.15).

367 G.W. Leibniz, Ibidem, p.21. 368 Idem, p.19.

369 Idem, p.21. 370 Idem, p.21­22.

81. Pour conclure, cette lecture des auteurs anciens confirme que la souveraineté ne s’est imposée qu’après avoir pris corps dans l’espace371 : c’est « d’abord comme quelque chose qui s’exerce à l’intérieur du territoire que la souveraineté apparaît »372, disait très justement Michel Foucault. Pour cette raison, l’exclusivité territoriale mérite bien le titre de première manifestation de la souveraineté moderne. Le droit des gens emploie, d’ailleurs, indistinctement les termes de « souveraineté territoriale » et de « exclusivité territoriale » pour désigner l’espace soumis au pouvoir de l’Etat, par opposition à l’espace international. En droit international public, en effet, la frontière juridique a introduit un partage entre l’espace territorial où sévit le pouvoir de contrainte exclusif de l’Etat, et l’espace international à l’intérieur duquel une pluralité d’Etats sont susceptibles d’exercer simultanément leur pouvoir de contrainte. En somme, tout laisse à penser que le territoire juridique a joué, aussi, un rôle déterminant dans la construction du droit international classique373.

§2:

La structure fondamentale du

droit international classique

82. Il est des auteurs, comme Carl Schmitt, qui considèrent que tout ordre

est nécessairement lié à l’espace, à un nomos374. Cette affirmation,

probablement excessive lorsqu’elle prétend couvrir l’ensemble des sociétés humaines, conserve toute son acuité lorsqu’elle se cantonne à décrire l’ordre

371 R. Redslob, Histoire des grands principes du droit des gens depuis l’antiquité jusqu’à la veille de la grande

guerre, Rousseau Cie éd., Paris, 1923, p.142.

372 M. Foucault, « Sécurité, Territoire, Population » : Cours au collège de France (1977­1978), Seuil, 1997, p. 14. 373 V. n. la formule de la sentence arbitrale Island of Palmas case (Netherlands c/ United States of America), op.

cit., p.837 : « …the development of international law, have established this principle of the exclusive competence

of the State in regard to its own territory in such a way as to make it the point of departure in settling most questions that concern international relations ».

374 Toute réglementation aurait une origine spatiale et de « cette origine se nourrit (…) tout le droit subséquent et

tout ce qui est encore mandé et ordonné ultérieurement en manière d’édictons et de commandements » (C. Schmitt, Le nomos de la terre, op. cit., p.54). Le nomos, pour cet auteur, correspond à « un événement historique constituant, un acte de légitimité grâce auquel seulement la légalité de la simple loi commence à faire sens » (Idem, p.77).

moderne européen : le Jus Publicum Europaeum qui s’ébauche du XVIème au XVIIIème siècle. Le droit international inter­étatique, dit classique, repose sur une assise spatiale dont l’exclusivité territoriale est incontestablement la matrice (A). Sans surprise, par conséquent, bien des principes qui structurent ce droit international public moderne sont largement dictés (ou conditionnés) par le territoire et ses frontières (B).

A.

Le territoire comme

fondement du droit

international classique

83. Pour Carl Schmitt, il y a deux événements historiques constituants pour l’ordre moderne européen : « la prise territoriale d’un nouveau monde »375 de l’autre côté de l’Atlantique, ainsi que « la division du sol européen en territoires étatiques avec des frontières fixes »376. Il considère que le droit international inter­étatique a eu pour principal support, pour tremplin en quelque sorte, une « structure spatiale équilibrée de l’Etat territorial clos sur lui­même avec un espace imperméable et des frontières territoriales fixes »377. À ce sujet, si une date devait être retenue pour situer la naissance du nouvel ordre, la conclusion des Traités de Westphalie (1648) à l’issue de la guerre de trente ans serait certainement la plus appropriée378. Politiquement, cet accord reconnaît l’autonomie des Pays­Bas, la liberté des cantons suisses et organise le démembrement de l’Empire germanique379. Il rompt définitivement avec l’idée d’unité chrétienne qui régissait le monde

375 C. Schmitt, Ibidem, p.86. 376 Idem, p.149.

377 Idem, p.167. Ajoutons que pour Carl Schmitt la frontière séparation n’est pas seulement le fondement de

l’ordre européen, mais également son support quotidien : « Le système européen des Etats avait ainsi trouvé sa structure fixe comme ordre spatial entre puissances territorialement délimitées du sol européen. Ce n’étaient pas les engagements précaires des volontés souveraines « se liant elles­mêmes » qui formaient la véritable assis de cet ordre juridique international, mais l’appartenance à un système spatialement équilibré, ressenti en commun (…). Son fondement était l’espace territorial clos sur lui­même avec un ordre spécifiquement étatique » (Idem, p. 166).

378 L’ouverture du Congrès fut annoncée pour juillet 1643, la signature des traités intervint le 24 octobre 1648,

l’échange des ratifications eu lieu le 18 février 1649, et enfin un recès d’Empire, en 1654, a fait des traités une loi

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