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Réponse de la végétation à la variabilité climatique millénaire en Europe du sud

Chapitre 1 : Cadre général

III. CADRE PALÉOENVIRONNNEMENTAL ET PALÉOCLIMATIQUE AU COURS

III.2. Réponse de la végétation à la variabilité climatique millénaire en Europe du sud

Durant le dernier cycle glaciaire, des changements climatiques abrupts, à l’échelle du millénaire, ont été identifiés grâce aux variations de la composition isotopique de l’oxygène

18 (18O) enregistrées dans les carottes de glace du Groenland sur le site de NGRIP. Cet

intervalle chronologique a été subdivisé en une série de 26 phases interstadiaires (GI) et stadiaires (GS) groenlandais (Rasmussen et al., 2014). Les périodes de réchauffements rapides ont été associées aux évènements de Dansgaard-Oeschger (D-O), qui ont été suivis par un retour progressif à des conditions climatiques plus froides (Dansgaard et al., 1993). Certains stadiaires sont également associés à des débâcles d’icebergs (révélées par la présence d’Ice-rafted debris ou IRD dans les carottes marines) de grande ampleur dans l’Atlantique Nord, connues sous le nom d’évènements de Heinrich (HEs) (Heinrich, 1988 ; Sanchez Goñi & Harrison, 2010). En Europe occidentale, l’étude des cortèges polliniques des sédiments marins a mis en évidence une réponse synchrone de la végétation aux changements de température de la surface de l’Atlantique nord pendant les cycles D-O et les HEs (Sanchez Goñi et al., 2000).

Les liens étroits entre la variabilité climatique et la végétation se manifestent aussi dans les enregistrements lacustres sur le continent européen (Fletcher et al., 2010 ; Feurdean et

al., 2014 ; Moreno et al., 2014). De manière générale, l’instabilité climatique associée aux

SIM 3-2 est clairement visible à travers les cortèges polliniques qui ont enregistré des transformations rapides des paysages entre des phases de steppes, de steppes boisées, de

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forêts boréales (composées de pins, épicéas, mélèzes et bouleaux) et de forêts tempérées (principalement des chênes à feuilles caduques et des arbres thermophiles associés) contrôlées

par l’intensité des interstadiaires et des stadiaires. De plus, Fletcher et al. (2010) ont signalé

une limite à 45°N séparant deux types de réponses de la végétation durant les interstadiaires : (i) les forêts composées de feuillus mésophiles à thermophiles caractériseraient l’Europe méridionale tandis que (ii) des forêts boréales se développeraient aux latitudes moyennes jusqu’à 50°N.

Une compilation de trois séquences lacustres (Monticchio, Les Échets, Bergsee) le long d’un transect N/S entre les latitudes 47,5°N et 41°N a été réalisée afin de prendre en compte la diversité latitudinale de la vallée du Rhône. Ces séquences ont été construites à partir d’un modèle d’âge indépendant et d’une étude à haute résolution des pollens pour reconstituer l’évolution de la couverture végétale de chaque secteur (Allen et al., 1999 ; Wohlfarth et

al., 2008 ; Duprat‐Oualid et al., 2017). La comparaison entre ces enregistrements a permis

d’apporter les informations suivantes (Fig. 1.14) :

1) Au SIM 3, des changements rapides de la concentration en pollens d’arbres indiquent une alternance entre des phases de développement de la végétation steppique accompagnées d’une aridité accrue durant les stadiaires et une expansion de la forêt pendant les interstadiaires. La reconstitution des paléotempératures à partir des assemblages de fossiles de diatomées sur le site des Échets indiquent des températures estivales moyennes comprises entre 10°C et 12°C (Ampel et al., 2010).

2) Les réponses de la végétation aux phases interstadiaires sont contrastées entre le nord et le sud et semblent suivre un gradient latitudinal N/S. À Bergsee et aux Échets, l’accroissement des taxons ligneux est représenté principalement par des proportions variables selon les interstades de pollen de pins et de bouleaux (Wohlfarth et

al., 2008 ; Duprat‐Oualid et al., 2017) tandis que les chênes, des hêtres et des sapins

(30 à 60% de pollens d’arbres) sont dominants à Monticchio (Allen et al., 1999). 3) L’intervalle chronologique entre ~32 ka et 14.7 ka (fin du SIM 3 et SIM2) est

caractérisé par une réduction drastique de la quantité de pollen d’arbres et par le développement d’un environnement steppique xerophytique dominé par les armoises. La réponse de la végétation aux HE-3 et HE-2 est particulièrement bien marquée, ce qui indique des conditions climatiques froides et arides sur le continent européen. Durant le SIM 2, l’enregistrement lacustre de la séquence des Échets montre une température estivale moyenne de ~ 9°C et une réduction drastique des populations de diatomées entre 31,7–30,0 et 26,0–23,6 ka associée à une baisse de la productivité

organique du lac (Wohlfarth et al., 2008 ; Ampel et al., 2010). Ces dates coïncident

également avec les évènements d’Heinrich 3 et 2, respectivement. Durant cet intervalle, les interstades (GI-4, 3 et 2) sont marqués par de légères augmentations de pollen d’arbres (Wohlfarth et al., 2008 ; Duprat‐Oualid et al., 2017).

En résumé, les analyses polliniques ont donc permis d’identifier l’impact des cycles de D-O sur les environnements lacustres. Néanmoins, la réponse de la végétation aux variations climatiques globales semble moins prononcée dans les séquences lacustres de l’Europe méridionale telles que celles de Monticchio ou de Ioaninna (Tzedakis et al., 2002). Ceci pourrait s’expliquer par des (i) facteurs locaux (altitude, topographie, type de sols, microclimat) et/ou (ii) l’existence d’un gradient longitudinal dans la réponse de la végétation

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à la variabilité climatique Nord-Atlantique en raison d’une augmentation de la distance par rapport à l’océan.

Un gradient latitudinal N-S est également discernable avec la persistance de populations d’arbres feuillus dans la région méditerranéenne. Cette région a probablement servi de zone refuge à ces taxons durant les épisodes froids du Dernier Glaciaire (Tzedakis et al., 2013), ce qui explique leur rapide recolonisation durant les interstadiaires. Plusieurs études suggèrent la persistance d’un couvert forestier en bordure de la méditerranée pendant le DMG (González-Sampériz et al., 2005 ; Beaudouin et al., 2007). Cette hypothèse est en accord avec les simulations du couvert végétal produites par les modèles globaux du climat (Cheddadi et

al., 2006 ; Arpe et al., 2011 ; Strandberg et al., 2011) qui indiquent pour cette zone la

persistance d’un climat plus favorable à la végétation ligneuse que dans les régions

nord-européennes. Les travaux de Médail & Diadema (2009) suggèrent également que les refuges

méditerranéens ont pu présenter une diversité de plantes importante sur une surface parfois limitée, dans des zones situées à moyenne altitude et le long des vallées encaissées. La vallée du Rhône et surtout ses affluents parfois encaissés (e.g., Ardèche, Durance) ont pu ainsi constituer des zones refuges potentielles abritant plusieurs espèces végétales pendant les périodes les plus froides et arides du Pléistocène.

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Figure 1.14 (ci-contre) : Enregistrements paléoclimatologiques et paléoenvironnementaux en Europe continentale durant le SIM 3 et SIM 2 le long d’un transect N/S. A) Projection de l’axe 1 horizontal obtenu à partir d’une analyse en composante principale (ACP) de données polliniques du lac de Bergsee (Allemagne). Les résultats de l’axe 1 révèlent une séparation entre deux groupes de végétations opposées : les valeurs négatives sont corrélées avec les taxons d’herbacées tandis que les valeurs positives correspondent à des taxons d’arbres/arbustes (modifié d’après Duprat‐Oualid et al., 2017). B) Variation des concentrations (exprimées en %) de pollens d’arbres (en vert) et reconstructions des paléo-températures (exprimées en °C) de juillet (en rouge) à partir des assemblages fossiles de diatomées dans la carotte lacustre des Échets à proximité de Lyon (modifié d’après Wohlfarth et al., 2008 et Ampel et al., 2010). C) Projection de l’axe 1 d’une ACP réalisée à partir de pollens issus du lac de Monticchio en Italie (Allen et al., 1999). D) Fluctuation de la composition isotopique en δ18O enregistrée dans les carottes de glace du Groenland (NGRIP) (Rasmussen et al., 2014). Les rectangles gris correspondent aux interstadiaires tandis que les stadiaires sont notés de GS-1 à 17. Intervalles chronologiques (barres noires) correspondants aux HEs d’après Sanchez Goñi & Harrison (2010) et Banks et al. (2019). Les pointillés correspondent aux différences entre les deux publications concernant HE-2 et HE-3.

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