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Des résistances à l’édification des foyers d’hébergement et des cités de transit

Chapitre III. Le relogement : le foyer de travailleurs et la cité de transit

III. Des résistances à l’édification des foyers d’hébergement et des cités de transit

La rareté du foncier est un enjeu qui transcende toute la politique de résorption mise en place autour du bidonville des Buers. En effet, comme on a pu l’observer précédemment, une des raisons de l’intérêt prononcé de la municipalité de Villeurbanne, autour de la suppression du bidonville des Buers, est l’attrait du terrain occupé par les baraques, afin de permettre la construction du groupe de logement Hlm Charles Pranard. La récupération de cet espace urbain pour la construction de logement Hlm ne va toutefois pas bénéficier aux populations des bidonvilles, qui accèdent à des logements transitoires dans des zones périphériques.

La destruction physique du bidonville s’accompagne en effet du déplacement des populations vers des lieux de relogement, implantés à Villeurbanne mais plus généralement dans l’agglomération lyonnaise. Les difficultés d’acquisition de terrain, du fait de la rareté et du coût du foncier, mais aussi de pratiques d’évitement par des majorations du prix du foncier152, poussent les associations à développer ces structures de relogement à la périphérie, mis à part dans certains cas, comme la cité de la Feyssine, où le terrain a été cédé par la municipalité au foyer Notre Dame des sans abris.

Les représentations négatives qui frappent les mal logés, considérés comme des asociaux, doublées des préjugés à l’égard de la population algérienne, sont à l’origine de la ferme hostilité de certaines municipalités à l’installation de foyers de travailleurs algériens ou de cités de transit. Les réticences sont particulièrement virulentes dans les cas où il s’agit d’accueillir des populations issues d’autres communes de l’agglomération.

Le projet de construction de la cité de transit, 32 rue Anatole France, a ainsi fait l’objet d’une vive opposition de la part de la municipalité de Vaux en Velin. L’argumentaire de la ville prend appui sur plusieurs points : l’insuffisance des locaux scolaires pour accueillir les enfants nouvellement arrivés, le refus d’accueillir une « population sans rapport avec la municipalité

[dont] les locataires ne sont sans doute pas imposables ». Les locataires sont alors perçus

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BLANC-CHALEARD Marie-Claude, Les immigrés et le logement en France depuis le XXe siècle : une histoire paradoxale, in STORA Benjamin et Emile TEMIME, Immigrances, l’immigration en France au XXe siècle, hachette littérature, 2007, p86.

comme des assistés profiteurs qui « seront une charge pour les organismes municipaux,

d’hygiène, d’assistance médicale gratuite ». Un ingénieur des services techniques de la ville

de Vaux en Velin, dont les propos semblent refléter l’état d’esprit global de la municipalité, explique qu’il « regrette que les communes avoisinant la ville de Lyon soient considérées

comme des dépotoirs pour débarrasser la ville elle-même de gens plus ou moins indésirables, d’autant plus qu’ils ont déjà sur l’emplacement de la commune un groupement Abbé Pierre »153.

Ces oppositions trouvent un écho semblable vis-à-vis du projet d’une cité de transit impulsée par le Comité lyonnais de secours d’urgence aux sans abris et sans logis à Dardilly où seront relogées par la suite des familles des Buers. Le capitaine Lazzarini, chef de la section administrative technique de Lyon Sud, considéré comme le spécialiste des questions musulmanes, est alors chargé par le Préfet d’intervenir et de régler la question « des difficultés

particulières que pourraient soulever la présence de cette population »154 avec les services communaux de Dardilly.

Pour faire face aux refus des municipalités, la dimension provisoire de ces habitations sera mise en avant, justifiant ainsi la construction de bâtiments à normes réduites, un choix reposant aussi sur des coûts moindres et un délai d’exécution plus rapide. Les obstacles à l’édification de ces logements dénotent d’une perception particulièrement négative de l’autre, du pauvre ou de l’étranger. Les familles des Buers, considérées comme inadaptées, deviennent alors, pour les municipalités, indésirables.

A travers la décomposition du processus de résorption des Buers, nous avons pu identifier des pratiques, des manières de faire, pour évacuer les baraques des Buers. Ces pratiques reposent sur un maillage très dense d’acteurs locaux publics et privés, mobilisés autour de la question des baraques. L’évacuation des baraques se structure en différentes opérations, basées sur une succession d’étapes définies. Des temps d’interventions différenciées sont observés pour les travailleurs isolés et les familles, une distinction qu’on retrouve au sein des solutions de relogement. Cette distinction repose alors sur deux visions de l’immigration algérienne, mais

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Courrier de Georges Martin, administrateur des SCA, conseiller technique pour les affaires musulmanes à Monsieur Faure-Brac, directeur du cabinet de M. Le Préfet. 24 Nov 1959, ADR, 248W360.

est également le fruit d’une manière de penser les mal logés et les sans logis dans les années 1960. En outre, si les impératifs d’ordre public et d’assistance sont prégnants dans les opérations de résorption, l’enjeu urbanistique est aussi central dans un contexte où le foncier est rare. La nécessité pour la municipalité de récupérer les terrains bidonvillisés est un moteur important de la résorption des baraquements.

A travers cette analyse des opérations d’évacuation, la parole et la place des habitants semblent totalement occultées et questionnent sur la liberté de choix dont disposent les habitants. L’évacuation du bidonville des Buers n’est pas une simple opération de déplacement d’individus, elle est génératrice de nouveaux espaces et a donc une incidence sur la place des habitants dans la ville. La question de l’ « après-bidonville » est au cœur de la troisième partie de cette recherche. Elle a pour ambition d’interroger les effets en terme de mobilité résidentielle et différenciation territoriale des opérations de résorption du bidonville des Buers.

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PARTIE III : Les effets de la politique de résorption : mobilité