DES QUATRE TYPES DE PARCOURS
6.3. LE RÔLE CLEF DE L’EMPLOI QUEL QUE SOIT LE PARCOURS
Comme nous l’avons vu, la raison initiale de la migration chez les personnes rencontrées est d’ordre économique. L’un des premiers objectifs est donc de générer des revenus permettant de subvenir aux besoins immédiats, et d’envisager un avenir plus serein, en France ou dans le pays d’origine. La perspective d’un emploi légal, stable et
82 6 | ANALYSE TRANSVERSALE DES QUATRE TYPES DE PARCOURS
« Donc je suis rentrée à la mission locale, et j’ai fait une formation professionnelle pour maîtriser la langue française. C’était une année et six mois la formation (...) Et c’était très dur pour nous de faire ça, parce que mon mari il ne pouvait pas se débrouiller avec les enfants, les amener à l’école, faire la ferraille, et quand j'amenais à manger j’étais à la formation de 8 heures 30 à 5 heures du soir. Tous les jours, même si des fois je savais pas s’il y avait même une baguette à la maison pour mes enfants. (...) A la formation on a fait tous les trucs qu’on fait à l’école, pour écrire, lire, compter, mathématiques, et tout ça. C’était bien parce que moi en fait j’ai eu un peu d’école chez moi quand j’étais petite, mais j’ai eu six années d’école (...) Après j’ai fait la formation, et dans cette formation, j’ai effectué des stages. Trois stages, qu’ils appellent “découverte de métier”. Le premier stage c’était dans un coiffeur afro américain !(...) Le
2ème stage je l’ai fait à Monoprix. Le commerce. (...) En tout, dans les stages que j’ai effectués, j’ai fait 45 jours gratuits, sans rien avoir, même pas de l’eau (...) J’ai eu 340 euros par mois. C’était toutes les ressources qu’on a eues. Et le troisième stage, je l’ai fait à l’hôtel Ibis. Là j’ai trouvé des personnes très gentilles avec moi, ils ont bien compris que je suis intégrée, et tout ça, la chef elle était une femme très ouverte, je pouvais parler avec elle, c’était bien.
Je sers le petit déjeuner le matin. 6 heures 30 – 14 heures. C’était dur de me lever à 5 heures tous les matins !(...) parce que si je me levais après, je pouvais pas arriver au travail. Je prenais le bus qui va là-bas, et j’arrivais avec une demi-heure d’avance tout le temps, comme ça dans ma tête je pensais si j’arrive avant ça va être bien. Même si je travaille une demi-heure en plus c’est pas grave, mais je dois travailler là. J’ai fini bien le stage, et après la chef elle m’a dit si je peux laisser mon numéro
de téléphone, c’est possible que je peux travailler un peu. Pas tout le temps, mais pour les remplacements, dans l’été. J’ai laissé le numéro, je suis retournée à la formation, et après quelques temps, c’est passé quelques semaines ou mois, elle m’a appelée et elle m’a dit si je voulais travailler pour deux semaines ; et j’ai accepté. C’était mon premier travail où j’étais payée.
Aujourd’hui je travaille toujours là bas ».
Ce témoignage démontre à la fois le poids des contraintes familiales et financières que peut représenter le suivi d’une formation longue - mais également le processus progressif d’insertion qui se joue durant cette période, à travers la création d’un réseau professionnel de confiance, l’acquisition de codes culturels et professionnels.
LE PARCOURSDE MME S, 26 ANS, ESTPARTICULIÈREMENTÉCLAIRANTSUR LESDIFFÉRENTES
40 Le salaire brut moyen en Roumanie est de 500 euros par mois, le salaire brut minimum est fixé à 220 euros.
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DU BIDONVILLE A LA VILLE : VERS LA “VIE NORMALE” ?
financièrement intéressant40, si elle semble d’abord lointaine pour les personnes, demeure pour beaucoup le “graal” à atteindre, et l’assurance d’une sortie de l'extrême précarité.
Par ailleurs, l’accès à l’emploi légal est une porte vers le système social, par l’ouverture des droits qu’il enclenche. De ce point de vue, il peut être considéré comme la clef de voûte d’une insertion pérenne, plus que d’autres dimensions comme l’accès à l’hébergement ou au logement. On peut alors percevoir l’impact très importants des mesures transitoires appliquées entre 2007 et 2014 aux citoyens roumains et bulgares. Les personnes interrogées dans le cadre de l’étude les considéraient lorsqu’elles étaient en vigueur comme l’obstacle principal concernant leur accès à l’emploi.
UN
ACCÈS
LENT
ET
HASARDEUX
À
L’EMPLOI
LÉGAL
Comme nous l’avons vu plus haut, les mesures transitoires ont énormément freiné l’accès à l’emploi des personnes d’origine roumaine et bulgare.
Hormis quelques personnes qui ont su profiter du statut d’auto-entrepreneur pour accéder à un statut d’indépendant et se faire une première expérience professionnelle valorisante, une quinzaine de personnes41 a pu bénéficier d’insertion professionnelle via des formations rémunérées par Pôle emploi ou les missions locales.
La rencontre avec un employeur militant ou le fait de posséder le permis de conduire ont accéléré les parcours d’insertion professionnelle. Néanmoins, généralement, ces parcours sont longs et parsemés d’embûches. Après une première activité de débrouille ou de survie, comme étudié plus haut (Chapitre 4.3), s’ensuit une période d’activité non déclarée, puis un contrat à temps partiel le plus souvent en CDD puis enfin un poste en CDI mais rarement à temps plein. De nombreuses femmes ont cumulé et cumulent encore des emplois, en heures décalées et souvent sur un lieu de travail très éloigné de leur domicile.
« On a ouvert un statut d’auto-entrepreneur. On l’a déposé en janvier et au bout de 3 mois on a eu le RSA. On fait de la ferraille, on fait 300 euros par mois. L’assistante sociale nous a dit de nous inscrire à Pôle Emploi et on fait des cours de français depuis où on apprend à se débrouiller pour le quotidien. » Homme,
40 ans.
Monsieur A. est venu en France en 2008 rejoindre sa femme qui suit un CAP en France. Monsieur récupère le poste de l’oncle de sa femme dans une entreprise d’isolation. De son côté Madame ouvre un statut d’auto- entrepreneur pour vendre des fleurs sur les marchés. En 2013, alors que son patron refuse toujours de le déclarer, Monsieur quitte son poste. Il retrouve rapidement un emploi déclaré mais à temps partiel. En mars 2014, il signe enfin un CDI à temps plein. Madame clôture alors sa structure d’auto- entrepreneur contrainte de garder son dernier né, sans mode de garde.
L’EMPLOI
D’INSERTION : UNE
ÉTAPE
QUASIMENT
INCONTOURNABLE
compétences particulières, l’accès direct au marché de l’emploi “ordinaire” est rare. La plupart des personnes de l’échantillon ont ainsi eu recours aux contrats d’insertion professionnelle (par exemple, les CUI présentés au chapitre 5.1), qui semblent une étape incontournable et adaptée pour accéder à l’emploi.
Il est important de rappeler que l’accès à un emploi stable et déclaré déclenche l’ouverture des droits sociaux (RSA, ASSEDIC - devenu ARE - mais aussi les allocations familiales) d’une part mais aussi l’accès à l’hébergement stabilisé ou au logement pérenne. Pour toutes les personnes interrogées, il ressort de manière forte un avant et un après l’emploi déclaré (quel que soit le type de contrat) ou la formation. La stabilité financière, associée à une scolarisation effective de leurs enfants, a permis aux personnes de se projeter sur le long terme.