• Aucun résultat trouvé

Les fondements de l’exclusivité territoriale

Chapitre I L’exclusivité territoriale au cœur de l’ordre moderne européen

Section 2 Les fondements de l’exclusivité territoriale

108. La définition de l’exclusivité territoriale, ainsi que son rôle prépondérant dans l’ordre moderne, ont été exposés. Reste à comprendre les conditions d’émergence de ce paradigme juridique centré sur le territoire. Quel fut le phénomène matériel qui, sous la forme achevée de l’exclusivité territoriale, donnera naissance à la notion moderne de souveraineté et d’Etat ? Le paradigme de l’exclusivité territoriale semble puiser sa source dans une puissance qui, indifférente à la possession du sol, est tributaire du processus dit de territorialité politique464 : la conquête du monopole de la violence légitime sur un espace déterminé. Il s’agit donc d’une puissance territoriale (§2) dont les caractéristiques s’opposent au système de domination qui l’a précédée : la puissance en propriété (§1).

§1:

L’ancienne puissance en

propriété

109. Après la chute de l’Empire Carolingien, le Roi de France n’est parvenu à conserver de ses anciennes prérogatives que le nom et la couronne. On assiste en Europe à la disparition de tout pouvoir politique central susceptible de contrôler de vastes espaces465. Période de troubles, au cours de laquelle l’homme va reprendre conscience de ses attaches avec les petits groupes dont

il peut attendre la protection que l’autorité centrale n’est plus en mesure de lui assurer466. Pour obtenir la paix, les hommes partent ainsi servir les grands : anciens hauts fonctionnaires, dignitaires ecclésiastiques et, surtout, grands propriétaires. Ceux­là mêmes qui avaient profité du déclin de l’Empire romain pour organiser leurs possessions domaniales (latifundium) en de véritables unités économiques et sociales autonomes, vont pouvoir placer sous leur protection personnelle les hommes et les villages situés dans leur voisinage. Une nouvelle autorité, la seigneurie, voit le jour. Elle sera le principal moteur d’un système féodal au sein duquel le pouvoir sera associé à la propriété (A), et l’espace configuré selon une logique de dépendances (B). Cette privatisation du pouvoir laissera des traces, en particulier dans le vocabulaire et dans les raisonnements juridiques, qui ne s’effaceront pas avec la disparition du système féodal (C).

A.

L’association du pouvoir et de

la propriété

110. La seigneurie va parvenir à s’interposer dans la protection des sujets et à s’emparer des pouvoirs autrefois détenus par le Roi467. Les grands propriétaires vont développer un pouvoir militaire (le potens), créer des polices privées, parfois se comporter comme juge et administrateur de leurs sujets. La seigneurie prend les allures d’un territoire à l’intérieur duquel le propriétaire peut exercer des droits de puissance publique468. Bref, au bas moyen âge, à la terre « s’attache non seulement la possibilité de vivre, mais

aussi l’exercice du pouvoir »469. La nature de ce dernier en ressort

transformée et va donner naissance au système féodal.

465 C. Vandermotten et J. Vanderburie, Territorialité et Politique, éd. de l’Université de Bruxelles, 2005, p.113. 466 M. Bloch, La société féodale. La formation des liens de dépendance, Albin Michel, Paris, 1949, p.220. 467 J. Ellul, Histoire des institutions. Le moyen âge, op.cit., p.128.

468 J. Ellul, Ibidem, p.158. 469 Idem, p.76.

111. La possession du sol, de la terre, en somme la richesse foncière470, par nature locale et multiple, devient la source matérielle exclusive du pouvoir de commandement, lequel se diffuse sous la forme de l’hommage et de la

reconnaissance de seigneurie. Le seigneur (domini)471, en vassalisant

l’individu, privatise l’obéissance et la sujétion au profit de liens de dépendance de nature personnelle. Ceux qui restent dépourvus de possession territoriale jouissent, en conséquence, de bien peu de considération472. Le Roi de France lui­même n’est puissant que dans la mesure où il tient directement le sol. En dehors de son domaine, seule la suzeraineté subsiste comme « organe de coordination »473. Le roi continue d’incarner le bien commun du royaume, mais il ne peut plus exercer les prérogatives qui font autorité auprès de ses sujets. Le système féodal réunit ainsi l’idée de pouvoir et celle de propriété : la « puissance du gouvernement se change alors en puissance de propriété (…). Tout ce qu’avait possédé la puissance publique semble être une dépendance et un attribut de la propriété et les revenus deviennent les produits de la seigneurie »474.

112. La distinction romaine entre l’imperium et le dominium, déjà sérieusement ébranlée par la vague des invasions germaniques et leur conception patrimoniale du pouvoir, s’efface complètement. Le terme de

dominium, bien qu’affilié depuis les origines à l’idée de propriété475, va sans complexe se greffer aux compétences généralement attachées à la puissance publique. Le pouvoir du seigneur, ou du Prince, devient un élément de leur

470 W. Schoenborn, « La nature juridique du territoire », op. cit., p. 97 : « …l’économie dite de l’argent qui avait

été prépondérante pendant les derniers siècles de l’antiquité est presque complètement éliminée par une forme d’économie qu’on pourrait appeler « naturelle », c’est­à­dire foncière ; dans l’Etat féodal, le seigneur rémunère ses fonctionnaires et vassaux en leur donnant de la propriété foncière, et c’est sur cette propriété que sont fondés la puissance, le prestige et la richesse ».

471 Baldus Ubaldus, sur CJ 4, 19, 4, In quartum et quintum Codicis libros Commentaria ; cité à partir de

Guillaume Leyte, « Imperium et Dominium chez les Glossateurs », Droits, n°22, 1995, p.20.

472 W. Schoenborn, « La nature juridique du territoire », op. cit., p. 98 : « Les “seigneurs” dépourvus d’une

possession territoriale correspondant à ce titre jouissent de peu de considération. Plus caractéristique peut­être encore que des surnoms comme celui de “Jean sans terre” qui sont appliqués à des seigneurs dépourvus de puissance ou dépossédés, est le sobriquet juridique scandinave de “rois” de la mer (“saekonungr”) ».

473 J. Ellul, Histoire des institutions. Le moyen âge, op. cit., p.132. 474 B. Barret­Kriegel, L’Etat et ses esclaves, Payot, Paris, 1989, p.55.

475 J.L. Ortolan, Explication historique des Institus de Justinien, t. 1, 4ème éd., Joubert, Paris, 1850, p.357 : « le

domaine c’est la propriété, parce qu’il nous rend la chose entièrement propre ». Bartole décrit aussi le dominium comme le « droit de disposer parfaitement d’une chose corporelle » (Bartolus a Saxoferrato, sur D.41, 2, 17, 1, In

primam Digesti novi partem Commentaria, Turin, 1589, f° 108 v°, n°4 ; cité à partir de G. Leyte, « Imperium et

patrimoine personnel. Il se transmet d’ailleurs régulièrement par des conventions matrimoniales476, ou par successions. Même la part d’autorité conservée entre les mains de l’Empereur prend une coloration patrimoniale. Celui qui prétendait être Dominus Universalis477, finit par confondre ses

propres prérogatives juridiques avec des biens matériels objets d’appropriation478. La propriété finira ainsi par influencer la conception impériale de la puissance publique479.

B.

La configuration de l’espace

selon une logique de

dépendance

113. Le maillage spatial de la puissance publique va, dans ce système politique de type patrimonial, se développer sur des logiques de droit privé. Les fiefs se détachent d’une couronne, d’un prince, pour se rattacher à une autre. Le pouvoir, et en particulier la faculté de contraindre, ne cesse de se segmenter, de se complexifier au gré des concessions, divisions et successions qu’autorise le droit féodal. Les clauses territoriales contenues dans les traités n’ont d’ailleurs pas pour objet de déterminer des limites séparatrices, mais simplement d’énumérer les terres cédées conformément à une logique de dépendance 480. Bref, le triomphe du régime seigneurial met

476 De nombreuses conventions de mariage incluaient des territoires dans la dot de la future épouse. Parmi tant

d’autres, il est possible de mentionner les mariages successifs de Anne de Bretagne avec les rois de France Charles VIII (6 décembre 1491) et Louis XII (7 janvier 1499) qui ont apporté le territoire de Bretagne au royaume de France (J.A. Barberis, « Les lien juridiques entre l’Etat et son territoire : perspective théoriques et évolution du droit international », An. Fr. dr. int., n°47, janvier 1999, p.134).

477 J. Gaudemet, « Dominium – Imperium. Les deux pouvoirs dans la Rome ancienne », op. cit., p. 17.

478 Significatif à cet égard est le contenu de la constitution de Roncaglia proclamée par Frédéric Barberousse en

1158, dans laquelle « ce qui était autrefois bien public ou commun devient désormais objet d’appropriation, soumis à une seule personne, non seulement pour un pouvoir général de réglementation, mais aussi dans le cadre d’un rapport de possession » (G. Leyte, « Imperium et Dominium chez les glossateurs », op. cit., p. 22).

479 J. Gaudemet, « Dominium – Imperium. Les deux pouvoirs dans la Rome ancienne », op. cit., p.17.

480 Cette logique de dépendance sera notamment systématisée par la théorie de la « mouvance féodale ».

Développée par les juristes au service du Roi, cette théorie veut que chaque fief procède nécessairement d’un autre fief plus vaste dont il a été démembré, de sorte qu’en remontant la chaîne des tenures à l’intérieur du royaume on devrait nécessairement in fine arrivé au domaine du roi. Le royaume de France apparaît ainsi comme « le champ territorial de la suzeraineté des Capétiens » (P. Sueur, Histoire du droit public français XV°-XVIII°

un terme à la distinction entre droit public et droit privé481, pour y substituer une approche patrimoniale du pouvoir politique dépourvue de territorialité ordonnée et intelligible482.

C.

La contagion durable des mots

et des mentalités

114. La conception privatiste du pouvoir et de l’espace va traverser l’époque médiévale et se graver profondément dans les esprits, au point de survivre au système qui l’avait façonnée.

115. Le paradigme qui régissait la société féodale ne va pas s’évaporer d’un coup devant le modèle de l’exclusivité territoriale. Bien au contraire, il continuera encore longtemps à imprégner les concepts et la terminologie du Droit international483. Le territoire de l’Etat apparaît encore souvent, chez nos contemporains, comme l’objet d’un droit réel : « une sorte d’immense cadastre national où se juxtaposeraient et s’emboîteraient, telles les pièces d’un puzzle, les propriétés privées et le domaine public »484. L’idée que le souverain est au territoire ce que le propriétaire est au champ n’a pas disparu. Le territoire était encore perçu, par certains hommes du XVIIIème siècle, comme une « maîtrise inaliénable d’une étendue, homogène et

481 A. Castaldo, Introduction historique au droit, 3ème éd., Dalloz, coll. Droit public Science politique, 2006, p. 56. 482 Pour plus de détails, v. infra Titre IPartie IIChapitre ISection 1§2:B.

483 W. Schoenborn, « La nature juridique du territoire », op. cit., p.103 : « On commença [au XVIIIe siècle],

surtout dans la science, à ressentir d’une façon toujours plus vive, la nécessité d’opérer une distinction très nette entre « imperium » et « dominium » en ce qui concerne le territoire de l’Etat. Mais si l’imperium, dans les effets qu’il produit à l’égard du territoire de l’État, n’est pas un dominium, comment peut­on déterminer avec exactitude son caractère juridique ? Ici commence à s’opérer une certaine scission dans l’interprétation scientifique, suivant qu’il s’agit des domaines de recherches du droit public et de la théorie générale de l’État ou qu’il s’agit du domaine du droit international ». Plus loin, l’auteur ajoute : « Cette terminologie et ces textes s’expliquent d’ailleurs par l’histoire même du droit des gens et par la lente évolution qu’ont précisément subie les théories relatives au territoire » (Idem, p. 114). V. a. du même ouvrage, p. 100 : « En raison de l’évolution toujours plus logique du système de l’État féodal, on voit finalement naître de ces prodromes juridiques l’idée qu’il existe une espèce de propriété supérieure de l’ensemble des fonds constituants un territoire et que cette propriété de l’ensemble des fonds constituant un territoire et que cette propriété suprême appartient de droit au souverain du pays ».

484 R. Matricon, Souveraineté territoriale – Recherche sur les évolutions et transformations d’une notion complexe

dans les situations politiques de cession, d’échange, d’adjonction et de sécession de territoire, Thèse pour le

clôturée »485. Conception patrimoniale du territoire qui continuera longtemps d’entacher les constructions juridiques des juristes. Certains exciperont de l’existence d’une « propriété internationale de l’Etat »486 ou d’un « droit réel de droit public »487 de l’Etat sur son territoire qui « revêt, comme la propriété de droit privé, le caractère général de domination exclusive et totale sur une chose matérielle »488. Pour les mêmes raisons, bien des auteurs modernes analyseront les rapports entre l’Etat et son territoire, en particulier le droit d’expropriation ou le droit de destruction à des fins militaires, sous le prisme du dominium (de droit public ?) ou d’un droit éminent489. Emer de Vattel lui­ même soutiendra que le « droit qui appartient à la société, ou au souverain, de disposer, en cas de nécessité et pour le salut public, de tout bien renfermé dans l’Etat, s’appelle Domaine éminent. Il est évident que ce Droit est nécessaire, en certains cas, à celui qui gouverne, et par conséquent qu’il fait partie de l’Empire, ou du souverain pouvoir, et doit être mis au nombre des

Droits de Majesté »490.

116. Cette approche du territoire de l’Etat, a priori tronquée, aura aussi une influence sur la définition de la nouvelle souveraineté territoriale491. Le Professeur Paul Fauchille, par exemple, attribue au domaine éminent de l’Etat la compétence dont celui­ci dispose, vis­à­vis des Etats étrangers, pour exercer « sur tout le territoire des droits de législation, de juridiction et de police dans le but de pourvoir à la prospérité de la nation. (…). Le territoire d’une nation est sa propriété exclusive. Seule, cette nation a le droit d’en user ; elle a le droit de repousser par la force toute tentative faite par une autre nation pour partager cet usage. Nul autre État ne peut à l’intérieur de ce

485 M. Korinman et M. Ronai, « Les idéologies du territoire », in : Histoire des idéologies – Savoir et pouvoir du

XVIII° au XX° siècles (sous la direct. F. Châtelet), t. 3, Hachette, Paris, 1978, p. 232.

486 P. Fauchille, Traité de droit international public, t.1, 8ème éd., Rousseau, Paris, 1922, p.450.

487 P. Laband, Le droit public de l’Empire Allemand, t. 1, Giard et Brière, coll. Biblio. Internationale de Droit

Public, 1900, p.287.

488 P. Laband, Ibidem, p.287.

489 L. Delbez, « Le concept d’internationalisation », R.G.D.I.P., n° 1, 1967, p.10.

490 E. de Vattel, Le droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliquées à la conduite et aux affaires des

nations et des souverains, nouvelle éd. par M.P. Pradier­Fodéré, Paris, 1863, t. 1, chap. XX, §244.

491 Samuel Von Pufendorf, par exemple, affirme encore à la fin du 17° siècle que « Il y a deux manière de

posséder la souveraineté (…) soit en pleine propriété dans le cas des royaume patrimoniaux ; soit à titre d’usufruit pour les royaumes usufructuaires » (Droit de la nature et des gens gens : ou systeme general des principes les

plus importans de la morale, de la jurisprudence, et de la politique (De jure naturae et gentium), trad. et notes de

territoire accomplir des actes de souveraineté, de juridiction, de police ou d’administration »492. Ils sont d’ailleurs nombreux à considérer que l’exclusivité territoriale procède d’un « droit d’utilisation du territoire : un jus

utendi, abutendi et fruendi »493. Des auteurs anglo­saxons iront jusqu’à établir l’existence d’une filiation entre le concept moderne de souveraineté et l’idée de « propriété »494 : « la redécouverte du concept privé de propriété absolue et exclusive en droit romain a indiscutablement contribué à la formulation du concept de souveraineté absolue et exclusive »495. Filiation qui s’étend, naturellement, aux frontières modernes : « Initialement, la légitimité des frontières interétatiques était définie en terme dynastique : le territoire de l’Etat était la propriété exclusive de la famille régnante, laquelle disposait d’un droit absolu à gouverner son territoire »496. Le droit public interne n’est d’ailleurs pas non plus exempt de tout reproche à ce sujet. L’article 53 al.3 de la Constitution française de 1958497, par exemple, laisse entendre que le territoire est l’objet d’un rapport de possession dans la mesure où il peut faire l’objet de « cession » ou d’ « échange ». Tout aussi maladroitement, il est possible de citer l’article L 110 du Code de l’urbanisme qui dispose que « Le territoire français est le patrimoine commun de la Nation ».

117. En résumé, la lecture d’une certaine doctrine juridique donne le sentiment que le territoire politique et juridique qui triomphe à l’aube de la modernité n’aurait été qu’un prolongement historique, transformé et amélioré, du pouvoir de commandement qui prévalait sous l’époque médiévale. Il n’y a pas eu rupture, mais continuité des modes d’expression du pouvoir politique,

492 P. Fauchille, Traité de Droit international public, op. cit., p.450.

493 E. Suy, « Réflexions sur la distinction entre la souveraineté et la compétence territoriale », in : Internationale

Festchrift für Alfred Verdoss zum 80. Geburtstag, München­Salzburg, 1971, p.508. V. a. J.A. Barberis, « Les lien

juridiques entre l’Etat et son territoire », op. cit., p.146.

494 W.E. Hall, A treatise on International Law, 8ème éd., A. Pearce Higgins, Oxford University Press, Londres,

1924, p.125 et suiv. ; O. Lawrence, The Principles of International Law, 7e éd., Winfield, London, 1923, p. 136. 495 J. Ruggie, « Territoriality and Beyond: Problematizing in International Relations » (trad. par l’auteur),

International Organization, vol. 47, n° 1, 1993, p.157: « the rediscovery of the concept of absolute and exclusive

private property from Roman law no doubt aided in formulating the concept of absolute and exclusive sovereignty ».

496 M. W. Zacher, « The Territorial Integrity Norm : International Boundaries and the Use of Force » (trad. par

l’auteur), International Organization, vol. 55, n° 2, 2001, p. 216: « Initially, the legitimacy of interstate borders was defined in dynastic terms : state territory was the exclusive property of ruling families, and they had an absolute right to rule their territories ».

497 « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations

du Moyen Age à la modernité politique. Cette confusion terminologique et conceptuelle contraste cependant avec les mots employés par les théoriciens de l’Etat moderne qui attachent une attention particulière à la notion d’imperium au sens romain. À croire que « le droit de l’Etat sur son territoire n’a pas subi, en droit international, l’évolution qui en droit interne a porté ce droit de la classe des droits typiquement privés de dominium dans la classe, typique du droit public, des rapports d’imperium »498. Pourtant, pas plus que le royaume (ou territoire) ne fut l’aboutissement de l’extension du domaine royal499, la puissance territoriale ne constitue un perfectionnement du système féodal. À ce sujet, il est des signes qui ne trompent pas : le déclin de la notion de servitude internationale en est un500. Selon une sentence arbitrale du début du XXème siècle, « la doctrine de la servitude internationale à laquelle il est fait référence ici tire son origine des conditions spécifiques et aujourd’hui obsolètes qui prévalaient à l’époque du Saint Empire romain sous lequel les

domini terrae n’était pas entièrement souverains (…). Leur droit était plus

d’une nature civile que d’une nature publique, ressemblant plus au dominium qu’à l’imperium, et par conséquent ne correspondant pas à une complète souveraineté »501. Cette position sera ultérieurement confirmée par la C.P.J.I.502, ainsi que par le Conseil de la SDN503. L’émergence du territoire juridique, sous l’impulsion de la territorialité politique, constitue bien le signe tangible d’une rupture avec l’ancien paradigme politique de la propriété. L’exclusivité territoriale n’est pas une émanation du monde

498 G. Arango­Ruiz, L’Etat dans le sens du droit des Gens et la Notion du Droit international, Cooperativa

Libraria Universitaria, Bologna, 1975 p. 57.

499 C. Lavialle, « De la fonction du territoire et de la domanialité dans la genèse de l’Etat dans l’ancienne

France », Droits, n°15, 1992, p. 24 : le royaume doit en effet être nettement distingué du domaine, puisque le premier « ne s’est pas constitué par l’élargissement progressif du domaine initial d’Hugues Capet mais par l’affirmation idéologique qu’il n’y avait de territoire que royal et qu’en conséquence les différentes seigneuries devaient nécessairement se fondre dans un royaume. Ainsi c’est par une remise en cause du système des fiefs plus que pas des gains de terres que le royaume de France s’est constitué ».

500 W. Schoenborn, « La nature juridique du territoire », op. cit., p. 109 : « …aujourd’hui on doute fortement qu’il

existe encore, en réalité, de véritables servitudes de droit international, et même que ces servitudes soient réellement compatibles, en principe, avec l’essence du droit des gens modernes et de l’Etat moderne ».

501 Affaire des pêcheurs du Nord de l’Atlantique (Etats­Unis c/ Grande Bretagne) (trad. par l’auteur), Cour

Permanente d’Arbitrage, arrêt du 7 septembre 1910, R.S.A., vol.XI, p. 182 : « the doctrine of international servitude in the sense which is now sought to be attributed to it originated in the peculiar and now obsolete

Documents relatifs