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L E POIDS DES MESURES TRANSITOIRES

3.3. L’INSTALLATION DANS LE BIDONVILLE

LE

BIDONVILLE, UN

CHOIX

PAR

DÉFAUT

Le bidonville (voir la définition donnée dans le chapitre 1. de ce rapport) reste, pour les migrants interrogés, un choix par défaut. La résurgence de ces lieux est la combinaison de plusieurs facteurs :

vingt ans de politiques publiques françaises à l’égard des ressortissants roumains et bulgares : comme nous l’avons souligné en amont (chapitre 3.1), elles expliquent en grande partie la résurgence des bidonvilles en France. N’ayant pas accès au droit commun, les personnes ont dû trouver des stratégies adaptées à chaque territoire ;

les difficultés d’accès à l’hébergement et au logement, privé ou public, des populations immigrées en France auxquelles s’ajoute le coût du logement inadapté aux ressources des personnes, surtout lorsque ces dernières n’ont pas accès à l’emploi. Ainsi, l’augmentation de la part des étrangers parmi les personnes sans domicile fixe, est passée de 38 % en 2001 à 53 % en 2012, soit une part neuf fois plus importante que dans la population de France métropolitaine24 ;

une migration de type familial : contrairement à d’autres mouvements migratoires, beaucoup de personnes vivant aujourd’hui dans des bidonvilles sont arrivées en famille. L’hébergement d’urgence n’est pas proposé pour les primo-migrants considérés soit comme des illégaux soit comme des touristes. Il n’est en outre ni adapté ni conçu pour les familles. Il n’existe alors pas d’autres alternatives que de se créer un abri d’urgence ;

un réseau communautaire “intégré” quasi inexistant : les habitants des bidonvilles s’inscrivent dans un mouvement migratoire relativement récent qui se caractérise par l’absence d’une diaspora déjà insérée. Par ailleurs, les relations de solidarité se cantonnent à un cercle familial et amical limité. Les opportunités d’hébergement par une connaissance sont donc faibles contrairement aux communautés maliennes, par exemple, où “la primauté du groupe et de la famille sur l’individu est conservée dans les situations d’expatriation25.”

Ainsi, dans la grande majorité, les personnes essaient de cohabiter avec des personnes de la même famille élargie ou du même village. A chaque expulsion ou déplacement, le groupe constitué de proches ou de parents s’organise pour rechercher des lieux de vie.

« On s’organisait comme une équipe de football… les premiers qui trouvaient, gagnaient…» Homme, 25 ans.

« Et on prenait la caravane quand il y avait des expulsions, toujours derrière la voiture. Les contacts sur les camps, on était tous, et chacun avait trouvé un camp ou un autre camp. En France ou dans un autre pays. On restait entre nous pour aller dans ce camp ou un autre. On essayait de se retrouver par connaissance et pas forcément par familles. Mon père, il avait son frère sur le terrain et après le frère de mon père a bougé en Espagne et nous on est restés en France. Dans mon souvenir, on payait pas ; il y avait de l’entraide. A chaque

24 in « 20ème Rapport sur l’état du mal logement en France 2015 », Fondation Abbé Pierre.

25 http:// www.pseau.org/outils/ ouvrages/ codev_pratiques_associat ives_migrants_kayes.pdf p.13

fois on cherchait un terrain avec un point d’eau et de l’électricité et après on tirait des câbles. » Femme, 23 ans.

LE

CHOC

DE

LARRIVÉE

Plusieurs personnes interrogées dans le cadre de l’étude ont mentionné la surprise, voire le choc ressenti, en découvrant la réalité des bidonvilles ou des squats, éloignée de tout ce qu’elles avaient pu imaginer en se rendant en France.

« Quand je suis arrivé (en France), je suis allé directement à l’endroit que m’avait indiqué mes amis. Quand j’ai vu le lieu ou il habitaient je me suis dit “oh putain mais c’est quoi ça !”. Parce que je n’avais jamais vu des campements dans la forêt comme ça, avec leurs tentes, je dis “mais c’est quoi ça, vous vous occupez comment ?” et ils me disent “bah on fait les poubelles, on récupère de la ferraille, on va la vendre”. Et je dis bon, je crois pas que ça c’est pour moi. Je suis même pas resté dormir là-bas, je suis retourné à la Gare de Lyon.(...) et j’ai dormi à la rue. » Homme, 40 ans.

« En Roumanie, je vivais à Timisoara dans une petite maison avec un loyer. J’avais jamais vu le camp avant je savais pas ce que ça voulait dire.(…) Au début c’était dur pour s’habituer, s’intégrer. C’était un peu dur. » Homme, 26

ans.

Il semble qu’il existe en effet une sorte de “filtre” dans la manière dont beaucoup de personnes évoquent leur mode de vie en France auprès de leurs amis ou familles restés au pays. Toutefois, quelques personnes, soit parce qu’elles ont eu des expériences similaires dans d’autres pays, soit parce qu’elles ont été informées des conditions de vie réelles, viennent en toute connaissance de cause, espérant pouvoir rapidement gagner de l’argent et rentrer au pays.

La période initiale - c’est-à-dire d’arrivée en France et de prise de connaissance de certaines réalités de la migration - est donc marquée par un ensemble de contraintes, notamment administratives mais aussi liées aux modes d’habitat, qui limitent les possibilités directes d’insertion. Elle est ainsi directement suivie - dans la plupart des cas - d’une période que nous qualifions de “période grise”, s'étalant souvent sur plusieurs années, caractérisée par une grande précarité de mode de vie, d’activité professionnelle, de scolarisation des enfants, ou de situation administrative.

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DU BIDONVILLE A LA VILLE : VERS LA “VIE NORMALE” ? Moins de 3 ans

De 3 à 7 ans De 7 à 10 ans De 10 à 15 ans Plus de 10 ans Nombre d’années vécues en bidonville

Parmi les quatre périodes identifiées pour caractériser les parcours, une période particulièrement intéressante à étudier pour comprendre les facteurs clés permettant l’insertion est la période grise, c’est-à-dire la période durant laquelle les personnes vivent en bidonville ou en squat sans suivi social ni accès au droit commun (hormis dans certains cas, la scolarisation), sans titre de séjour ou autorisation provisoire de séjour et sans lien avec des intervenants officiels ou mandatés, une période sans existence légale ou statut officiel. Pour les 50 personnes interrogées, elle a duré de quatre mois à dix-neuf ans, avec une durée moyenne de quatre ans et trois mois. Pour seize personnes, elle a duré plus de six ans, pour douze autres elle a duré de trois à cinq ans et pour dix-huit autres encore elle a duré moins de deux ans.

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DU BIDONVILLE A LA VILLE : VERS LA “VIE NORMALE” ?

PHASE

IV. LA «PÉRIODE GRISE»

:

ENTRE LARRIVÉE ET LES PREMIÈRES

DÉMARCHES SIGNIFICATIVES

C’est durant cette période grise que s’enclenchent les premières démarches de scolarisation, de domiciliation, de travail au noir ou encore de suivi médical et que se jouent les premières rencontres avec les associations ou les intervenants institutionnels.

4.1.LA VIE EN BIDONVILLE ET SES CONTRADICTIONS

Les 50 personnes interrogées ont vécu en bidonville entre 3 mois et 19 années. La