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A l’inverse d’une période grise courte, le temps moyen d’insertion est de quatre ans et demi, ce qui, comparé aux autres catégories, est une durée longue (deux ans pour les “protégés” et trois ans pour les “autonomes”). Ce résultat peut sembler paradoxal car les personnes ont bénéficié d’un accompagnement par une équipe dédiée. Par ailleurs, avant 2014, elles auraient dû être moins confrontées aux difficultés administratives pour l’obtention d’une carte de séjour, les préfectures participant à la plupart des MOUS. Si l’insertion s’est révélée aussi longue c’est que dans la plupart des projets intégrés par les personnes de l’échantillon, la question de l’emploi ne s’est posée qu’en fin de parcours. Durant la quasi-totalité de la prise en charge, la majorité des personnes interrogées ont continué leurs activités antérieures, de ferraille, de mendicité ou de ventes de vêtements, par exemple.

« Je faisais la ferraille jusqu’en 2008 [le projet a démarré en 2004]. Ensuite

pour rester dans le village ils nous ont demandé de faire une formation. Je me suis inscrit à l’INALCO dans des cours de langue romani. On était trois dans ce cas. Les responsables du projet nous ont dit qu’on a pas le droit de s’inscrire à l’université pour rester dans le projet. J’ai dit “c’est quoi ça ?” ». Homme, 30

ans.

Dans près de 70% des cas ce sont les acteurs de la MOUS (voir chapitre 5.1) qui, durant la dernière année ou les six derniers mois avant la fermeture, ont cherché activement un travail pour les personnes du projet. Le temps étant relativement limité, ce sont surtout les personnes qui avaient un niveau d’étude élevé ou qui travaillaient déjà sans être déclarées qui ont obtenu un contrat de travail avant la fermeture.

Dans cette catégorie, malgré une amélioration de leur situation par rapport à l’emploi au sortir du projet, la majorité des personnes interrogées se sont plaintes de leurs conditions de travail injustes en raison, selon elles, de leur statut social.

« Elle [l’assistante sociale] a vu que je travaillais au black avec mon père dans

les chantiers, la ferraille et autres. Elle m’a proposé ce travail. Du coup, je suis allé à l’entretien d’embauche, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas m’embaucher car je n’avais pas de papiers et du coup, une fois que j’ai fait les démarches ils m’ont tout de suite embauché alors que j’avais juste le récépissé de la préfecture. L’employeur m’a fait une attestation pour pas que j’ai de problème. Puis j’ai obtenu ma carte de séjour en septembre 2010 et il m’a fait ensuite un CDI. J’étais content. Mais le patron quand tu travailles il te demande de faire beaucoup de choses gratuitement. Il sait que tu ne connais pas les lois, il te demande de travailler gratuitement en dehors des heures où tu es payé. Au début, tu le fais pour dépanner mais après il te demande de le faire tout le temps. » Homme, 32 ans.

Les personnes de l’échantillon qui n’ont pas trouvé de travail via la MOUS (30 %) ont bénéficié, après la fermeture du projet, d’un suivi par des associations ou des collectifs qui

37 La famille a été admise en raison de gros problèmes de santé de l’un de ses enfants. Le conseil général lui a proposé un travail dans le tri de carton pour stabiliser la situation de cette famille.

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DU BIDONVILLE A LA VILLE : VERS LA “VIE NORMALE” ?

les ont orientés vers Pôle emploi, ce qui a permis leur insertion professionnelle.

S’agissant du logement, là encore, en majorité c’est la MOUS qui les a mis en contact avec une assistante sociale de la ville pour les aider à trouver un logement ou à déposer une demande. Ces démarches ont abouti pour les ceux qui avaient des enfants à charge. Les personnes seules sont passées par les foyers de jeunes travailleurs ou par le parc privé une fois qu’elles ont obtenu un contrat de travail en bonne et due forme.

DIFFICULTÉS ET POINTS À RETENIR

D’après les entretiens, la principale difficulté concernant les personnes ayant intégré un dispositif de type “village d’insertion” est de maintenir chez elles une motivation pour la recherche d’un logement et d’un emploi. La grande majorité des personnes interrogées n’ont pas entamé de démarches en ce sens lors de leur période de prise en charge. Elles ont attendu que la date de fermeture soit arrêtée et qu’on leur propose un travail. Cela explique que seules celles qui avaient un bagage scolaire et professionnel suffisant aient pu être embauchées rapidement. En revanche, celles qui ont quitté le projet avant son terme suite à un différend se sont mises dans une démarche de recherche d’emploi active. Sur le plan linguistique, si au début des projets, seules 35 % des personnes de l’échantillon avaient un niveau de compréhension suffisant, à la fin, seule une personne37 n’était pas capable de converser en français.

L’exemple des projets dédiés met en lumière la difficulté d’une insertion par le logement antérieure à l’insertion par le travail et sans contrepartie. En effet, la plupart des familles ont intégré des mobil-home dont les conditions de confort étaient, d’après elles, souvent supérieures à celles de leur logement en Roumanie ou en Bulgarie. Si dans l’esprit des acteurs des villages d’insertion, il s’agit bien d’un hébergement temporaire pour lesquels il peut être demandé une participation basée sur un pourcentage des revenus, aucun loyer n’est réclamé, pour la plupart des personnes, ces préfabriqués sont perçus comme des maisons. La durée des projets étant relativement longue, de trois à sept ans concernant les personnes de l’échantillon, peu d’entre elles sont alors motivées pour quitter ces lieux bon marché en se mettant à la recherche d’un travail déclaré qui implique, par conséquent, le départ du projet. Ils préfèrent ainsi continuer voire développer leurs activités non déclarées qui leur assurent un complément de revenus (par rapport aux subsides qu’ils pouvaient parfois toucher via le projet).

« Tu vois quand on était au Hameau [projet dédié], on avait de l’espace pour faire de la ferraille, pour les enfants, ma femme avait une cuisine toute neuve comme elle avait jamais vu en Roumanie. Ici [logement actuel de la famille

appartenant au parc HLM], c’est petit, les voisins font du bruit, les escaliers

sont sales. A la fin du mois, après avoir travaillé tous les jours, il me reste moins de 200 euros pour faire vivre ma famille. » Homme, 28 ans.

Les différents témoignages sur la dureté des conditions de travail, une fois salarié, ont surtout été exprimés par les personnes de la catégorie “sélectionnés”. S’ils soulignent des abus souvent bien réels, ils reflètent aussi le choc de la fin de projet où les personnes se retrouvent face à des horaires contraignants, des salaires faibles et des loyers à payer.

LESAUTONOMES

PROFIL SOCIOLOGIQUE

Au sein de cette catégorie, seuls 59 % des individus savent lire et écrire et 35 % ont suivi une scolarité jusqu’au lycée. Le niveau scolaire est par conséquent inférieur à la moyenne générale de l’échantillon. Cette situation très contrastée s’explique par la présence de nombreuses personnes qui ont passé une partie de leur enfance en bidonville en France sans avoir été scolarisées (30 %). Concernant la maîtrise du français, 70 % avaient un niveau moyen ou bon avant leur insertion proprement dite. Pour les autres, ne bénéficiant pas de soutien, le préalable pour accomplir des démarches seules a été la maîtrise de la langue. Les personnes de cette catégorie semblent avoir des aptitudes plus développées dans ce domaine que la moyenne générale. Ajoutons que 35 % maîtrisent une autre langue que les langues maternelles et le français en raison d’expériences de migration antérieures. Deux disent même parler couramment cinq langues.

MODALITÉS D’ENTRÉE

La difficulté principale pour les “autonomes” avant 2014 a été l’obtention de la carte de séjour et la compréhension du système administratif français. Pour cette raison, la durée de la période grise, avant le début de l’insertion, est de six ans en moyenne. Parmi les individus de cette catégorie, 53 % ont obtenu une carte de séjour avant 2014 dont environ la moitié pour raisons de santé et l’autre via le statut d’auto-entrepreneur ou grâce à l’obtention d’un travail. Dans ce dernier cas, soit ils travaillaient sans être déclarés puis leur employeur a effectué les démarches, soit, en raison de leur niveau de français, ils se sont proposés comme médiateurs auprès des autorités ou des associations. Cette activité leur a permis de se faire un certain nombre de relations qui ont facilité leur régularisation. Pour ceux n’ayant pas pu obtenir un titre de séjour, à partir de 2014 la fin des mesures transitoires leur a permis, pour moitié, de déclarer leur travail qui jusqu’alors était non déclaré. Quant à l’autre moitié, elle est passée par l’intermédiaire des missions locales ou de Pôle emploi qui leur ont obtenu des formations rémunérées débouchant sur un travail ou ont ouvert un statut d’auto-entrepreneur.