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CHAPITRE 4 : Résilience

5) Résilience

Nous avons introduit les composantes qui nous permettront à présent d’aborder la résilience dans un ensemble qui mette en tension les éléments qui nous semblaient nécessaires de rassembler. En effet, le concept de résilience est souvent présenté comme un système en équilibre entre des facteurs de risque et des facteurs de protection. Les notions d’attachement et de trauma que nous avons abordées nous permettent à présent de comprendre en quoi la résilience est à la fois l’expression d’une force et d’une faiblesse. L’enveloppe psychique que nous avons décrite dans le système de pare-excitation nous paraissait représenter le point de bascule de ce système en équilibre. S’il se rompt, il y a traumatisme et dès lors une possible cicatrisation révélant un processus de résilience. S’il n’y a pas de rupture de la membrane de protection de notre psyché, alors le choc ou toute autre forme de stress, qu’il soit soudain, répété ou chronique, n’a pas valeur traumatique et le sujet ayant subi cette agression se remettra de ce qui sera une épreuve, même s’il éprouve certaines difficultés à la surmonter.

a) Une définition

Nous avons tenté de définir la résilience en début de chapitre en prenant quelques exemples de la littérature et en proposant notre définition que nous rappelons ici :

Un processus dynamique et singulier d’un sujet qui, suite à la perception d’une mise en cause subie des limites acceptables de son humanité, réactive une nécessité vitale pour envisager l’émancipation au fracas. Il pourrait sembler que nous nous écartons des définitions les plus communément rencontrées mais nous pensons qu’il n’en est rien. De manière explicite, les définitions proposent généralement de mettre en balance les

facteurs de protection et les éléments à risque. Pour notre part, nous ne les abordons pas de manière explicite dans notre définition mais nous pensons que ces éléments sont bien présents. En fait, nous nous focalisons quasi exclusivement sur la dialectique d’un processus qui met en présence la conscience tant de l’effraction que de l’émergence possible d’une issue émancipatoire aux fracas subis. Nous proposons de ne pas nous focaliser sur la dichotomie des risques et des protections pour nous centrer sur ce qui, dans le vécu des sujets que nous avons rencontrés, fait résilience. Cette option prise ne signifie en rien que nous faisons fi des risques et des facteurs de protection. Bien au contraire et c’est ce qui nous a décidé de prendre l’option de développer les concepts d’attachement et de trauma préalablement à celui de résilience. Car sur ce qui fera pencher la balance entre un vécu traumatique et une épreuve surmontée, nous trouvons cette énergie qui protège et renforce le bouclier de l’être, et fera de lui une barrière à la fois suffisamment souple et solide que pour ne pas céder. Or que trouvons-nous pour alimenter cette énergie protectrice, si ce n’est un sentiment d’attachement ou, à minima, de lien avec sa propre humanité. Et, comme nous l’avons évoqué, notre humanité ne serait rien sans un sentiment d’appartenance au genre humain. Et si cette humanité ne se conçoit pas comme bienveillante, au-moins se peut-il que le Moi puisse l’être pour Soi-même. Ce serait là la forme la plus ténue mais ultime qui puisse ouvrir à des perspectives de résilience pour des sujets, comme bon nombre de ces jeunes que nous avons rencontrés, qui se sont considérés, à un moment ou à un autre de leur vie, comme n’ayant plus rien à perdre ni à attendre de personne.

b) Auteurs importants

La résilience est mise à beaucoup de sauces et le concept est convoqué dans de nombreux domaines. Dans le sens et pour les applications concrètes qui nous occupent avec les jeunes et leurs perspectives de développement, Ionescu retrace les origines du concept de résilience (2012, p. 29‑44) et pose le milieu du 20ème comme point de départ pour l’apparition du concept de

résilience du Moi. La capacité à s’adapter de manière flexible et ingénieuse aux facteurs externes et internes générateurs de stress, les ressources qui permettraient de modifier le contrôle du Moi et les modes d’expression pour

affronter et façonner le contexte, sont alors évoquées pour faire ressortir des types de personnalités.

Trois grandes recherches seraient à l’origine de l’étude de la résilience proprement dite, visant des enfants vivant dans des conditions de développement difficiles (Ionescu, 2012, p. 30‑31).

La première serait l’étude longitudinale menée sous la direction de Werner sur l’île de Kauai de l’archipel d’Hawaii. Elle y a suivi 337 nouveau-nés jusqu’à l’âge de 40 ans dans leur milieu de vie naturel. Les facteurs de risque de ces populations sont : la pauvreté, la violence, l’addiction, la discorde conjugale, la psychopathologie parentale, etc. Elle et son équipe ont observé qu’un certain nombre de ces enfants à risque s’accommodaient de l’environnement défaillant et montraient des signes d’adaptation pour rebondir après avoir vaincu et dépassé des situations délétères. Même si, vers l’adolescence, de nombreux enfants exposés aux facteurs de risque vont rencontrer des problèmes de délinquance, de santé mentale, un tiers à haut risque a témoigné d’un développement adapté à la fin de l’adolescence et seront qualifiés de résilients

par Werner (Anaut, 2015, p. 48‑49).

Entre 1971 et 1982, le psychologue américain Garmezy et ses collaborateurs ont mené des études sur les enfants de parents ayant été diagnostiqués schizophrènes (Ionescu, 2012, p. 30‑31). Par la suite, avec son équipe, Garmezy a également conduit des recherches longitudinales sur des enfants vivant en villes dans des conditions familiales et environnementales très précaires et considérées comme défavorables pour leur développement. La réussite scolaire, un comportement adapté en classe ou encore des compétences interpersonnelles comme la sociabilité ou l’attractivité ont été considérés comme des preuves de résilience chez ces enfants. Trois modèles ont émergé de ces recherches : le modèle compensatoire (variables venant contrecarrer les potentiels facteurs de risque) ; le modèle facteurs de protection (les facteurs de protection entrent en relation interactive avec les facteurs de risque et en modifient les effets par modération) ; le modèle challenge (l’exposition à un facteur de risque faible ou modéré est considérée comme un défi à relever qui permet d’explorer les stratégies de résolution et mobiliser les ressources) (Anaut, 2015, p. 51).

Un troisième auteur important est Rutter. Lui aussi s’est intéressé à des populations vivant des conditions précaires, cette fois à Londres et dans les régions rurales de l’île de Wight. Il étudiait, de manière longitudinale également et sur 10 ans (de 1964 à 1974), la prévalence des troubles mentaux chez des enfants (9 à 12 ans) de familles très précaires. Les facteurs à risque retenus étaient : la discorde conjugale, la classe sociale, la famille nombreuse, la délinquance ou la criminalité paternelle, des troubles psychiatriques chez la mère et enfin le placement de l’enfant en institution ou famille d’accueil (Ionescu, 2012, p. 30‑31). Les recherches ont conclu en l’apparition des troubles psychiatriques qui varient en fonction du cumul des facteurs de risque, mais aussi l’impact des facteurs de protection. « La discorde parentale et les disputes fréquentes représentaient un facteur de risque important pour le devenir des jeunes, l’étude ayant démontré notamment une plus grande fréquence de comportements antisociaux parmi les enfants issus de foyers dans lesquels les parents se disputaient et se battaient en permanence. » (Anaut, 2015, p. 52).

L’ensemble de ces études démontrent que les troubles du développement augmentent de manière importante lorsque le nombre de facteurs de risque augmente. La probabilité de troubles mentaux en présence de 1 facteur de risque est de 1%, alors qu’elle est de 5% en présence de 2 facteurs de risque. Au 4ème facteur cumulé, la probabilité est portée à 21% (cumulative risk index) (Anaut, 2015, p. 52).

Rutter et son équipe se sont également intéressés aux enfants de Roumanie qui avaient été placés dans des orphelinats avec privation sensorielle et psychoaffective grave sous le régime de Caeusescu en 1989. Les chercheurs ont examiné l’étendue du déficit développemental, cognitif et staturo-pondéral, ainsi que des capacités à récupérer après adoption des enfants. Les enfants adoptés avant l’âge de 6 mois ont pu récupérer totalement leur retard à l’âge de 4 ans. D’autres enfants, adoptés plus tardivement, n’ont pu que récupérer partiellement leur retard (Anaut, 2015, p. 53).

Nous proposons ici une autre définition de la résilience donnée par Rutter et reprise par Anaut : « La résilience est caractérisée par un ensemble de processus sociaux et intrapsychiques qui permettent d’avoir une vie saine dans

un milieu malsain. Elle réalise au cours du temps, selon des combinaisons hasardeuses entre les attributs de l’enfant et le contexte familial, social et culturel » (2015, p. 53). Cette définition démontre une évolution du concept de résilience dans une perspective développementale et écosystémique qui ont permis de la concevoir comme un processus résultant des interactions entre l’individu et son environnement, processus lui permettant de faire face ou à surmonter des situation difficiles (Cyrulnik et Jorland, 2012, p. 31).

Nous ne pouvons clore cette revue des auteurs importants sans citer, pour la Francophonie, le nom de Cyrulnik et également ceux de Pourtois et Desmet. Le premier a largement contribué à populariser le concept dans notre langue. Les seconds, avec Humbeeck, ont particulièrement marqué nos travaux et semblent, au travers de nos rencontres avec d’autres chercheurs, avoir également été pour eux d’une grande importance dans la compréhension et l’évaluation scientifique possible du concept de résilience.