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Du rôle des bibliothèques et du souci de l’adulte

Dans le document De l identité de la littérature jeunesse (Page 78-82)

Chapitre 3. Une identité étoffée d’un bout à l’autre de la chaîne du livre 71

B. Du rôle des bibliothèques et du souci de l’adulte

Comme le rédige en 2010 David Sandoz « la bibliothèque ne peut se limiter à mettre à disposition des œuvres1 » et la médiation devient la « condition de légitimité de l’existence des bibliothèques aujourd’hui ». La littérature pour enfants prend ainsi place dans la sphère de médiation des bibliothèques et il est intéressant d’examiner comment les prescripteurs / médiateurs - les bibliothécaires - la présentent aux publics. Tout d’abord, l’action culturelle vers le «  jeune  » se déploie dans un contexte de renouvellement particulier : celui de l’espace. Est retrouvée ici l’idée que le livre à besoin d’une promotion au delà de lui-même, c’est pour cela que des portes d’entrée sont mises en place, la valorisation de l’espace en étant une : « Comment faire de la bibliothèque cet espace de tous les possibles ?2 ». C’est l’interrogation de Violaine Kanmacher qui déclame ensuite : « Silence, ordre et sérieux, voire ennui, là où l’on voudrait du rêve, de l’imagination, du plaisir3 ». Le travail sur le lieu en bibliothèque, particulièrement dans le secteur jeunesse, a son importance. En effet, celui-ci traduit la volonté de créer un cadre de détente, prônant surtout une lecture plaisir, notamment en vue de « réconcilier » le livre avec le jeune. Parfois, comme dans la Bibliothèque des Champs Libres de Rennes, l’espace jeunesse se construit autour de structures de jeux, aux airs de «  cabanes dans les arbres  ». Aussi dans leur disposition interne (emplacement des livres, parcours culturels et physiques pour les enfants, utilisation de différents formats et médias pour stimuler les sens, etc.), les bibliothèques se refondent

SANDOZ (David), « Repenser la médiation culturelle en bibliothèque publique : participation et

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quotidienneté » [Mémoire DCB, École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques], 2010, 39p., p. 14.

KANMACHER (Violaine), « Enchanter la bibliothèque : inventer des parcours culturels pour les enfants », Op. cit.,

2

p. 249.

Ibid.

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en mettant en avant l’expérience qui rend acteur le sujet, l’enfant, pendant sa visite. La littérature jeunesse s’intègre alors à cet environnement et à ce concept : elle devient caractérisée par le moment, l'expérience, l’espace dans lequel les enfants vont la découvrir. Par ailleurs, dans les bibliothèques, la littérature pour enfants se sépare de la littérature pour adolescents. Certains encouragent le décloisonnement progressif , allant 1 à l’encontre de cette catégorisation par tranches d’âges, mais la tendance est rare, notamment car l'expérience de lecture est différente entre un enfant de trois ans et un de quinze. Ainsi, le rôle du bibliothécaire évolue aussi selon qu’il s’adresse à des enfants ou à des adolescents.

S’agissant de la prescription, elle dispose d’une place notable dans la plupart des bibliothèques de quartier, en commençant avec l’aide proposée par les bibliothécaires pour permettre à l’enfant de choisir ses livres. Tel que l’explique Viviane Erzatty,

« l’essentiel est d’aider l'enfant ou le jeune à devenir autonome », en commençant par lui faire comprendre « le classement des ouvrages2 ». Passé l’aspect de repérage à travers les collections, adviennent les possibles conseils avisés et personnalisés du bibliothécaire vers le lecteur. En ce sens et cette aptitude est aussi celle des libraires, la littérature mise en avant sera celle qui, selon le prescripteur, répondra au maximum aux attentes de l’enfant. Cela suppose, au préalable, une connaissance très fine des collections et par la suite, de plaire au jeune en s’adressant à lui. L'objectif est de mettre en avant une littérature qui corresponde au petit-lecteur, la découverte se faisant ainsi en corrélation avec ses attentes. À côté de la prescription, les actions de médiation se déploient en grand nombre, particulièrement à destination de jeunes enfants. Hélène Le Goff et Blandine Jardin dévoilent des projets de rendez-vous et d’ateliers orientés vers une démarche graphique et privilégiant les illustrateurs . Effectivement aux Champs 3 Libres, la littérature jeunesse se présente souvent par le biais du travail de l’illustrateur.

En effet, si le texte est valorisé lors des séances de lecture publique, la porte d'entrée par l’image dans les activités de création avec des enfants jeunes, est souvent plus parlante.

En outre, à l’intérieur de ces entreprises de médiation se retrouve la dimension affective de la littérature jeunesse, parce que celles-ci sont parfois autant à l’intention

WITEK (Jo), Auteure, entretien réalisé le 2 février 2021, durée d’une heure.

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ERZATTY (Viviane), « Les bibliothécaires pour la jeunesse, de nécessaires médiateurs », Op. cit.,p. 252.

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LE GOFF (Hélène), JARDIN (Blandine), gestionnaires en bibliothèque et responsables au service action culturelle

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des Champs Libres, entretien réalisé le 3 février 2021, durée d’une heure.

des enfants que des parents : « On ne souhaite pas accueillir des enfants tout seuls.

Pour nous, le lien parent / enfant est vraiment primordial dans tout ce qu’on fait, parce qu’il y a trop d’endroits où les enfants sont déjà délégués1 ». Effectivement, il ne faut pas oublier que le premier médiateur reste le parent : Isabelle Nières-Chevrel signale par ailleurs que certains prescripteurs redécouvrent une espèce de sentiment de l'enfance et lisent aussi pour leur compte . La littérature jeunesse semble donc aussi capable, à 2 travers sa transmission d’être une littérature pour tous les âges. Bien sûr, pour que cela ait lieu, il est nécessaire que le parent éprouve, ne serait-ce qu'un peu de goût pour la lecture. Or, la perte du pouvoir symbolique du livre, constatée à la fin des années quatre-vingt, engendre de nouvelles générations de parents, dont les pratiques de lecture traduisent un attachement au livre déclinant. Dans ces cas-là, l’importance du rôle des autres prescripteurs, c’est-à-savoir les bibliothécaires, les enseignants et les libraires, ne se trouve que renouvelée, afin d’éviter que la littérature jeunesse ne quitte les esprits.

Reconnue progressivement par l’État via des politiques du livre marquées par la loi du prix unique, la littérature jeunesse existe en tant qu’outil permettant de développer la lecture, mais aussi comme objet relié à un territoire. Les maisons d’édition et les librairies au statut hybride bénéficiant de ces actions publiques, la production jeunesse devient alors plus facilement accessible à ses lecteurs, tout comme lorsqu’elle s’illustre par des dispositifs nationaux tel que Premières pages. Oscillant à l’école entre remplir sa mission pédagogique et aller plus loin, c’est-a-dire se présenter en tant que véritable art, notamment lors des activités EAC, la littérature pour enfants se distingue aussi par le biais d’événements lui étant dédiés et soulignant sa capacité à offrir une expérience plaisante. De plus et en tant que littérature d’hier et d’aujourd’hui, la production jeunesse est devenue véritable patrimoine, légitimé par les instances étatiques. Elle est enfin l’expression de ses auteurs, portant en elle une dimension très intime qui n’est pas toujours discernable, mais aussi militante, portée sur la découverte et l’initiation, incarnée par des personnages…. Expressions qu’on lui retrouve lors de sa transmission en librairies et en bibliothèques, dans lesquelles divers acteurs cherchent à mettre en avant cette littérature jeunesse plurielle et permettant d’avoir accès au plaisir

LE GOFF (Hélène), JARDIN (Blandine), gestionnaires en bibliothèque et responsables au service action culturelle

1

des Champs Libres, entretien réalisé le 3 février 2021, durée d’une heure.

NIÈRES-CHEVREL (Isabelle), Op. cit., p. 25.

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de lire, ce qui n’est par ailleurs pas chose aisée, au regard des contraintes économiques mais aussi des pratiques de lecture qui ne sont pas au beau fixe.

En effet et ce, malgré les efforts publics dirigés vers elle, la littérature jeunesse fait face à certains phénomènes qui la déstabilisent et qui l’amènent à se questionner.

Que ces derniers soient particulièrement actuels, telles que les évolutions des politiques culturelles ou l’omniprésence du numérique, qui modifient en profondeur la chaîne du livre et les pratiques culturelles des jeunes, ou qu’ils possèdent une origine plus ancienne, liée à l’action et à l’identité de certains acteurs où à la manière dont la littérature jeunesse se voit elle-même.

Par5e III. Les faceLes mul5ples d’une liLérature pour enfants confrontée à des probléma5ques actuelles

En plus de ses dimensions historiques et celles insufflées par les acteurs politiques ou les professionnels du livre, la littérature jeunesse est confrontée, à l’image du secteur culturel dans son ensemble, à des problématiques contemporaines qui l'incitent à se remettre en question afin de faire écho au monde dans lequel elle se manifeste. La première mutation qui l’affecte est celle du numérique. Modifiant profondément les pratiques culturelles de la population, le virtuel exhorte le livre jeunesse à s’appuyer sur certaines de ses caractéristiques pour s’adapter aux changements et rester attrayant aux yeux de son public.

Si la littérature pour enfants possède effectivement une forte capacité d’adaptation, cela ne l’empêche pas de se retrouver de temps à autre désarmée face aux actions de ceux qui l’entourent, notamment lorsqu’elle s’affiche dans les médias en tant que littérature polémique. Étant soumise aux décisions d'un grand nombre d’acteurs, elle peut se trouver fragilisée par certaines tendances actuelles des politiques du livre, tout comme par l’évolution des politiques éditoriales et du statut de ses auteurs.

Par ailleurs, ce qui rend la perception encore difficile de la littérature jeunesse, ce sont aussi ses paradoxes, puisque l’identité qu’elle revendique pour elle-même est parfois ambiguë. Néanmoins, c’est aussi à travers cette diversité d'interprétations qu’elle continue de se développer, reflétant la plasticité de ses créateurs qui donnent à lire des contenus aptes à satisfaire les esprits les plus dissemblables.

Dans le document De l identité de la littérature jeunesse (Page 78-82)