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ORGANISATION SPATIALE DU SYSTÈME ÉOLIEN ET ORIGINE DES LOESS 152

Chapitre 6 : Conclusions générales et perspectives

I. ORGANISATION SPATIALE DU SYSTÈME ÉOLIEN ET ORIGINE DES LOESS 152

I.1. Une paléogéographie complexe

La cartographie des dépôts éoliens (sables, sables lœssiques, lœss sableux, lœss) dérivés de la base de données texturale des sols LUCAS donne un meilleur aperçu de leur répartition spatiale dans le sud-est de la France que les cartes géologiques déjà disponibles. Les observations de terrain, les données de la littérature, combinées avec l’analyse d’un MNT à 5 m de résolution ont révélé plusieurs formes de reliefs liées à la déflation, en particulier les yardangs, des pans et des pavages de déflation. À l’échelle régionale, la distribution spatiale

des dépôts et des formes de reliefs éoliennes n’est pas aléatoire. Dans le Chapitre 3, deux

zones ont ainsi été distinguées : (i) une zone septentrionale située à l’amont d’une succession de défilés autour de 44,5°N de latitude et (ii) une zone méridionale correspondant au Bas Rhône, caractérisée par un élargissement de la vallée sous la forme d’un triangle ouvert vers la mer Méditerranée.

Dans la partie septentrionale, les dépôts éoliens correspondent majoritairement à des lœss grossiers (parfois décalcifiés comme dans les Dombes) recouvrant les plateaux et les pentes des principales vallées. Les formes d’érosion éolienne et les dépôts sableux sont absents. La basse vallée du Rhône constitue une zone de transit de sables où les formes de reliefs liées à la déflation et au transport de sables en saltation ont été favorisées par des vents unidirectionnels et de forte intensité. Une telle configuration est expliquée par une série de rétrécissements à partir du sud de Valence qui se terminent en aval par le défilé de Donzère, et ont entrainé la canalisation et l’accélération des masses d’airs provenant du nord. Les mesures effectuées sur les yardangs ont indiqué que la direction des vents prédominants pendant le Pléistocène était semblable à celle du Mistral actuel. En conséquence, dans l’axe rhodanien, la déflation a prédominé tandis que des décélérations du vent causées par des obstacles topographiques ont permis l’accumulation de sables sur les versants sous forme de rampes sableuses. À la périphérie du Rhône, des zones d’accumulation de dépôts éoliens se sont développées : la taille des grains décroît rapidement vers l’est et l’ouest. Les dépôts de lœss grossiers sont discontinus et localement épais mais deviennent de plus en plus fins et de faible épaisseur en s’éloignant du Rhône pour laisser place uniquement à des sols enrichis en

particules éoliennes. À partir de plusieurs arguments développés en détail dans le Chapitre 3,

nous avons émis l’hypothèse que la persistance d’un couvert végétal durant les épisodes froids favorables aux flux de poussières a probablement constitué un piège efficace pour capter les particules sableuses transportées en saltation et les limons grossiers en suspension à court terme depuis les sources d’émission.

Parallèlement au rôle de la végétation, la topographie a largement contrôlé l’organisation des dépôts éoliens. Cette organisation est caractérisée par : (i) des vents unidirectionnels puissants canalisés par le relief ; (ii) un axe fluviatile majeur capable de délivrer une quantité significative de particules sableuses et limoneuses à la déflation et (iii) une séparation entre une zone soumise à la déflation avec de nombreuses formes de reliefs éoliennes et une zone d’accumulation caractérisée par des sables éoliens et des lœss. Cette configuration n’est pas unique en Europe, les mêmes caractéristiques se retrouvant dans d’autres déserts froids

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pléistocènes tels que celui des Carpates (Sebe et al., 2011 ; Sebe et al., 2015) ou de la vallée de l’Ebre (Gutiérrez-Elorza et al., 2002 ; Gutiérrez et al., 2013). Des similarités (yardangs, dépressions endoréiques, dunes) existent également avec des déserts chauds actuels, comme celui du Qaidam en Chine (Li et al., 2016 ; Hu et al., 2017) ou de la région de Dakhla en

Egypte (Brookes, 2001) (Fig. 6.1). Ces exemples montrent que la basse vallée du Rhône

durant le Dernier Glaciaire est typique d’un reg périglaciaire formé dans des environnements semi-arides à arides. Il est intéressant de noter que malgré l’abondance des galets éolisés, des pans et des yardangs témoignant de l’efficacité du transport de sables, les accumulations sableuses restent limitées en comparaison des exemples cités précédemment. Ce budget sédimentaire négatif montre que l’axe rhodanien de Donzère jusqu’à la mer Méditerranée a constitué une zone de transit entre les sources sédimentaires et les zones d’accumulations. Le plateau continental actuellement submergé depuis la transgression holocène pourrait correspondre à une région d’accumulation nette et avoir été recouvert par des champs de dunes.

I.2. Le rôle fondamental de la calotte alpine dans la formation des lœss périalpins

La composition géochimique des échantillons de lœss prélevés le long du Rhône présente une remarquable homogénéité, ce qui peut s’expliquer par des sources d’alimentation communes.

D’après nos résultats (cf. Chapitre 4), une relation génétique existe entre les rivières drainant

les Alpes (Isère, Drôme, Rhône) et les lœss, les unes comme les autres étant en effet fortement enrichis en carbonates. Les lœss se distinguent par des concentrations plus élevées en minéraux résistants (notamment le zircon) pouvant être lié au tri granulométrique durant le transport ou au recyclage sédimentaire. La répartition spatiale des dépôts éoliens et l’étude géochimique convergent pour indiquer le contrôle majeur exercé par le fleuve Rhône sur la distribution des sables et des lœss, suggérant que les barres alluviales et les limons des plaines d’inondation étaient la principale source de particules. Seuls les lœss de la Durance et de Provence se distinguent par leurs propriétés (valeurs du Chemical Proxy of Alteration (CPA), Eu/Eu* plus hautes et concentration en Mg et Ca plus élevées) des lœss rhodaniens, qui indiquent des sources plus riches en dolomie et en roches mafiques.

À l'échelle européenne, la composition géochimique du lœss varie de région en région tout en restant relativement uniforme au sein d’une même région. Une telle variabilité s’explique par la corrélation entre la composition des roches affectées par l’abrasion glaciaire et les lœss dans les bassins versants respectifs. Par exemple, les lœss de la ceinture lœssique nord-européenne étaient principalement alimentés par des alluvions de rivières riches en minéraux potassiques, qui proviennent des roches felsiques scandinaves. Au contraire, les lœss périalpins sont enrichis en carbonates en raison du drainage de roches carbonatées par les rivières alpines. Nos résultats montrent aussi que le taux d’altération des lœss est relativement faible dans le bassin du Rhône et les autres régions lœssiques européennes. Les variations des indices d’altération entre les différentes régions sont principalement liées à la lithologie des sources et au tri granulométrique lors du transport fluviatile et éolien des particules. L’absence de gradient d’altération traçable dans les lœss européens met en évidence le rôle mineur joué par le climat sur la composition géochimique, contrairement à l’hypothèse d’un gradient climatique ouest/est supposé par Frechen (2003). Les valeurs faibles de l’indice du CPA s’expliquent par les conditions climatiques rigoureuses du Pléniglaciaire où les

Chapitre 6 : Conclusions générales et perspectives

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processus d’érosion physique (abrasion glaciaire, cycle de gel-dégel) prennent le pas sur l’altération chimique. L’influence du recyclage sédimentaire d’anciens dépôts éoliens ou de stocks alluviaux (par les rivières ou directement par le vent) sur la composition géochimique des lœss reste difficile à évaluer. Néanmoins, ce processus pourrait être à l’origine du fort enrichissement en minéraux résistants et en quartz des lœss de certaines régions. Afin de mieux estimer l’impact de ce facteur, un examen détaillée de l'évolution géochimique au sein d’un dépôt de lœss d’une région donnée et couvrant plusieurs glaciations est nécessaire.

I.3. Perspectives

Ce travail qui s’inscrit dans la lignée des travaux effectués dans le bassin aquitain (Sitzia, 2014), renouvelle nos connaissances sur les formations éoliennes pléistocènes françaises. Néanmoins, d’autres systèmes tels que ceux de la vallée de la Garonne, du Languedoc-Roussillon ou de la vallée de la Loire restent à étudier pour avoir une vision plus globale du fonctionnement des processus éoliens à l’échelle nationale.

Ce travail s’inscrit également dans le renouvellement de la cartographie des dépôts éoliens à l’échelle européenne (Haase et al., 2007 ; Scheib et al., 2014 ; Bertran et al., 2016) ou régionale (Jipa, 2014 ; Lindner et al., 2017 ; Lehmkuhl et al., 2018a,b) . La cartographie des dépôts éoliens est inégale selon les régions : elle est par exemple extrêmement lacunaire dans le sud de l’Europe (Portugal, Espagne, Italie, etc.). Cependant, une carte nationale devrait voir le jour dans les années à venir en Italie (Zerboni et al., 2018). La construction de cartes sur SIG à partir de rasters obtenus par krigeage comportant des données sur la texture des sols (Bertran et al., 2016) ou sur leur géochimie (Scheib et al., 2014) parait prometteuse. Ces approches présentent de nombreux avantages par rapport à la cartographie conventionnelle qui se heurte a plusieurs difficultés : (i) un manque de prospection par les géologues spécialistes du quaternaire dans certaines zones ; (ii) une identification difficile de l’origine des dépôts et (iii) la difficulté de prendre en compte des dépôts de faible épaisseur. Néanmoins, ces nouvelles approches ne sont pas non plus dénuées de défauts et échouent à identifier certaines accumulations éoliennes pourtant clairement identifiées dans la littérature

en raison de l’hétérogénéité des dépôts éoliens mis en exergue dans les Chapitres 3 et 4. Il est

donc difficile d’étendre cette approche à l’échelle du continent sans avoir étudié en détail chaque région ou chaque bassin versant contenant des dépôts éoliens. C’est l’un des objectifs

de ce travail pour le sud-est de la France (Chapitre 3). Une analyse critique montre cependant

que l’étendue des dépôts cartographiés semble légèrement surestimée tandis que la faible résolution (500 m) ne permet pas de distinguer des épandages de lœss de faible taille ou de les individualiser. De manière générale, plusieurs axes de développement sont envisageables pour améliorer ce type d’approche cartographique : (i) des vérifications sur le terrain afin de valider la présence de dépôts éoliens suggérés par la nouvelle carte ou bien de les retirer ; (ii) l’affinement de notre connaissance de la composition et de la distribution granulométrique des dépôts éoliens, notamment de leurs horizons superficiels ; (iii) le recoupement des données granulométriques et géochimiques ; et enfin (iv) la réalisation des modélisations prenant en compte les épaisseurs des dépôts, soit en acquérant de nouvelles données sur le terrain, soit en exploitant des données existantes (descriptions dans la littérature des coupes éoliennes, utilisation des données de forages et sondages géotechniques, de prospections géophysiques, etc.) (cf. Sitzia et al., 2017). L’amélioration future de la résolution des cartes texturales et

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géochimiques européennes des sols permettra de résoudre en partie certaines limites. De plus, il serait intéressant de proposer une cartographie des sources potentielles des dépôts éoliens pour mieux comprendre leur organisation spatiale.

Pour mieux comprendre les potentielles différences entre les lœss péri-méditerranéens, d’Europe centrale et les lœss nord-européens, des analyses malacologiques détaillées des principales coupes devront être réalisées afin de tester l’hypothèse de la présence d’un couvert végétal durant les épisodes froids du Pléistocène et de son rôle sur l’accumulation de lœss. En complément de la malacologie et dans la mesure où les pollens ne sont généralement pas préservés dans les lœss, l’étude de la composition isotopique de biomarqueurs lipidiques, en particulier les n-alcanes à longues chaines facilement extractibles, pourrait être un proxy intéressant (Schatz et al., 2011 ; Zech et al., 2013). Il permet en effet de distinguer avec

succès la contribution respective des graminées/herbes (C31 et C33) et des arbres/arbustes (C27

et C29).

Une question soulevée dans ce travail à laquelle nous n’avons malheureusement pas pu répondre de manière satisfaisante concerne l’apport de poussières sahariennes dans notre zone d’étude. Des observations météorologiques et la reconstitution des trajectoires des flux de particules à l’aide d’images satellitaires ont montré que plusieurs centaines de tonnes de poussières par an sont transportées dans l’atmosphère depuis des sources du nord du Sahara vers l’Europe (Stuut et al., 2009 ; Varga et al., 2013). Dans le sud de la France, des épisodes d’apports de poussières sahariennes ont lieu plusieurs fois chaque année et déposent des particules généralement inférieures à 10-20 µm (Bücher & Lucas, 1984 ; Coudé-Gaussen, 1991). Selon des calculs, les poussières sahariennes représenteraient jusqu’à 20-30% de la composante fine (argiles et limons fins) des paléosols interglaciaires des séquences de lœss-paléosols du bassin des Carpates (Varga et al., 2016). Ainsi, une part non négligeable des particules fines des paléosols rouges présents dans les lœss du sud-est de la France pourrait provenir du Sahara. L’identification d’une faible quantité de particules fines n’est pas aisée et nécessite l’emploi de traceurs spécifiques. L’utilisation d’un minéral argileux (la palygorskite) classiquement employé pour détecter des apports sahariens (Bout-Roumazeilles et al., 2007) est questionnable en raison de son altération rapide en montmorillonite et/ou chlorite sous des climats plus tempérés qu’en Afrique du Nord (Újvári et al., 2012). Une solution à ce problème pourrait être l’analyse combinée de la signature isotopique du Nd et de l’Hf dans la fraction fine (<10 µm) des sédiments (Újvári et al., 2018).

L’analyse et la comparaison de la composition chimique élémentaire (éléments majeurs, traces et terres rares) des lœss et des sources potentielles s’est révélée être une méthode efficace dans la mesure où ni l’altération, ni le recyclage sédimentaire ne sont en capacité de masquer leur signature géochimique d’origine. Pour aller plus loin, il pourrait être intéressant de combiner cette approche avec l’analyse de la composition isotopique du néodyme (εNd) des lœss et des sources potentielles. Ce proxy s’est révélé être efficace pour déterminer la provenance de sédiments dans des rivières européennes avec des valeurs comprises entre -23,3 et -6,7 (Toucanne et al., 2015). Les variations du εNd dans les alluvions des rivières européennes sont contrôlées par la lithologie et l'âge des roches mères (Goldstein et al., 1984 ; Goldstein & Jacobsen, 1987 ; Peucker‐Ehrenbrink et al., 2010).

Chapitre 6 : Conclusions générales et perspectives

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Figure 6.1 : Exemples de regs actuels (A, B, C) et pléistocènes (D, E). A) Couloirs linéaires et crêtes (yardangs) unidirectionnelles visibles sur le plateau en amont et accumulations sableuses sous la forme de train de dunes (de type barkhane) dans la région de Dakhla (Egypte, 25.764°N ; 30.347°E). B) Yardangs et pans, bassin de Qaidam (Chine, 37.939°N ; 94.290°E). C) Yardangs, bassin de Qaidam, Chine (37.776°N ; 94.555°E). D) Formes de reliefs liées à l’abrasion éolienne (en bleu foncé, les obstacles topographiques) dans le bassin de Pannonie, Hongrie (Sebe et al., 2011). E) Vue aérienne oblique dans les lacs salés de la Playa et d’El Pueyo dans le bassin de l’Èbre en Espagne (Gutiérrez et al., 2013). UT : terrasse supérieure ; MT : terrasse moyenne ; Yr: Yardangs développés sur un encaissant de gypse ; Yls: Yardangs sculptés dans les sédiments lacustres.

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II. LE SYSTÈME ÉOLIEN DE LA VALLÉE DU RHÔNE : BILAN