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Mobilisation collective au 55 chemin des Buers

Chapitre I : Mobilité résidentielle : entre mobilité choisie et mobilité subie

II. Développement de stratégies à la marge de la procédure officielle

2. Mobilisation collective au 55 chemin des Buers

D’autres formes de résistance aux opérations de déplacement et de relogement ont pu être observées dans le bidonville des Buers. Les stratégies mobilisées ne sont alors plus individuelles par le départ de la famille mais collectives par la revendication de modalités de relogement particulières.

Comme nous l’avons vu précédemment, la destruction du l’immeuble 55 chemin des Buers constitue la « phase ultime de l’opération Pranard »172 et marque la fin des opérations de résorption dans le bidonville des Buers. Pourtant, déjà en avril 1962, dans son rapport173, le conseiller social de la Maison de l’Afrique du Nord relatait « la résorption totale et

définitive » des baraques des Buers. Cet immeuble n’avait toutefois pas été « oublié » par les

pouvoirs publics mais bénéficiait d’un statut un peu particulier.

Cet immeuble de deux étages était en novembre 1960 habité par environ 90 personnes174. Au cours des années, la population de cet immeuble a augmenté notamment par l’installation de familles des Buers réfugiées dans la bâtisse, suite à des opérations d’évacuation des baraques. Ainsi, en juillet 1963, on recense environ 24 travailleurs célibataires et 26 familles de diverses nationalités (italiennes, espagnoles, françaises, algériennes, tunisiennes), bien que majoritairement algériennes.

Lors des opérations précédentes, le relogement des familles installées dans l’immeuble avait été envisagé par les pouvoirs publics, mais l’adhésion de l’ensemble des locataires à un comité de défense a eu pour effet de bloquer les procédures de relogement. Les locataires sont ainsi restés sur place en espérant, par l’action du comité, pouvoir être indemnisés et relogés en Hlm175.

Cette mobilisation collective a finalement porté ses fruits. La destruction de la bâtisse n’a débutée qu’en juillet 1963. En outre, la quasi totalité des familles a finalement été relogée par l’office municipal des Hlm de Villeurbanne, mis à part un ménage installé dans un chalet du

172

Villeurbanne, en présence de M. Gagnaire, Phase ultime de l’opération Pranard, Article publié dans le Progrès, 11 juillet 1963.

173

Compte rendu de M. Jacquet, conseiller social de la Maison de l’Afrique du Nord, sur les opérations de résorption du bidonville des Buers, Avril 1962, ADR, 248W227

174

Plan du terrain Picot, Chemin des Buers, Etat des lieux, 7 novembre 1960, ADR, 248W363.

175

Compte rendu de M. Jacquet, conseiller social de la Maison de l’Afrique du Nord sur l’évacuation des familles de l’immeuble situé à Villeurbanne, 55 chemin des Buers, 1 juillet 1963, ADR, 248W361.

Foyer Notre Dame des Sans Abris à St Foy Les Lyons, ainsi que quelques ménages vivant en concubinage qui « en raison de leur situation irrégulière, […] n’avaient aucune chance d’être

relogées par les services publics et [ont dû] prendre leurs dispositions pour évacuer le logement »176. La situation des travailleurs isolés est vraisemblablement comparable aux ménages vivant en concubinage.

Malgré l’exclusion de nombreux ménages du logement Hlm, cette situation est inédite au regard des solutions de relogement proposées antérieurement, qui n’étaient que très rarement en logement social classique. Pour trois familles, l’obtention d’une solution de relogement a été plus tumultueuse du fait des capacités limitées de relogement, tout particulièrement en ce qui concerne les Hlm. Des particuliers, un médecin et un employé des soieries, se sont alors mobilisés pour solliciter la bienveillance du Préfet à l’égard de ces trois familles. Avec ou sans effets, ces sollicitations témoignent néanmoins de la mobilisation d’acteurs individuels pour infléchir la décision des pouvoirs publics.

Ces différentes stratégies qu’elles soient collectives ou individuelles répondent à la même ambition d’autonomisation des individus et des familles face à une politique de déplacement autoritaire. La mobilisation de différentes ressources permet alors aux habitants d’avoir une certaine prise, bien que limitée, sur leur propre itinéraire résidentiel. Cette mobilité érigée en marge des procédures officielles rentre toutefois en conflit avec les objectifs de la municipalité, l’éradication des bidonvilles et des îlots insalubres, en contribuant, bien que ce soit dans des proportions limitées, à la régénération des taudis. Le repli sur d’autres formes d’habitat précaires prend en effet le contre-pied de la politique de résorption.

Une grande partie des habitants va néanmoins tôt ou tard se rallier aux formes de relogement proposées par les pouvoirs publics. La cité de transit ne constitue toutefois pas un aboutissement, mais n’est qu’une séquence dans la chaîne résidentielle d’un ménage. L’action socio-éducative, opérée dans ces logements, doit permettre la rotation des ménages à l’intérieur d’une gamme d’habitat de dépannage puis vers le logement de droit commun,

176

Compte rendu de M. Jacquet, conseiller social de la Maison de l’Afrique du Nord sur l’évacuation des familles de l’immeuble situé à Villeurbanne, 55 chemin des Buers, 1 juillet 1963, ADR, 248W361.

constituant ainsi un « modèle résidentiel promotionnel »177. En effet, la cité de transit est « une sorte de machine à reloger assez complexe avec des échelons successifs depuis le

simple camp de réadaptation, jusqu’à l’ensemble en dur […] en passant par le foyer-hôtel pour les familles […] »178. La singularité des cités repose donc sur leur caractère provisoire, qui va toutefois être rapidement mis à mal redéfinissant les fonctions et la nature de la cité.

177

BALLAIN R. et JAILLET M-C, « La mise en œuvre des politiques locales de l'habitat entre régulation du marché et action sociale », in BONEVALET C., BRUN J., SEGAUD M. (sous la direction), Logement et

habitat, l’état des savoirs, Paris, La découverte, 1998.

178

Rapport présenté à la Préfecture du Rhône à Mr. L’Inspecteur Général Guidicelli, chargé de mission pour résorber les bidonvilles par le Foyer Notre Dame des Sans Abris, 19 Janvier 1967, archives privées du FNDSA.

Chapitre II. Le relogement en cités de transit : une solution