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CHAPITRE 3 : SYNTHESE DE BROMOALLENES ET APPLICATIONS EN SYNTHESE

II. SYNTHÈSE DE BROMOALLÈNES

2. Résultats et discussion

Nous avons voulu développer une méthode simple pour accéder à des bromoallènes trisubstitués. Pour cela, notre expérience sur la réactivité du motif 7-alcynylcycloheptatriène nous a poussé à penser que ce composé pourrait être un précurseur adéquat. En effet, comme mentionné précédemment, par comparaison avec les travaux de Kitagawa, un ion bromonium pourrait réagir avec le 7-alcynylcycloheptatriène pour former un bromoallène (Schéma 140).

Schéma 140. Formation supposée de bromoallènes par comparaison avec les résultats rapportés par Kitagawa

Pour valider notre hypothèse, la réaction a été réalisée sur le composé B1a, qui a été notre substrat de référence dans le chapitre 2, en présence d’une quantité stœchiométrique de

N-bromosuccinimide (Schéma 141). De manière satisfaisante, bien que la conversion ne fût

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Schéma 141. Résultat préliminaire pour la synthèse de bromoallènes

Ce premier résultat encourageant nous a donc poussé à optimiser les conditions réactionnelles pour accéder efficacement au bromoallène souhaité puis d’en étudier le champ d’application.

a. Optimisation de la réaction

Dans un premier temps, la réaction a été optimisée en utilisant le composé B1a (Tableau 31). Le solvant de la réaction, les sources de brome ainsi que le nombre d’équivalents utilisés ont été étudié sur une réaction test avec un temps réactionnel fixe de 6 h, à température ambiante. En utilisant 1,1 équivalents de N-bromosuccinimide, dans le toluène, seule 15% de conversion a été observée (entrée 1). Il en est de même dans le nitrométhane, puisqu’un mélange complexe de produits a été obtenu (entrée 2). Dans le 1,2-dichloroéthane, la conversion a été largement améliorée à 83% (entrée 3). Celle-ci est totale lorsque trois équivalents de N-bromosuccinimide ont été utilisés et le rendement a alors atteint 67% (entrée 4). D’autres sources de Br+

ont ensuite été testées. Le dibrome, le tribromure de pyridinium, le 1,3-dibromo-5,5-diméthylhydantoïne (DBDMH) et la 2,4,4,6-tétrabromocyclohéxa-2,5-diènone (TBCD) n’ont conduit qu’à un mélange complexe de produits de dégradation ou à une faible conversion (entrées 5-8). Le N-bromophtalimide est la seule autre source de bromonium testée permettant la conversion complète du substrat. Le bromoallène C1a a alors pu être isolé avec un rendement de 60% (entrée 9). Une augmentation de la quantité de

N-bromophtalimide utilisée a entrainé la diminution du rendement à 48% et l’apparition d’un

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Tableau 43. Optimisation des conditions expérimentales en utilisant le composé B1a

Entrée Br+ x équiv. Solvant Conversion (Rdt) [%] 1 NBS 1,1 toluène 15 (-) 2 NBS 1,1 MeNO2 - a,b 3 NBS 1,1 DCE 83 (56) 4 NBS 3 DCE 100 (67) 5 Br2 1,1 DCE - a,b

6 Pyridinium tribromide 1,1 DCE - a,b

7 DBDMH 1,1 DCE - a,b

8 TBCD 1,1 DCE 15 (-)

9 N-bromophtalimide 1,1 DCE 100 (60)

10 N-bromophtalimide 3 DCE 100 (48)

a

Un mélange complexe de produits a été obtenu. b Traces de bromoénone C2a. c Présence d’un composé secondaire non identifié.

Lors de notre optimisation, la réaction a aussi été chauffée à 80 °C pendant 24 h en présence de trois équivalents de N-bromosuccinimide (Schéma 142). Dans ce cas, le bromoallène attendu C1a n’a pas été observé et seule une bromoénone a été isolée avec un rendement de 45%.

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Schéma 142. Réaction de formation de la bromoénone C2a

Seule la présence d’un excès de N-bromosuccinimide permet d’explique la formation de ce composé. Tout d’abord, nous supposons que le bromoallène C1a est formé puis qu’un second équivalent d’agent de bromation intervient pour conduire à un intermédiaire de type bromonium I. Cet intermédiaire peut ensuite être piégé par des traces d’eau résiduelles pour conduire à la bromoénone C2a de stéréochimie (E) qui s’isomérise ensuite en composé thermodynamique (Z) (Schéma 143).

Schéma 143. Mécanisme proposé pour la formation de la bromoénone C2a

La stéréochimie (Z) de ce composé a pu être déterminée par diffraction des rayons-X (Figure 6).

Figure 6. Structure de la bromoénone C2 déterminée par diffraction RX (les hydrogènes sont omis pour plus de clarté)

154 Nous avons ensuite souhaité étendre cette nouvelle réactivité à un substrat plus simple d’accès possédant un groupement tert-butyle en position terminale. Dans les mêmes conditions que précédemment, la réaction a été réalisée pendant 6 h à 25 °C dans le 1,2-dichloroéthane en utilisant 1,1 équivalents d’agent de bromation (Tableau 44). En présence de dibrome, le bromoallène C4a attendu n’a pas été obtenu, mais un composé de structure indéterminée a été isolé (entrée 1). Le tribromure de pyridinium n’a conduit qu’à un mélange complexe de produits de dégradation (entrée 2). Seuls 50% de conversion ont été obtenus avec le 2,4,4,6-tétrabromocyclohéxa-2,5-diènone (TBCD) (entrée 3). Avec le 1,3-dibromo-5,5-diméthylhydantoïne (DBDMH), le N-bromophtalimide et le N-bromosuccinimide, la conversion est totale et les rendements sont de bons à très bons, dans le cas du

N-bromosuccinimide (entrées 4-6).

Tableau 44. Optimisation des agents de bromation en utilisant le composé C4a

Entrée Br+ Conversion (Rdt) [%] 1 Br2 -a 2 Pyridinium tribromide - b 3 TBCD 50 (-) 4 DBDMH 100 (73) 5 N-bromophtalimide 100 (79) 6 NBS 100 (96) a

Structure indeterminée. b Un mélange complexe de produits et de dégradation a été obtenus

Au vu des résultats d’optimisation obtenus avec les deux substrats modèles B1a et C3a, le

N-bromosuccinimide a donc été retenu comme agent de bromation et la réaction a été réalisée,

dans la majorité des cas, à température ambiante. Néanmoins, le nombre d’équivalents de

N-bromosuccinimide introduits ainsi que le temps réactionnel seront à optimiser en fonction

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b. Exemplification de la réaction

L’étendue de cette nouvelle réactivité a donc naturellement été étudiée avec, tout d’abord, l’utilisation de substrats contenant un lien gem-diméthyle malonate et ensuite sur des composés plus simples d’accès nécessitant uniquement deux étapes de synthèse.

i. Exemplification avec des diméthyles malonates

Plusieurs substrats diméthyles malonates utilisés dans le chapitre précédent (Chapitre II) dans des réactions d’hydroarylation d’allènes ont été réutilisés pour étudier l’étendue de la réaction. Avec cette famille de composés, trois équivalents de N-bromosuccinimide ont été introduits et la réaction a généralement été réalisée à température ambiante. Néanmoins, le temps réactionnel a dû être optimisé pour chaque substrat puisqu’il dépend de la réactivité de ceux-ci (Schéma 144). Nous avons ainsi constaté qu’un enrichissement du phényle par un groupement méthoxy en position méta a permis de réduire le temps réactionnel à 3 h pour conduire au bromoallène C2g avec un rendement de 62%. Il en a été de même avec un substituant 3,5-diméthylbenzène pour lequel C2i a été isolé avec un rendement de 52% après 3 h de réaction. La réaction est encore plus rapide lorsqu’un groupement naphtalène enrichi le cycle aromatique. Le bromoallène C2k a, en effet, été obtenu, après 1 h de réaction, avec un rendement de 68%. Cet effet d’accélération reste mystérieux à ce jour. Enfin, le groupement aromatique a été remplacé par un dérivé allylique substitué ou non. Dans ce cas, les deux composés testés (B1n-o) sont moins réactifs que les précédents puisqu’il est nécessaire de chauffer la réaction à 80 °C pour obtenir une conversion totale et un rendement satisfaisant. Dans ce cas, la formation de bromoénone n’est pas observée, bien que la réaction soit chauffée à 80 °C, et les bromoallènes C2n et C2o ont été isolés avec des rendements respectifs de 78% et de 71%.

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Schéma 144. Bromoallènes possédant un lien diméthyle malonate

ii. Exemplification avec des 7-alcynylcycloheptatriènes simples

Des substrats plus simples d’accès pouvant être facilement synthétisés à partir d’alcynes commerciaux ont été utilisés. La réaction est réalisée dans le 1,2-dichloroéthane, pendant 6 h à température ambiante (Tableau 45). Avec ce type de composé, contrairement aux composés possédant un lien malonates, le nombre d’équivalents a pu être diminué à 2 ou 1,1 équivalents et être ajusté en fonction de la réactivité du substrat. Le composé possédant un substituant

tert-butyle C3a s’est avéré très réactif et a fourni le bromoallène désiré avec un excellent

rendement de 96% (entrée 1). Dans ce cas, un excès de N-bromosuccinimide (3 équivalents) n’a pas d’effet positif. De simples chaines alkyles portées par les substrats C3b et C3c nécessitent deux équivalents d’agent de bromation pour que la conversion soit totale et conduire aux bromoallènes correspondants avec des rendements bons en apparence, mais des

157 impuretés dont les structures n’ont pas été identifiées n’ont pas pu être séparées des bromoallènes C4b et C4c (entrées 2-3). Avec un substituant de type phénéthyle, le bromoallène désiré C4d a été isolé avec un excellent rendement de 85% en utilisant, dans ce cas uniquement, 1,1 équivalents de N-bromosuccinimide (entrée 4). Des groupements alkoxy sur les chaines alkyles portées par le motif 7-alcynylcycloheptatriène sont compatibles avec les conditions réactionnelles puisque les bromoallènes C4e et C4j ont été isolés avec un rendement moyen de 49% (entrées 5-6). Ces rendements s’expliquent par la formation d’un produit secondaire qui a pu être identifié par la suite comme le 3,4-dibromo-2-phenyl-2,5-dihydrofurane C4a’ (Schéma 145). Nous supposons que la présence d’un ion bromonium a permis de cliver le groupement méthyle et benzyle porté par l’atome d’oxygène entrainant une réaction secondaire qui a abouti à un composé cyclique dibromé.

Le bromoallène C4f a été isolé en présence de deux équivalents de N-bromosuccinimide avec un rendement de 48% (entrée 7). Enfin, l’alcyne silylé C3g a pu être converti efficacement en bromoallène C4g avec un très bon rendement de 78% (entrée 8). Les bromallènes silylés sont des intermédiaires utiles en synthèse organique.140

Tableau 45. Synthèse de bromoallènes provenant de 7-alcynylcycloheptatriènes simples

Entrée Substrat Nombre d’équivalents de NBS Produit Rdt [%] 1 1,1 3 C4a 96 95 2 1,1 2 3 C4b - a 74 52 3 2 C4c 83

158 4 1,1 3 C4d 85 75 5 1,1 3 C4e 49 40 6 1,1 3 C4j 49 41 7 1,1 2 C4f b 48 8 1,1 3 C4g 78 50 c a

70% de conversion. b30% de conversion. cFormation d’un produit secondaire qui explique la baisse du rdt.

Schéma 145. Produit secondaire formé lors des réactions conduisant à C4e et C4j

A l’exception des composés possédant un groupement alkoxy, les bromoallènes synthétisés sont extrêmement apolaires et donc difficiles à purifier à priori. Cependant, la réaction est très sélective, par conséquent, une simple filtration sur silice est suffisante pour purifier les bromoallènes. De plus, cette méthodologie a pu être appliquée à l’échelle du gramme sans altération significative du rendement (Schéma 146).

Schéma 146. Formation du bromoallène C4aà l’échelle du gramme

Cependant, deux substrats se sont avérés incompatibles avec les conditions réactionnelles décrites précédemment (1,1 équivalents de NBS, 6 h, 25 °C) (Schéma 147). L’alcool libre

C3h n’a conduit qu’à de la décomposition, et il en est de même avec le

159 à un alcène serait formé et ce type de structure semble être instable dans nos conditions réactionnelles.

Schéma 147. 7-alcynylcycloheptatriènes incompatibles avec la formation de bromoallènes

c. Mécanisme de la réaction

Le mécanisme de formation de bromoallène ci-dessous est proposé par analogie avec celui du réarrangement en milieu acide de 7-alcynylcycloheptatriènes en phénylallènes suggéré par Kitagawa.97 Tout d’abord, le cycloheptatriène I est en équilibre avec la forme norcaradiène II après une électrocyclisation 6π réversible. La bromation de l’alcyne va ensuite conduire au carbocation vinylique III. L’ouverture de la partie cyclopropane va alors former le fragment bromoallène IV, qui va conduire au bromoallène V après réaromatisation du groupement phényle.

Schéma 148. Mécanisme proposé pour la formation des bromoallènes

d. Réaction avec d’autres électrophiles halogénés

D’autres sources d’halogènes électrophiles peuvent être envisagées pour conduire à des allènes chlorés ou iodés. Des tests ont été réalisés sur le substrat B1a. Aucune réactivité n’a été observée en présence de N-chlorosuccinimide (Schéma 149).

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Schéma 149. Absence de réactivité de B1a en présence de NCS

En présence de N-iodosuccinimide, la conversion du composé de départ est complète mais l’iodoallène souhaité n’a pas été obtenu. Dans ces conditions, un produit polycyclique iodé

C5 a été formé avec un rendement de 45% (Schéma 150). La formation de ce composé résulte

probablement d’une réaction d’hydroarylation sur un iodoindène intermédiaire suivi d’une oxydation de celui-ci. En effet, nous avons vu dans le chapitre précédent que le motif 7-alcynylcycloheptatriène peut être engagé dans une réaction de cycloisomérisation d’énynes-1,6 en présence de complexes d’or(I). Ici, lors de l’utilisation de N-iodosuccinimide, le cation I+ formé est très volumineux, plus mou et plus carbophile que le cation Br+. A la manière d’une espèce organométallique carbophile (comme l’or cationique), l’iode est une espèce supposée former des carbocations non classiques.141 Dans notre cas, cela aboutit à la formation d’un iodoindène intermédiaire VII. Cet iodoindène va ensuite subir une réaction d’hydroarylation pour conduire au composé tétracyclique VIII qui, après oxydation spontanée, forme le produit C5a.

Schéma 150. Réactivité de B1a en présence de NIS

161 D’autres agents d’iodation ont été testés, tels que le diacétoxyiodobenzène et le diiode. Cependant, dans le premier cas, aucune conversion n’a été observée, et dans le second, un mélange complexe de composés a été obtenu.

Enfin, le composé C3a, plus simple, a été placé en présence de N-iodosuccinimide et il conduit, après 5 h de réaction à température ambiante, à l’iodoallène C6a souhaité avec un bon rendement de 70% (Schéma 151). Dans ce cas, l’hydroarylation intramoléculaire n’a jamais été observée.

Schéma 151. Formation d’un iodoallène en présence de NIS