Chapitre 2 : Étude de la résistance aux antibiotiques des bactéries isolées des produits marins
IV. Antibiorésistance et produits de la pêche et de l’aquaculture
IV.2. Résultats
Un total de 30 % des souches bactériennes étudiées en antibiorésistance (Enterococcus spp., Staphylococcus spp., Exiguobacterium spp., Pseudomonas spp., Vibrio spp. et Proteus spp.) avait un
phénotype non-sauvage pour au moins une classe d’antibiotique, 13 % pour au moins deux classes
d’antibiotiques, 2 % pour 3 classes d’antibiotiques et 1 % pour 4 classes d’antibiotiques. En regardant
le mode de production des animaux dans lesquels ces bactéries résistantes ont été détectées, 73 %
des isolats étaient présents dans des produits provenant de l’aquaculture (crevettes, moules et huîtres) contre 35 % dans des animaux provenant de la pêche en mer (cabillauds, poissons plats, noix de Saint-Jacques et homards) (Figure 23).
161
Figure 23: Proportion de souches résistantes aux antibiotiques par genres bactériens étudiés en fonction du mode de
production des matrices d’isolement. Les produits issus de la pêche sont les cabillauds, poissons plats, noix de Saint
-Jacques et homards. Les produits issus d’aquaculture sont les crevettes, moules et huîtres. St=Staphylococcus, En=Enterococcus, Ex=Exiguobacterium, Pr=Proteus, Ps=Pseudomonas, Vr=Vibrio.
Les proportions de souches résistantes isolées des produits de la pêche étaient de 35 %. Les proportions de souches résistantes étaient comprises de 0 % pour le genre Vibrio à 85 % pour le
genre Enterococcus. La population bactérienne non-sauvage représentait 73 % des souches isolées
des animaux d’élevage, de 0 % pour le genre Vibrio à 95 % pour le genre Exiguobacterium. La différence de taux de bactéries résistantes, en fonction du mode de production des matrices, était plus importante pour les genres Exiguobacterium et Pseudomonas par rapport aux autres genres. En effet, les populations non-sauvages dans les produits issus de la pêche étaient de 15 % des souches
pour Exiguobacterium et 41 % pour Pseudomonas contre 95 % des souches d’Exiguobacterium et 79
% des souches de Pseudomonas dans les produits d’aquaculture. Par contre, pour le genre
Staphylococcus, la proportion de population non-sauvage représentait 74 % des souches isolées des
produits de la pêche contre 52 % des souches isolées des produits de l’aquaculture. Enfin, il est
important de noter que des souches multi-résistantes du genre Enterococcus (6/7 souches) ont été
isolées dans des produits issus de la pêche et des genres Enterococcus (1/7 souches) et la souche
multi-résistante Exiguobacterium a été isolée des produits de l’aquaculture.
En outre, les populations bactériennes non-sauvages étaient équivalentes dans les produits importés (crevettes, homards et noix de Saint-Jacques) et dans les produits français (cabillauds,
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% St En Ex Pr Ps Vr St En Ex Pr Ps Vr pêche aquaculture Ta ux de souche s
Genres bactériens selon le mode de production des matrices alimentaires
résistant à 4 classes résistant à 3 classes résistant à 2 classes résistant à 1 classe phénotype sauvage
162
poissons plats, moules et huîtres) où elles représentaient 47 % et 43 % des souches résistantes respectivement (Figure 24). Les proportions de souches résistantes allaient de 0% pour le genre Vibrio à 91 % pour le genre Enterococcus dans les produits importés et de 0 % pour le genre Vibrio à 80 % pour le genre Enterococcus dans les produits français. Enfin, il est important de noter que des
souches multi-résistantes des genres Enterococcus (5/7souches) et la souche multi-résistante
Exiguobacterium ont été isolées dans des produits importés et le genre Enterococcus (2/7 souches) isolées des produits français.
Figure 24 : Proportion de souches résistantes aux antibiotiques par genres bactériens étudiés selon le lieu de production. Les produits importés sont les crevettes, Saint-Jacques et homards. La production Européenne comprend les cabillauds, poissons plats, moules et huîtres. St=Staphylococcus, En=Enterococcus, Ex=Exiguobacterium, Ps=Pseudomonas, Pr=Proteus, Vr=Vibrio.
En revanche, si nous regardons les proportions de souches résistantes aux antibiotiques par
genre bactérien et par nature de produits de la pêche et de l’aquaculture, celles-ci étaient distribuées de manière très hétérogène (Figure 25).
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% St En Ex Pr Ps Vr St En Ex Pr Ps Vr Importé Production française
Ta
ux
de
souche
s
Genre bactériens isolés en fonction du lieu de production de la matrice
résistant à 4 classes résistant à 3 classes résistant à 2 classes résistant à 1 classe phénotype sauvage
163
Figure 25 : Proportion de souches résistantes aux antibiotiques par matrice alimentaire et par genres bactériens étudiés. St=Staphylococcus, En=Enterococcus, Ex=Exiguobacterium, Ps=Pseudomonas, Pr=Proteus, Vr=Vibrio.
Il faut noter que tous les genres bactériens étudiés en antibiorésistance n’ont pas été isolés
dans toutes les matrices alimentaires analysées. En effet, les 6 genres bactériens ont été détectés
dans 3 matrices alimentaires (cabillaud, poissons plats, noix de Saint-Jacques) alors qu’il y avait 4-5
genres dans les crevettes, homards et moules et seulement le genre Staphylococcus dans les huîtres. Globalement, la proportion la plus importante de souches ayant acquis une résistance était dans la
matrice crevettes (88 %) avec les genres Staphylococcus, Enterococcus, Exiguobacterium et
Pseudomonas. Les proportions des souches résistantes dans les autres produits étaient plus faibles, de 0 % dans les huîtres à 50 % dans les échantillons de moules et très dépendant des genres bactériens. En effet, la totalité des souches de Staphylococcus spp. isolées des noix de Saint-Jacques
(2/2 souches) et des homards (1/1 souches) étaient résistantes à au moins une classe d’antibiotiques.
De même, la totalité des souches du genre Enterococcus isolées des homards (2/2 souches) et des
crevettes étaient résistantes à au moins un antibiotique ainsi que 81 % de celles isolées des poissons
plats. Des souches multi-résistantes du genre Enterococcus ont également été détectées dans les
poissons plats (2/7 souches), les crevettes (1/7 souches ), les homards (1/7 souches) et des noix de
Saint-Jacques (3/7 souches). Presque toutes les souches du genre Exiguobacterium isolées des
échantillons de crevettes avaient acquis au moins une résistance (19/20 souches). Dans les autres 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% St En Ex Ps Pr Vr St En Ex Ps Pr Vr St En Ex Ps Pr Vr St En Ex Ps Pr Vr St En Ex Ps Pr Vr St En Ex Ps Pr Vr St En Ex Ps Pr Vr Cabillaud Poisson plat Crevette Homard Saint-Jacques Moule Huître
Ta
ux
de
souche
s
Genres bactériens par matrice alimentaire
164
produits où ce genre bactérien a été isolé les proportions de souches résistantes étaient plus faibles : 2/7 souches dans les homards et 1/9 dans les cabillauds. En revanche, la souche multi-résistante du
genre Exiguobacterium a été isolée dans les crevettes. Enfin, les proportions de Pseudomonas spp.
ayant acquis une résistance était plus importante dans les échantillons de moules (5/6 souches), de cabillauds (12/23 souches) et de crevettes (5/7 souches) que dans les autres matrices alimentaires.
IV.3. Discussion
Nous avons observé que les animaux provenant de l’aquaculture étaient plus contaminés (70
%) par des bactéries résistantes aux antibiotiques avec même deux genres bactériens multi-résistants (Enterococcus, Exigobacterium) que les animaux de capture (26 %) dans lesquels un genre bactérien multi-résistant a été isolé (Enterococcus). De plus, le taux de bactéries résistantes isolées des crevettes était plus élevé que dans les autres matrices. Un certain nombre de produits aquatiques
importés sont issus de l’aquaculture dont les pratiques d’usage des antibiotiques ne sont toujours
pas bien connues. Les données françaises relatives aux ventes d’antibiotiques indiquent que 0.5% des
antibiotiques sont utilisées en élevage piscicole. D’autres données sont très variables selon les pays
mais il a été montré par exemple une augmentation de la consommation des quinolones et fluoroquinolones au Chili pour un usage principalement en aquaculture. Certaines molécules antibiotiques sont stables et se dégradent très lentement si bien que ces pratiques peuvent
engendrer un relarguage très important de principe actif dans l’environnement aquatiques, on
estime que 80% des antibiotiques utilisés se retrouvent de façon active dans l’environnement
potentiellement à l’origine de sélection de bactéries résistantes dans le milieu (Cabello et al. 2013). Les crevettes sont des animaux principalement élevées dans les pays en développement tropicaux dont 87 % se fait en Asie (ifremer 2011). En effet, Boss et al. (2016) ont remarqué que des pangas et des crevettes, élevés en Asie, étaient contaminés avec des bactéries multi-résistantes (E. coli, E. faecalis et S. aureus) alors que des saumons et des huîtres, élevés dans des pays tempérés, ne
l’étaient pas. Les causes de ces différences de contamination entre les produits d’élevage de pays
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utilisés en aquaculture, eaux chaudes favorisant plus le développement bactérien et/ ou de certains genres bactériens que les eaux tempérées. En outre, dans les pays en tropicaux, des crues ou des inondations causées par des pluies importantes lors de la saison humide (ouragans, tempêtes
tropicales, moussons) peuvent favoriser l’apport massif de bactéries fécales humaines et animales et
donc de leurs résistances vers le milieu aquatique (Yu et al. 2018). Cela pourrait favoriser la dissémination des bactéries résistantes et de leurs gènes de résistance entre les milieux terrestre et
aquatique. De plus, l’aquaculture intégré, utilisé notamment en Asie est également un facteur de
transmission et de sélection de résistance aux antibiotiques dans le milieu aquatique (Petersen et
Dalsgaard 2003). En outre, ces dernières années, des crevettes d’aquaculture importées d’Asie du
sud-est et du Viêt-Nam, porteuses de bactéries Vibrio et Enterobacter productrices des
carbapénémases VCC-1, NDM-1 et IMI-1 ont été décrites (Mangat et al. 2016, Briet et al. 2018, Brouwer et al. 2018). Il est estimé que 80 % des antibiotiques données en aquaculture partent directement dans le milieu aquatique environnant, créant une pression de sélection favorisant les bactéries résistantes dans l’eau et les sédiments autour des fermes d’élevage (Cabello et al. 2016, Watts et al. 2017). De plus, les courants marins peuvent également disséminer les antibiotiques et
les bactéries résistantes présentes autour des fermes d’élevage aquatique.
D’ailleurs, une proportion non négligeable de souches résistantes a été observée dans les
produits marins de capture. L’origine de ces contaminations reste à déterminer. En effet, ces
bactéries peuvent être naturellement présentes sur les animaux ou alors provenir de bactéries
résistantes provenant du milieu terrestre. En effet, l’eau et les sédiments marins, notamment des
estuaires et des côtes sont soumis à de fortes pressions anthropiques. Des résidus de médicaments utilisés en médecine humaine ou vétérinaire et des bactéries porteuses de résistance aux
antibiotiques peuvent se retrouver directement ou indirectement dans l’environnement via les stations d’épuration qui n’éliminent que partiellement les micro-organismes et les substances
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médicamenteuses, via les rejets des fermes aquacoles, ou via les eaux de ruissellement dans le milieu agricole(Abraham 2010, Davies et Davies 2010, Bousquet-Mélou et Madec 2012), et peuvent
contaminer les animaux marins et les oiseaux comme décrit par Bogomolni et al. (2008). Une étude
sur l’estuaire de la Seine, un fleuve subissant une forte pression anthropique et agricole, a montré
que 50 % des souches E. coli isolées avaient acquis des résistances à au moins une classe
d’antibiotiques (Laroche et al. 2009). Cependant, des questions se posent toujours sur le devenir de ces bactéries résistantes et de leur résistance, une fois arrivée dans le milieu marin (disparition par
prédation par les phages et les protozoaires, l’intégration dans un biofilm, dissémination des gènes
de résistance aux bactéries aquatiques, présence d’un effet de dilution, …). De plus, des études ont
montré que des bactéries comme Enterococcus spp. pouvaient adhérer et persister dans un état
viable non cultivable sur du plancton (Signoretto et al. 2004). En parallèle, d’autres études ont
montré que les particules inorganiques comme des microplastiques présentes dans le milieu aquatique pouvaient servir de support pour la formation de biofilms bactériens (Zettler et al. 2013, Ogonowski et al. 2018) et donc se posent la question de la présence possible de bactéries avec des résistances acquises au sein de ces biofilms qui sont mixtes. De plus, des bactéries résistantes (et leurs gènes de résistance) charriées par les effluents terrestres, pourraient se loger dans des biofilms sédimentaires ou sur des particules organiques ou inorganiques en suspension et se déplacer au gré des courants marins (Cabello et al. 2016). Les animaux marins sauvages peuvent être contaminés par des bactéries résistantes en contact avec ces particules en suspensions ou les sédiments marins.
Il est également possible que certaines résistances que nous avons considérées comme
acquises étaient des résistances naturelles. Cette question s’est posée principalement pour les
souches de Pseudomonas spp. vis-à-vis des céphalosporines 3èmes génération. En effet, un phénotype
d’induction de résistance à la ceftazidime par la cefoxitine a été remarqué pour certaines souches qui
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d’identification à l’espèce était faible et il n’a pas été possible de déterminer si ce mécanisme était
une résistance naturelle spécifique à des espèces de ce clade ou une acquisition de résistance. Il est
possible qu’il y ait eu une surestimation du nombre de résistances acquises.
De même, les produits importés comportaient plus de bactéries résistantes que les produits français ce qui est très lié à la catégorie de produits analysés. En effet, les produits importés étaient
principalement constitués des crevettes issus de l’aquaculture par rapport aux produits français qui étaient plus issus de la pêche (cabillauds, poissons plats, moules et huîtres). Cependant, la notion de produits français est vague pour les produits de la pêche car les produits ont été obtenus auprès de bateaux de pêche sous pavillon français. Cependant, des espèces comme le cabillaud ne sont pas
pêchées dans les eaux territoriales françaises mais dans les eaux de pays membres de l’Union
-Européenne ou internationales. Par exemple, certains échantillons de cabillauds ont été pêchés par un bateau français, puis débarqués en Ecosse et transportés en camion jusque Boulogne sur mer.
En conclusion, la présence de bactéries ayant acquis des résistances à au moins une classe
d’antibiotiques, dont deux genres bactériens (Enterococcus et Exigobacterium) avec des souches multi-résistantes, montrent que les produits marins, qu’ils proviennent d’élevage ou de la pêche,
sont un réservoir de bactéries résistantes aux antibiotiques. D’autres études font le même constat,
pour des produits importés en Suisse ou produits au Japon (Ahmed et al. 2015, Boss et al. 2016).