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B.- L ES S OLUTIONS PRAGMATIQUES

1) Apports des droits de l’homme en matière environnementale

Comme nous le développerons dans le point consacré aux « Affaires climat », de plus en plus de procédures en justice sont introduites afin de mettre en cause la responsabilité des états dans la lutte climatique. Dans le cas des deux affaires que nous présenterons, chacune d’elle est notamment prise de la violation des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme149 (ci-après la CEDH).

En effet, même s’il n’est pas fait explicitement mention d’un tel droit dans la CEDH, la Cour EDH dans sa jurisprudence, a étendu les droits garantis par ses articles 2 et 8 à un droit à la protection de l’environnement. Elle ne s’est par contre pas encore directement prononcée sur la question du réchauffement climatique.

Néanmoins le lien entre la dimension environnementale de ces droits et le changement climatique est davantage complexe, puisqu’il doit être démontré en amont que les effets de ce changement impactent l’environnement, ensuite seulement que l’environnement porte atteinte à un droit garanti. Le lien de causalité est par conséquent double150. De plus, les droits de l’homme visent à protéger l’homme et non directement l’environnement. Dès lors, les aspects du réchauffement climatique n’affectant pas l’humain ne pourraient être visés151.

L’article 8 de la CEDH, est l’une de ses dispositions permettant d’appréhender les questions environnementales. Il garantit que « toute personne a un droit au respect de sa vie privée et

familiale, de son domicile […] », il est de jurisprudence constante152, que la CEDH ne garantit

pas de manière directe un droit à un environnement sain ni, comme nous l’avons vu, à une protection contre toute atteinte à l’environnement.

Cependant, la jurisprudence153 de la Cour reconnait que «des atteintes graves à l’environnement

pouvaient affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, portant ainsi atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale », il est donc garanti d’une certaine façon le droit de jouir d’un

environnement sain. Seules les atteintes qui dépassent un certain niveau de gravité et affectent directement la personne qui s’en prévaut peuvent être prises en compte154.Notons également

que ces atteintes peuvent être causées directement par l’État lui-même, ou par un particulier155.

149 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre

1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, M.B., 19 août 1955, err., 26 juin 1961, art. 2 et 8.

150 A. GOURITIN, « Chapitre I - L’impact de l’adhésion de l’UE à la convention européenne des droits de

l’Homme sur le lien entre droits de l’Homme et politiques climatiques de l’UE », Politiques climatiques de l'Union

européenne et droits de l'homme, C. Cournil et A.-S. Tabau (dir.) Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 250 et 251.

151 À GOURITIN, ibidem, p. 253.

152 Cour eur. D.H., (4e sect.), arrêt Fieroiu et autres c. Roumanie, 23 mai 2017, § 75. 153 Cour eur. D.H., arrêt Lopez Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, §51.

154 Cour eur. D.H., arrêt Fadaïeva c. Russie, 9 juin 2005, §68.

155 Cour eur. D.H., « Guide sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme », disponible

Par conséquent, l’article 8 doit être respecté, à la fois par les États, mais aussi, par les particuliers. Afin que ces droits soient effectivement respectés, la Cour impose des obligations positives dans le chef des états. À titre d’exemple, dans une affaire156 au sujet d’une pollution sonore créée par des particuliers, empêchant le requérant de pouvoir dormir. La Cour a estimé, bien que des mesures ont été prises par la Ville pour diminuer le bruit, que l’État a violé les droits garantis, car ces mesures n’ont pas été suffisamment mises en œuvre pour rendre les nuisances tolérables157. Ce type de raisonnement est généralement celui soutenu dans les affaires liées au climat.

En ce qui concerne la relation entre l’article 8 et le changement climatique, la Cour a admis de manière large le type d’atteinte, puisqu’elles visent « aussi les atteintes immatérielles ou

incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences.»158.

De plus, la Cour ayant consacré le principe de précaution en matière environnementale159, il n’est pas nécessaire que l’atteinte soit certaine, mais bien qu’il soit probable scientifiquement que les changements climatiques entrainent une atteinte aux droits protégés et reconnus individuellement par l’article 8160.

La deuxième disposition de la CEDH, à laquelle la jurisprudence confère une dimension environnementale, mais dans une moindre mesure est, l’article 2 en ce qu’il consacre un « droit à la vie ». La Cour n’a que peu statué quant à sa portée en matière environnementale, cependant au sujet des obligations positives des états, selon sa jurisprudence161, « la prévention était le

premier devoir découlant de l’obligation positive de l’article 2. Le cadre législatif et administratif doit fournir une dissuasion efficace contre les risques pouvant peser sur le droit à la vie ». Dans les « affaires climat », il est notamment reproché aux états de ne pas adopter

un cadre efficace pour véritablement diminuer les émissions de GES. Pour qu’une violation du droit à la vie soit constatée, l’atteinte vis-à-vis de ce droit doit être, par rapport à celui requis par l’article 8, d’une plus grande gravité, cette atteinte devant être susceptible d’entrainer le décès d’une personne162.

De manière concrète, concernant plus spécifiquement l’article 8, à côté des actions judiciaires mettant en cause la responsabilité civile de l’État, et du contrôle de conventionalité qui peut être réalisé par le juge judiciaire, l’influence des droits de l’homme en matière environnementale est également présente dans le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle. Si, en principe, sa compétence ne lui permet pas de contrôler de la conventionalité des normes législatives, la Cour constitutionnelle, par le biais de la technique de « l’ensemble indissociable »163, va toutefois procéder à un tel contrôle « lorsqu’un droit est garanti de façon

156 Cour eur. D.H., arrêt Cuenca Zarzosa c. Espagne, 16 janvier 2018, §32. 157 C. COURNIL et al., op. cit., p. 397.

158 Cour eur. D.H., arrêt Moreno Gomez c. Espagne, 16 novembre 2004, §53. 159 Cour eur. D.H., arrêt Tatar c. Roumanie, 27 janvier 2009, §122.

160 CABINET EQUAL-PARTNERS, op.cit., p. 234 et 235. 161 Cour eur. D.H., arrêt Oneryildiz c. Turquie, 30 novembre 2004.

162 N. DE SADELEER, « Droits fondamentaux et protection de l'environnement dans l'ordre juridique de l'UE et

dans la CEDH », R.E.D.C., 2011/1, p. 37.

analogue, tant par la Constitution que par une convention internationale »164, tel est le cas par

rapport à certaines dispositions de la CEDH, notamment l’article 8 de la CEDH. Dans ce cadre, elle a considéré que les articles 22 et même 23 de la Constitution forment un ensemble indissociable avec l’article 8 de celle-ci165.

Dès lors, étant donné que notre Constitution s’interprète à la lumière de la CEDH et donc également de la jurisprudence extensive de l’article 8 par rapport à l’environnement, il est probable que l’impact de cette jurisprudence mène nos législateurs à davantage intégrer cette dimension, d’autant plus qu’une procédure judiciaire prise sur cette base est actuellement pendante. Ajoutons que l’adhésion de l’UE à la CEDH renforce encore l’impact de cette jurisprudence166.

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