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I. Lutte contre les infections en santé publique

1.2. La résistance antimicrobienne

Le phénomène de résistance des micro-organismes est un processus biologique naturel permettant l’adaptation des organismes dans le temps. Il se génère par des mutations génétiques qui sélectionnent ainsi les souches capables de résister aux stress subis.9

La résistance des pathogènes aux antimicrobiens a été prédite par Alexander Fleming dès 1945 lors de la remise de son prix Nobel : « [But] I would like to sound one note of warning. […] There may be a danger, though, in underdosage. It is not difficult to make microbes resistant to penicillin in the laboratory by exposing them to concentration not sufficient to kill them, and the same thing has occasionally happened in the body. The time may come when penicillin can be bought by anyone in the shops. Then there is the danger that the ignorant man may easily underdose himself and by exposing his microbes to non-lethal quantities of the drug make them resistant. […] Moral: If you use penicillin, use enough.»28

Au-delà d’un processus naturel, ce phénomène est actuellement inquiétant car les résistances aux antimicrobiens se développent de plus en plus rapidement après chaque mise sur le marché d’une nouvelle molécule. Sachant qu’avant l’ère des antibiotiques, 30% de la mortalité étaient dus aux infections (tuberculose, pneumonie et gastroentérites), la prise de conscience sur la gravité de cette situation est devenue mondiale.9

1.2.1. Développement et transfert des mécanismes de résistance

Actuellement, des résistances à toutes les classes d’antimicrobiens développées sont connues.

1.2.1.1. Résistance bactérienne

Plusieurs mécanismes de résistances ont été mis à jour chez les bactéries, empêchant l’activité initiale des antibactériens (Figure I. 12) :

- la dégradation ou modification des antibactériens. L’exemple le plus connu est la dégradation par hydrolyse des β-lactamines par des enzymes β-lactamases. Différentes enzymes acquises par les bactéries peuvent également modifier les antibactériens en ajoutant un groupement acétyl ou phosphate changeant ainsi sa capacité de liaison au site actif,29

26 Razonable R. R., Antiviral drugs for viruses other than human immunodeficiency virus. Mayo Clin. Proc. 2011, 86, p. 1009–1026.

27 Lewis K., Platforms for antibiotic discovery. Nat. Rev. Drug Discovery 2013, 12, p. 371–387.

28 Fleming A., Nobel Lecture : Penicillin. 1945.

29 Peterson E., Kaur P., Antibiotic resistance mechanisms in bacteria: relationships between resistance determinants of antibiotic producers, environmental bacteria, and clinical pathogens. Front. Microbiol. 2018, 9.

28 - l’altération du site actif, modifiant l’affinité de l’antibactérien à celui-ci. Les souches S. aureus résistante à la méticilline (SARM) présentent des protéines PBP insensibles à l’action des β-lactamines,29

- l’augmentation de l’efflux des molécules hors de la cellule ou diminution de la perméabilité cellulaire. Des mutations sur les gènes codant pour les porines impactent la sensibilité des bactéries à Gram négatif aux antibiotiques hydrophiles.30 Les bactéries à Gram négatif sont devenues particulièrement efficaces à empêcher les antibactériens de pénétrer leur membrane.

Figure I. 12. Sites d’actions de quelques classes d’antibiotiques (à gauche) et mécanismes de résistance développés par les bactéries (à droite).

Deux processus ont été identifiés, provoquant l’acquisition de résistance chez les bactéries : - des mutations de l’ADN de la cellule bactérienne, provoquant des changements sur le

matériel génétique existant,

- l’insertion dans le matériel génétique bactérien de gènes nouveaux.31

En effet, les bactéries échangent du matériel génétique notamment par transfert de plasmides. Ces éléments, mobiles d’une cellule à une autre, sont des molécules d’ADN double brins, circulaires ou non, et sont composés de plusieurs gènes. Ce matériel génétique s’échange par des mécanismes, comme la conjugaison entre les bactéries, et peuvent alors s’insérer dans le génome. Ces échanges participent largement à la dissémination des gènes de résistance entre les bactéries.31

Certaines bactéries peuvent acquérir ainsi plusieurs gènes d’intérêt, leur permettant de devenir résistantes à différentes classes d’antibiotiques. C’est le cas de souches de staphylocoque, qui ont montré des résistances à la fois envers les β-lactamines et les quinolones. Il est estimé qu’aux États-Unis, 19 000 morts sont occasionnés chaque année par une infection au staphylocoque doré

30 Li H., Luo Y.-F., et al., Structure and function of OprD protein in Pseudomonas aeruginosa: from antibiotic resistance to novel therapies. Int. J. Med. Microbiol. 2012, 302, p. 63–68.

31 Bennett P. M., Plasmid encoded antibiotic resistance: acquisition and transfer of antibiotic resistance genes in bacteria. Br. J. Pharmacol. 2008, 153, p. S347–S357.

29 résistant à la méticilline (SARM).9 L’utilisation de vancomycine afin de traiter les infections causées par SARM, par Clostridium difficile et par les entérocoques ont favorisé par la suite l’émergence des staphylocoques résistants à la vancomycine.32

Le développement de la multi-résistance chez les bactéries à Gram positif (pneumocoque, entérocoque et staphylocoque) et chez les bactéries à Gram négatif (Escherichia coli, Klebsiella sp., Pseudomonas sp.) inquiète face à l’absence de renouveau de notre arsenal chimique. En 2014, environ 480 000 cas de tuberculose multi-résistante ont été estimés. Parmi ces cas, 9,7% des patients était supposément atteints d’une tuberculose ultrarésistante (XDR), c’est-à-dire résistante à au moins une fluoroquinolone et aux trois antituberculeux de deuxième intention (amikacine, capréomycine et kanamycine).33 Dans certains pays, les carbapénèmes sont inefficaces pour la moitié des patients atteints d’une infection au Klebsiella pneumoniae. De même, la résistance d’E. coli aux fluoroquinolones s’est largement répandue.33 Ce même phénomène de résistance se retrouve aussi pour les traitements antifongiques.

1.2.1.2. Résistance fongique

La plupart des infections fongiques se développent chez des patients immunodéprimés et peuvent engager le pronostic vital.34

L’altération des cibles des molécules antifongiques, leur efflux hors de la cellule et la réduction de l’accessibilité à ces cibles sont des mécanismes de résistance importants chez les champignons.21

Peu de publications attestent de l’existence de la dégradation des antifongiques comme mécanisme de résistance, à l’instar des bactéries.

L’efflux actif des antifongiques azolés par un système protéique a été observé chez les genres Candida, Cryptococcus et Saccharomyces.21 Des mutations des gènes codant pour l’enzyme glucane synthase ont été observées, participant à la résistance des levures Candida aux échinocandines.35

Des cas de candidoses multi-résistantes sont donc apparus. La résistance d’Aspergillus fumigatus aux composés azolés a été causée par des mutations du gène codant pour l’enzyme Cyp51 impliquée dans la conversion de lanostérol en ergostérol.35

Les connaissances sur les échanges génétiques entre les champignons, s’ils existent, sont moins abouties que ce que nous savons des échanges entre les bactéries.36

1.2.1.3. Résistance antiparasitaire et antivirale

En 2016, la résistance de P. falciparum, parasite responsable du paludisme, face aux traitements combinatoires basés sur l’artémisine a été confirmée dans cinq pays : le Cambodge, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande et le Vietnam.33 De même, le développement de résistance des virus du VIH et de la grippe est sous surveillance afin d’éviter leur dissémination.33

1.2.2. Causes

La principale cause de l’augmentation du phénomène de résistance aux antimicrobiens est la surconsommation et l’utilisation inappropriée de ces composés dans de nombreuses activités

32 Lowy F. D., Antimicrobial resistance: the example of Staphylococcus aureus. J. Clin. Invest. 2003, 111, p. 1265–1273.

33 ‘Antimicrobial Resistance’, consulté sur https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/antimicrobial-resistance, 2018.

34 Cowen L. E., Sanglard D., et al., Mechanisms of antifungal drug resistance. Cold Spring Harbor Perspect. Med. 2015, 5.

35 Wiederhold N. P., Antifungal resistance: current trends and future strategies to combat. Infect. Drug Resist. 2017, 10, p. 249–259.

30 humaines.9 Cette grande quantité d’antimicrobiens consommée induit une pression sélective sur les micro-organismes.

Dans de nombreux pays développés et en voie de développement, leur utilisation excessive est due à leur disponibilité et leur facilité d’acquisition.37 Les milieux hospitaliers contribuent principalement à l’apparition de résistance étant donné l’utilisation intensive et longue d’antibiotiques en ces lieux. En effet, selon une étude, 35% des patients hospitalisés en Europe ont reçu un traitement antimicrobien en 2011. De plus, la présence importante de personnes fragilisées et de patients immunodéficients (ayant subi transplantations, chimiothérapies…) favorise la propagation des infections.37 De nombreuses infections nosocomiales se développent dans ces milieux, principalement causées par Pseudomonas aeruginosa et Staphylococcus aureus. Des études ont montré que l’utilisation d’une unique molécule (ou d’une unique classe) antimicrobienne sur de longues périodes en grande quantité favorise la sélection de souches résistantes. Par exemple, afin de contrer la résistance de souches Escherichia coli au triméthoprime/sulfaméthoxazole, le centre de santé de Denver (États-Unis) a utilisé la lévofloxacine comme traitement des infections urinaires à partir de 1999. Une étude rapporte alors qu’une augmentation de la résistance à cette fluoroquinolone a rapidement suivi en six ans.38

Les antibiotiques sont également utilisés de manière non négligeable dans les domaines de l’agriculture et de la nutrition animale.39 Ces utilisations massives participent à la dissémination de ces composés dans l’environnement. Des mécanismes de résistance se retrouvent ainsi chez des souches environnementales. L’analyse microbienne d’échantillons de sols ou de rivières en Asie et en Afrique atteste de la présence de mécanismes de résistance aux antimicrobiens pour plus de 75% des bactéries isolées.40 Egalement, les eaux usées municipales, pouvant contenir des traces de métabolisation incomplète d’antibiotiques, rendent compte de concentrations élevées de bactéries résistantes.37

L’apparition de résistance est parfois difficilement attribuable à une seule cause. L’émergence simultanée entre 2009 et 2013 du champignon multirésistant Candida auris dans plusieurs régions de la planète pourrait être due à la pression médicamenteuse par les antifongiques ainsi qu’au changement climatique.41 De plus, la mondialisation et la facilité des échanges participent également à la dissémination rapide des souches résistantes ce qui nécessite une harmonisation mondiale des pratiques et des politiques d’utilisation des antimicrobiens.42

1.2.3. Prévention

L’émergence et la propagation rapide de résistances peuvent être retardées par une utilisation plus judicieuse et raisonnée des antibiotiques. Notamment, les traitements antibiotiques ne doivent pas être proscrits dans le cas d’infections virales ce qui nécessite la mise en place de moyens de diagnostic rapide permettant la distinction entre les celles-ci et les infections bactériennes.43 De préférence, ils doivent être choisis spécifiquement selon le pathogène, avec un

37 Prestinaci F., Pezzotti P., et al., Antimicrobial resistance: a global multifaceted phenomenon. Pathog. Global Health

2015, 109, p. 309–318.

38 Johnson L., Sabel A., et al., Emergence of fluoroquinolone resistance in outpatient urinary Escherichia coli isolates.

Am. J. Med. 2008, 121, p. 876–884.

39 Chang Q., Wang W., et al., Antibiotics in agriculture and the risk to human health: how worried should we be? Evol.

Appl. 2015, 8, p. 240–247.

40 Manyi-Loh C., Mamphweli S., et al., Antibiotic use in agriculture and its consequential resistance in environmental sources: potential public health implications. Molecules 2018, 23, p. 795–843.

41 Forsberg K., Woodworth K., et al., Candida auris: the recent emergence of a multidrug-resistant fungal pathogen. Med.

Mycol. 2019, 57, p. 1–12.

42 MacPherson D. W., Gushulak B. D., et al., Population mobility, globalization, and antimicrobial drug resistance.

Emerging Infect. Dis. 2009, 15, p. 1727–1731.

31 spectre d’activité le plus réduit possible, et consommé le temps nécessaire pour éliminer l’infection.43

La gestion de la consommation de ces antimicrobiens chez l’Homme ou les animaux reste la clé de voûte pour une perte de vitesse de ces phénomènes de résistance. Les gouvernements et organisations mettent en place des plans d’actions afin de prévenir les risques de la résistance antimicrobienne et d’occasionner une prise de conscience. En 2006, l’Union européenne interdit l’utilisation non médicinale des antibiotiques chez les animaux, évitant une utilisation sub-thérapeutique à des fins de croissance et de prévention des maladies.39 L’OMS publie ainsi en 2015 un projet de plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens.44 En France, comme dans de nombreux autres pays, des campagnes de prévention ont été souvent menées afin d’informer la population par des slogans du bon usage des antibiotiques (Figure I.