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Rôle accru des juridictions, l’exemple des « affaires climats »

B.- L ES S OLUTIONS PRAGMATIQUES

2) Rôle accru des juridictions, l’exemple des « affaires climats »

Face à l’immobilisme de nos gouvernants par rapport au défi climatique, la « société civile », de par le monde, a entrepris des actions judicaires collectives contre les états dans le but de voir condamner symboliquement leurs politiques climatiques nationales et ainsi pouvoir faire réagir la classe politique. En effet l’objectif de ces class actions citoyennes, à côté de la médiatisation, est en quelque sorte de conférer au juge national (à défaut d’une juridiction internationale consacrée à l’environnement)167 la tache de vérifier que les normes environnementales sont bien

appliquées, c’est-à-dire un rôle de moteur de la cause climatique. Ces actions, le plus souvent introduites par des ONG, mettent en cause la responsabilité des états, à la fois sur le fondement juridique des droits fondamentaux et sur la base de disposition constitutionnelle et/ou internationale168.

C’est dans ce cadre, et à partir de l’exemple de l’affaire Urgenda, qui va nous intéresser dans un premier temps, qu’une action opposant l’a.s.b.l. Klimaatzaak à « l’État belge » est actuellement pendante.

164 C. BEHRENDT, « Le droit au respect de la vie privée : les défis digitaux, une perspective de droit comparé –

Belgique », Service de recherche du Parlement européen, disponible sur www.europarl.europa.eu, Octobre 2018, p. 16.

165 C.A., 1er juin 2005, n°101/2005. 166 A. GOURITIN, op.cit, p. 243.

167 V. LEFEBVE, « Urgence climatique, quel rôle pour les juges et la justice ? », Les @nalyses du CRISP en ligne,

disponible sur www.crisp.be, 21 décembre 2019, p. 2.

168 D. MISONNE, L. TRIAILLE, et C. NENNEN, Rapport du second séminaire académique du 28 mai 2018,

Responsabilité civile de l’état et climat, Université Saint-Louis Bruxelles, disponible sur https://cedre.hypotheses.org/324, p. 12.

a) L’affaire Urgenda

Avant d’étudier « l’affaire-climat » relative à la Belgique, il est nécessaire de s’intéresser à une affaire historique et insolite, celle opposant la fondation Urgenda ainsi que 886 particuliers à l’Etat néerlandais.

Cette action, introduite en 2015, a eu pour but de contester la politique climatique de l’État néerlandais qui, par laxisme, aurait manqué à ses engagements en matière de réduction d’émission de GES et qui violerait donc ses engagements internationaux, tels que ceux pris sur la base de la CCNUC, des objectifs du Protocol de Kyoto, ainsi que les articles 2 et 8 de la CEDH. Suite à une décision majeure rendue en première instance169 et confirmée en appel en

octobre 2018170, l’État néerlandais, compte tenu du manque d’ambition de sa politique climatique, fut condamné à réduire de 25% ses émissions de GES pour 2020 et non à une réduction de 20% comme prévu initialement171.

La décision prise dans cette affaire est fondamentale pour plusieurs raisons. Premièrement, la Cour d’appel reconnaît qu’une action collective prise des articles 2 et 8 de la CEDH est recevable, et ce même si compte tenu des conditions strictes de recevabilité liées au caractère collectif de l’action, elle ne le serait pas devant la Cour EDH.

Deuxièmement, la Cour se réfère à deux grands principes du droit de l’environnement, à savoir les principes de précaution et de prévention. Par le premier, elle estime que l’absence d’un caractère certain du changement climatique ne peut en rien empêcher qu’une politique climatique ambitieuse soit poursuivie. Par le deuxième, elle appelle à ce que soit mise en place, « le plus tôt possible », une politique environnementale efficace. Troisièmement, la Cour estime que le seuil de gravité requis par l’article 8 est atteint et que l’État a le devoir de protéger la vie de ses citoyens, que de plus le principe général de prudence s’analyse selon les articles 2 et 8 de la CEDH.

Enfin, un des points centraux de cet arrêt est que la Cour donne injonction à l’État d’atteindre un objectif. Dans ce cadre, quant à la séparation des pouvoirs, la Cour se justifie en ce qu’elle n’impose pas de façon précise le contenu des moyens pour atteindre l’objectif. Cette position a été confirmée par la Cour Suprême néerlandaise en décembre 2019172.

Cet arrêt est d’autant plus exceptionnel que d’autres actions collectives similaires introduites précédemment dans d’autres pays n’ont pas abouti173.

169 Rechtbank Den Haag, 24 juin 2015, C/09/456689 / HA ZA 13-1396.

170 The Hague Court of Appeal, 9 octobre 2018, The State of the Netherlands v. Urgenda Foundation,

n° C/09/456689/ HA ZA 13-1396.

171 V. LEFEBVE, op. cit., p. 3 ; A. ADAM, « Une nouvelle ère judiciaire pour le climat ? Entre le juge et le

politique, la Terre balance », J.L.M.B., 2019/40, p. 1902.

172 N. DE SADELEER, « Pour le Hoge Raad des Pays-Bas, une politique trop frileuse de réduction des émissions

de gaz à effet de serre viole la Convention européenne des droits de l’homme », disponible sur www.justice-en- ligne.be, 13 février 2020, point 18.

173 N. DE SADELEER, « Mise en cause de la politique climatique néerlandaise au regard du droit à la vie et du

respect de la vie privée et familiale et du domicile, observations sous l'arrêt de la Cour d'appel de La Haye, 9 octobre 2018, Urgenda », Amén. 2019, liv. 1, p. 16 et 17 ; V. LEFEBVE, op. cit., p. 3.

b) L’affaire Klimaatzaak

La Belgique n’est pas non plus épargnée par la vague de la judiciarisation du climat. Le 27 avril 2015, l’a.s.b.l. Klimaatzaak assigna, devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, l’État belge ainsi que les trois régions du pays, sur la base presque identique de la requête introduite dans le cadre de l’affaire Urgenda, d’où l’utilité d’en avoir dessiné les contours. En effet, outre le fait qu’un des avocats d’Urgenda fasse aussi partie de l’équipe belge, ces deux actions possèdent des similitudes et des différences, telle la question de la recevabilité174.

Dans le contexte belge, il existe depuis peu à l’article 17 alinéa 2 du Code Judicaire, une action d’intérêt collectif pour les personnes morales, qui vise à protéger les libertés fondamentales175,

aux côtés de l’a.s.b.l, près de 60 000 codemandeurs se sont joints à cette action. Sur le fond, même si les bases sont partiellement différentes, le but de ces actions est similaire, c.-à-d., poser la question de la responsabilité civile de l’état et ainsi obtenir sa condamnation à réduire ses émissions de GES.

Néanmoins, l’action belge contient des spécificités, à commencer par l’aspect institutionnel qui la caractérise, en ce, compte tenu, comme nous l’avons vu, du caractère éclaté des compétences liées au climat, qu’ont été cités à la fois l’État fédéral et les régions, sans toutefois que les reproches ne soient individualisés176. Ensuite, les bases légales de l’action sont elles aussi différentes puisqu’à côté des articles 2, 8 et 13 de la CEDH et des articles 714, 1382 du Code civil177, contrairement à l’affaire Urgenda qui n’a pas de fondement constitutionnel, l’action est également prise de l’article 23, alinéa 3 de la Constitution qui comme déjà évoqué, garanti le droit à un environnement sain178.

L’affaire Klimaatzaak, en ce qu’elle cible le peu d’ambition de la politique climatique belge et sollicite une plus grande réduction des GES, ne commencera seulement à être plaidée qu’à l’autonome 2020. Cette longue procédure s’explique par la contestation de la Région flamande au sujet de l’emploi des langues, question qui a abouti à un arrêt de la Cour de cassation en avril 2018179, confirmant que la langue de procédure est le français180.

Peu importe l’issue de cette procédure en première instance, il demeure certain que la médiatisation et la rencontre de la sphère politique avec celle de la justice impliquera, durant les probables nombreuses années de procédures, une réelle conscientisation vis-à-vis du climat et des problèmes de gouvernance que connait notre pays. Une telle affaire sera-t-elle suffisante

174 V. LEFEBVE, op. cit., p. 4.

175 C. ROMAINVILLE, et F. DE STEXHE, « L'action d'intérêt collectif », J.T., 2020/11, p. 189.

176 D. MISONNE, « Renforcer l’ambition climatique de l’état global dans un régime fédéral ? 'Klimaatzaak': la

Belgique a aussi son affaire climat », Les procès climatiques: entre le national et l'international, C. Cournil et L. Varison (dir.), Paris, Pedone, 2018, 156 et 157.

177 C. civ., art. 714 et 1382.

178 P. GILLAERTS en W. NUNINGA, « Klimaatzaken via mensenrechten of buitencontractuele

aansprakelijkheid: wat je van (noorder)buren leren kan », R.W., 2019-2020/16, p. 605 ; A. SOETE , « V - De scheiding der machten als struikelblok voor de klimaatzaak? » Human Rights as a Basis for reevaluating and

reconstructing the law, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 231 et 232.

179 Cass. 20 avril 2018. 180 V. LEFEBVE, op. cit., p. 5.

pour remédier aux problèmes de la gouvernance climatique ? La question reste pour l’instant en suspens, néanmoins cette affaire semble nécessaire.

Plus généralement, les affaires climat permettent de donner un écho supplémentaire à l’appel citoyen, toutefois elles ne sauraient constituer une réponse globale à l’enjeu climatique, ces affaires restant nationales181.

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