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Rôle des intégrines dans la propagation métastatique

D. Intégrines et Cancers

3. Rôle des intégrines dans la propagation métastatique

Le processus métastatique a plusieurs étapes qui requièrent que la cellule cancéreuse échappe à la tumeur primaire, survive dans la circulation et colonise des sites à distance puis prolifère. Comme les intégrines peuvent influer sur nombre de ces étapes, il n'est pas surprenant que l'augmentation d'expression de certaines intégrines dans la tumeur primaire soit associée à un mauvais pronostic et une augmentation du potentiel métastatique de nombreux cancers (Desgrosellier and Cheresh, 2010). Cette augmentation d'expression peut refléter un grand nombre de CSCs avec un enrichissement de certaines intégrines (Medema, 2013), et peut expliquer pourquoi certaines tumeurs progressent alors que d'autres non. De plus, l'expression des intégrines dans les CSCs et les autres cellules tumorales peut être induite par le microenvironnement (Finger and Giaccia, 2010; Ziaee and Chung, 2014), résultant en l'augmentation de la signalisation intégrine qui stimule les différentes étapes responsables de la progression métastatique.

a. L'invasion locale

La phase initiale de la dissémination tumorale depuis le site primaire implique de nombreux signaux pouvant être modulés par plusieurs intégrines (Desgrosellier and Cheresh, 2010; Weis and Cheresh, 2013). Au cours de l'invasion locale, une cellule cancéreuse utilise des mécanismes de migration similaire par exemple aux cellules embryonnaires, acquérant la capacité de s'étendre à travers les tissus et d'envahir la matrice extracellulaire. Cette transition de type épithélio- mésenchymateuse (EMT) est essentielle durant le développement et empruntée au cours de la transformation tumorale. Ce mécanisme impliquant la dissociation des jonctions cellules-cellules, la réorganisation du cytosquelette et l'acquisition de marqueurs mésenchymateux (Lamouille et al., 2014), les intégrines jouent donc un rôle de premier plan au cours de cette transition survenant entre les phases RGP et VGP du mélanome (Haass et al., 2005).

Il a été rapporté que de hauts niveaux d'αVβ6 dans le cancer du colon réduisent la survie médiane des patients comparé aux cancers avec peu d' αvβ6 (Bates et al., 2005). Il a ainsi été suggéré

une activation du TGFβ1 dépendante d' αVβ6, qui en conséquence potentialise l'EMT (Khan and Marshall, 2016).

La diminution d'expression de la sous-unité β1 dans le cancer du sein supprime la croissance tumorale mais augmente les métastases au poumon (Truong et al., 2014). Dans des matrices 3D in

vitro, l'inhibition de β1 par anticorps bloquant ou suppression génétique provoque le passage d'une

migration collective en une migration de cellules indépendantes, ceci étant dépendant de l'augmentation de la voie du TGFβ1 et corrélé à la perte de la cadhérine E. La suppression du TGFβ1 ou la réexpression de la cadhérine E restaure la migration collective dans les cellules déficientes pour β1, réduisant leur potentiel métastatique (Truong et al., 2014).

Parfois, la stimulation de la voie du TGF par les intégrines est indirecte. Il a ainsi été montré que l'αvβ3 augmentait l'EMT induite par le TGFβ1 dans les cellules mammaires MCF10A en liant directement le FGF1 et le rendant accessible aux récepteurs FGFR1 (Mori et al., 2015). Cet engagement entre αvβ3 et le FGF1 et la signalisation du FGFR1 sont nécessaires pour induire l'EMT. Le TGFβ1 peut également augmenter l'expression et la sécrétion de la fibuline 5, une glycoprotéine porteuse d'un motif RGD et capable de se lier aux intégrines α5β1, αvβ3 et αvβ5 (Yanagisawa et al., 2009). La fibuline 5 est exprimée durant le développement et est seulement ré-exprimée dans les tissus blessés les cellules subissant une EMT. De plus, la fibuline 5 stimule l'expression et l'activité des MMP-2 et 9, et augmente l'invasion des cellules épithéliales mammaires probablement par l'augmentation de Twist et la diminution de la cadhérine E. Cependant le lien direct entre la fibuline 5 et les intégrines au cours de l'EMT reste à être formellement établi (Lee et al., 2008).

Il a également été montré que des mutations de la protéine p53 pouvait contribuer au développement des cancers, favorisant un phénotype invasif et la formation de métastases in vivo par l'induction du recyclage des intégrines dépendant de RCP, promouvant la signalisation et le trafique des récepteurs aux facteurs de croissance (Muller et al., 2009). Ceci peut stimuler la migration et l'invasion, la réponse précise vis à vis du mutant de p53 dépendant du contexte cellulaire. Ainsi, si la mutation de p53 peut dans certains cas affecter négativement la survie cellulaire (Brosh and Rotter, 2009), elle peut dans d'autres participer à la progression tumorale (Muller et al., 2009).

b. Survie en suspension dans le flot sanguin

Les cellules normales dépendent des intégrines pour relayer la stimulation de la matrice extracellulaire, assurant ainsi le maintien de l'intégrité de l'organe et prévenant les cellules de s'égarer dans d'autres tissus. Alors que les cellules tumorales montrent une certaine indépendance vis à vis de leur support, leur détachement de la matrice peut induire la mort cellulaire. Une fois que

les cellules tumorales échappent au site primaire et intravasent dans les vaisseaux sanguins ou lymphatiques, elles doivent s'adapter pour survivre à l'absence d'adhésion à une matrice.

De plus en plus de preuves indiquent que les intégrines ont un rôle central dans le contrôle de la croissance et de la survie dans ces conditions indépendantes de l'ancrage à la matrice, une propriété critique pour la formation de métastases. Par exemple, l'intégrine β1 stimule la croissance indépendante de l'adhésion dans les cancers de la prostate (Schooley et al., 2012) et du sein (Cagnet et al., 2014) en activant une cascade FAK/PAK/MAPK, alors que l'intégrine β3 interagit avec c-Src indépendamment de la signalisation de FAK pour favoriser l'indépendance à l'ancrage matriciel et les métastases lymphatiques dans ces ceux modèles (Desgrosellier et al., 2014).

Ce paradigme de croissance indépendante de l'adhésion via les intégrines pourrait être expliqué en partie par la capacité d'intégrines spécifiques à former des agrégats membranaires en réponse aux facteurs de croissance et d'oncogènes, transmettant ainsi une signalisation pro-survie (Seguin et al., 2014; Shin et al., 2013).

c. Colonisation de la niche métastatique

La colonisation métastatique d'organes à distance requiert la survie cellulaire et l'expansion des cellules cancéreuses à chaque site secondaire. Ce processus n'est accompli avec succès que pour peu de cellules cancéreuses atteignant l'organe en question, implantant une "niche métastatique" qui a besoin d'une interaction spécifique entre les cellules cancéreuses et la matrice environnante. Etant donné que le panel d'intégrines exprimé par chaque cellule tumorale dicte la capacité de cette cellule à répondre à une niche particulière et à initier la colonisation métastatique, les intégrines doivent jouer un rôle important dans l'acclimatation des cellules tumorales aux microenvironnement de chaque organe pour promouvoir la formation des métastases.

La tendance à métastaser a récemment été relié à l'accumulation de certaines protéines matricielles à l'intérieur d'une niche métastatique donnée. Le ténascine C est un ligand des intégrines β1 et β3 produit dans la niche métastatique pulmonaire et est corrélée à un mauvais pronostic dans le cancer du sein (Oskarsson et al., 2011). La périostine est un ligand d'αVβ3 et αVβ5 qui est enrichi dans les métastases lymphatiques du cancer du sein (Malanchi et al., 2012). Les cellules de cancer du sein expriment L1-CAM (L1 cell adhesion molecule), un ligand de αvβ3 qui est requis pour la formation de métastases au poumon, permettant aux cellules tumorales de se lier et extravaser à travers l'endothélium pulmonaire (Zhang et al., 2012a).

La protéine VCAM1 (vascular cell adhesion molecule 1) dirige la propagation métastatique des cellules tumorales au ganglion lymphatique, permettant la liaison à l'intégrine α4β1 exprimée par les cellules endothéliales ganglionnaires. Le remodelage des ganglions par la voie VEGF/PI3K active

l'α4β1 de l'endothélium, qui à son tour sert de ligand adhésif pour les cellules tumorales positives pour VCAM1 (Garmy-Susini et al., 2013). Comme la liaison de α4β1 à VCAM1 contribue également à l'arrêt dans la vaisseau et à l'extravasation des cellules de lymphomes et de mélanome au poumon et à la rate, cette liaison dépendante des intégrines est une cible potentielle de thérapie anticancéreuse (Schlesinger and Bendas, 2015). Similairement, les intégrines αvβ3, α2β1 et α4β1 jouent des rôles majeurs dans les métastases osseuses, leurs ligands parmi les protéines matricielles étant naturellement exprimées dans les cellules des tissus osseux : αVβ3 liant l'ostéopontine, tandis que α2β1 et α4β1 se lient au collagène de type 1 de la matrice osseuse et VCAM1 aux cellules endothéliales osseuses (Esposito and Kang, 2014).

Ces exemples présentent la complexité des liaisons intégrines/ligands qui gouvernent comment et où les cellules tumorales circulantes forment de nouvelles micro métastases. Une fois implantées à l'intérieur d'une niche appropriée, les cellules tumorales s'adaptent à nouveau pour permettre leur survie et leur prolifération. L'intégrine β1 engendre des protrusions semblables à des filopodes qui supportent l'interaction initiale entre les cellules cancéreuses ayant extravasés avec les composants matriciels locaux, ce qui aide les cellules à induire les voies de signalisation dépendantes de l'adhésion incluant l'activation de FAK, qui phosphoryle ensuite ERK et menant à la prolifération rapide de ces cellules à l'intérieur du tissu hôte (Shibue et al., 2012; Shibue and Weinberg, 2009). Il est aussi probable que les intégrines, qui supportent la croissance indépendante de l'ancrage à la matrice et qui avantagent les cellules tumorales circulantes, auront moins d'importance pour la dernière étape de l'implantation de métastases lorsque la croissance dépendante de l'adhésion prévaut. Cependant, il est important de noter qu'une seule intégrine peut réguler plusieurs aspects différents de la progression tumorale. Par exemple, l'intégrine αvβ3 non-liée à son ligand augmente la reprogrammation des cellules cancéreuses vers un état "souche", alors que cette même αvβ3 associée à son ligand peut produire une signalisation issue de la matrice induisant l'invasion et la prolifération.

L'éducation de la niche métastatique par les cellules cancereuses est également réalisée par les exosomes dérivés des tumeurs. Les exosomes sont ainsi porteurs de nombreuses intégrines, distinctes du répertoire des cellules tumorales d'origines, et qui dictent leur spécificité d'adhésion à certains types cellulaires et molécules de la MEC (Hoshino et al., 2015). Notamment, les exosomes exprimant l'intégrine αvβ5 se lient spécifiquement aux cellules de Kupffer, leur conférant un tropisme hépatique, alors que l'intégrine α6β1 leur permet d'adhérer aux fibroblastes et aux cellules épithéliales pulmonaires, responsable du tropisme au poumon.

d.

Rôles dans la néo-angiogenèse

αVβ3 et αVβ5 participent à la progression tumorale par leur rôle dans l'angiogénèse mais également dans les métastases (Robinson and Hodivala-Dilke, 2011). L'hypoxie peut déclencher le "switch angiogénique" dans les tumeurs dormantes (Bergers and Benjamin, 2003), induisant la sécrétion de facteurs de croissances comme le VEGF. En conséquence, les cellules progénitrices endothéliales angiogéniques sont recrutées de la moelle osseuse au stroma tumoral. Les cellules endothéliales sont capturées par la matrice tumorale riche en vitronectine et fibronectine et contribuent ainsi à la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, alimentant la tumeur en oxygène et en nutriments (Weis and Cheresh, 2011b).