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Une politique de foyer pour les travailleurs vivant en célibataire

Chapitre III. Le relogement : le foyer de travailleurs et la cité de transit

I. Une politique de foyer pour les travailleurs vivant en célibataire

Autour de la question du logement des travailleurs « nord-africains » vivant en célibataire s’est structuré un marché de l’immobilier spécifique à destination d’hommes seuls, à la fois ouvriers et étrangers, provenant des anciens pays colonisés d’Afrique du Nord. La forme architecturale du foyer d’hébergement s’impose en particulier, après la Seconde Guerre Mondiale, bien que cette formule trouve des illustrations antérieures, notamment à travers les « hôtels populaires d’hommes » à l’adresse des soldats et ouvriers algériens après la Première Guerre Mondiale135. En outre, cette prise en charge spécifique est propre aux travailleurs « coloniaux » et ne trouve pas d’exemple équivalent pour d’autres populations étrangères.

La définition d’un logement spécifique pour les célibataires algériens repose sur l’idée d’une immigration de travail temporaire qui n’exige donc que des solutions transitoires, ainsi que sur une perception négative des ouvriers étrangers vivant seuls, considérés comme sources de danger. Le célibataire est en effet jugé indiscipliné, « son comportement ne [serait] pas

toujours conforme à la décence, à l’hygiène et aux bonnes mœurs » d’où la nécessité de le

tenir à l’écart du logement des familles. Le bidonville de la Lône Felizat nous apporte même l’exemple d’une douzaine de familles qui pour éviter la promiscuité avec les célibataires se sont déplacées géographiquement créant ainsi un nouveau microbidonville, un argument alors perçu comme recevable par les pouvoirs publics136. Le foyer, habitat collectif et encadré, devient alors un outil de fixation, d’hygiène, mais aussi de contrôle de la population algérienne.

Ces ambitions vont cependant être quelque peu mises à mal à la fin des années 1950, dans un contexte d’exacerbations des tensions en Algérie et en France. Ces foyers seront ainsi un réceptacle aux idées nationalistes, et plus particulièrement du FLN, qui se développent particulièrement en métropole. Pour y faire face, les pouvoirs publics vont alors renforcer la surveillance dans les foyers et mettre en place une action « psychologique » en diffusant des

135

BERNARDOT Marc, « Une politique du logement : la Sonacotra (1956-1962) », op.cit, p7.

136

Courrier du Commissaire de Police de Villeurbanne-Charpennes à M. Le Commissaire Divisionnaire, Commissaire central à propos de la surveillance du bidonville de la Lône Félizat et de la rue du Rhône, 1e avril 1957, ADR, 248W360.

journaux, des tracts, des émissions de radio et de télévision et en appliquant des mesures pour réprimer toute activité subversive137. Pour se soustraire aux influences nationalistes et aux interventions de la police, de nombreux travailleurs se tourneront alors vers un logement individuel, souvent précaire, en garnis ou en bidonvilles.

Dans le cadre des opérations d’évacuation du bidonville des Buers, les travailleurs isolés bénéficiant de bons de relogement par les pouvoirs publics, ont été dirigés vers un des trois foyers d’hébergement nord-africains construits par la Sonacotral à Lyon, Villeurbanne et Vénissieux, et vers le centre de la Part Dieu. D’autres foyers de l’agglomération ont toutefois certainement accueilli des ouvriers des Buers, relogés suite à des incendies ou sur leur propre initiative. La caractéristique commune de ces différents centres, outre le public accueilli, est l’encadrement des travailleurs du fait d’une discipline rigoureuse au sein du foyer. Les restrictions de liberté sont en effet nombreuses : imposition d’un couvre feu, horaires à respecter, présence de gardiens et d’agents sociaux… Les modalités d’accueil et les prestations sont toutefois variables selon les foyers d’hébergement.

Le centre de la Part Dieu138, ouvert depuis 1946 et géré par l’association lyonnaise pour l’hébergement des travailleurs nord-africains, une association d’initiative publique présidé par le Directeur Départementale du Travail et de la Main d’Oeuvre, propose des logements en dortoir, à raison de 67 francs pour une journée pour un lit à un étage, et 40 francs pour un lit à deux étages dans un dortoir qui peut contenir jusqu’à 150 personnes. Ce foyer est particulièrement vétuste et surpeuplé. Le principe de sa destruction, pour des « considérations

d’ordre social, sanitaire, moral et public »139, est adopté en 1958, mais le centre continue d’être une structure d’accueil importante de travailleurs isolés algériens jusqu’en 1965.

A la différence, les foyers Soncotral, conscients des réticences des ouvriers à vivre en dortoir, ont retenu la forme du Logeco140, un logement familial (T4 ou T5), dont les normes de construction, de taille et de confort ont été réduites. L’idée est de pouvoir, suite au départ des travailleurs, rendre leur usage familial à ces logements. La vie en foyer Sonacotral reste toutefois soumise à un très fort contrôle social, « un hygiénisme coercitif » selon les termes de

137

Rapport mensuel de Georges Martin, administrateur des S.C.A, conseiller technique pour les affaires musulmanes, février 1958, ADR, 248W10.

138

Courrier du Préfet du Rhône à M. Le Ministre de l’Intérieur, Service des affaires musulmanes et de l’action sociale, Prix de la journée pratiqué pour les centres d’hébergement des travailleurs nord-africains en métropole, 24 juillet 1958, ADR, 248W253.

139

Note relative aux problèmes du logements des musulmans (célibataires et familles) originaires d’Algérie, 29 juillet 1960, ADR, 248W10.

Marc Bernardot141. Les centres sont ainsi gérés par des jeunes retraités de l’armée coloniale, un recrutement basé sur l’idée que ces derniers ont une bonne connaissance des travailleurs nord-africains. En outre, les gestionnaires ont l’obligation d’être mariés pour diffuser l’image rassurante du couple et combler le retard supposé d’intégration. Cette ambition est paradoxale car les centres ont aussi pour objet de maintenir les travailleurs dans le célibat en évitant tout regroupement familial, et donc, toute installation plus durable.

La constitution de cette forme d’hébergement ségrégative et collective, mêlant des impératifs d’ordre social, d’encadrement et d’hygiène, reflète ainsi l’attitude des pouvoirs publics à l’égard aux travailleurs algériens, qui se sont considérés que comme des travailleurs provisoires. Les solutions de relogement mises en œuvre pour les familles algériennes attestent d’une conception différente de l’immigration algérienne, considérée alors comme une immigration dite de peuplement, dont la vocation est l’installation définitive.