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Chapitre 1 : Cadre général

III. CADRE PALÉOENVIRONNNEMENTAL ET PALÉOCLIMATIQUE AU COURS

III.1. Evolution des glaciers alpins

III.1.1. Le rôle des glaciers dans la formation des dépôts éoliens

En milieu périglaciaire, l’abrasion glaciaire est considérée comme un des mécanismes les plus

efficaces pour réduire les particules grossières en particules fines (Smalley, 1966) (Fig.

1.11A). Durant les épisodes froids du Pléistocène, les vallées alpines ont été envahies par les

glaciers et ont donc constitué un lieu privilégié pour la production de sédiments fins à partir de roches de lithologies variées (roches ignées, métamorphiques, sédimentaires). Des exemples actuels (Svalbard, Islande, Alaska, Groenland) montrent que la quantité de limons

produite à proximité des glaciers est très élevée (Fig. 1.11B) (Bullard & Austin, 2011 ;

Bullard, 2013 ; Bullard et al., 2016). Bien que la majorité des particules fines soient produites par l’abrasion glaciaire, d’autres mécanismes, tels que des processus d’altération par le froid ou la comminution fluviatile, sont susceptibles d’y contribuer (Wright, 2001a). L’augmentation de l’activité fluvio-glaciaire associée à l’extension des glaciers entraîne la mobilisation et la redistribution des sédiments vers les plaines d’épandages fluvio-glaciaire où ils se déposent (Wright, 2001b ; Smalley et al., 2009). Dans le cas des glaciers de montagne (comme ceux des Alpes), ces particules sont transportées sur une grande distance par des rivières périglaciaires en tresses comme dans les vallées du Rhin, du Rhône ou du Danube. Le transport fluvio-glaciaire joue ici deux rôles essentiels: (i) il permet de séparer les différentes fractions granulométriques (argiles, limons et sables) et (ii) de recharger les plaines d’épandage des rivières lors de chaque fonte annuelle (Pye, 1995). Les sédiments déposés sur les plaines d’inondation peu végétalisées sont ainsi facilement remobilisables par le vent. Durant les phases froides du Dernier Glaciaire, l’intensité des vents était plus élevée qu’actuellement en raison de l’augmentation de l’activité cyclonique en Europe, elle-même liée à la présence des calottes glaciaires britannique et scandinave (Isarin et al., 1997 ; Christiansen & Svensson, 1998 ; Christiansen, 2004). La fréquence relativement élevée de vents turbulents provoque une augmentation des taux de déflation des sédiments exposés sur des surfaces géomorphologiquement actives telles que les plaines d’épandage fluvio-glaciaire ou les rivières en tresses. Compte tenu des conditions décrites ci-dessus, il est probable que l’accumulation de lœss dans la vallée du Rhône ait été renforcée au cours des phases d’avancée des glaciers alpins qui sont intimement liées aux fluctuations climatiques de l’hémisphère nord. Il est donc important de s’intéresser à la rythmicité des fluctuations des glaciers alpins au cours du dernier cycle glaciaire.

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Figure 1.11 : A) Schéma simplifié de la production de poussières dans les environnements glaciaires (modifié d’après Muhs & Bettis III, 2003). Images satellitaires (MODIS) où l’on a pu observer des émissions de poussières (« dust plume ») au-dessus de l’océan en Islande (B) prise le 7 mai 2010 et en Alaska (C) le 4 décembre 2012 (modifié d’après Bullard et al., 2016).

III.1.2. Extension maximale du glacier alpin

Historiquement, l’étendue maximale du glacier alpin durant le Dernier Glaciaire a été contrainte par la cartographie des moraines et de leurs dépôts fluvio-glaciaires associés (Penck & Brückner, 1901/1909). Les moraines au cours de la dernière glaciation se distinguaient des moraines externes plus anciennes, moins différenciées sur le plan morphologique, attribuées aux extensions de la pénultième glaciation au cours du SIM 6 ou 8. En France, deux complexes morainiques ont été reconnus autour de la chaine occidentale des Alpes et du Jura (Bourdier, 1961 ; Monjuvent, 1979, 1984 ; Mandier, 1984 ; Campy, 1992) : (i) le « complexe morainique externe » est associé à l’extension glaciaire maximale durant le Pléistocène moyen (i.e. le Riss selon Penck & Brückner, 1901/1909) où il aurait atteint la

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marge occidentale du Jura, la région lyonnaise et aurait couvert l’ensemble du plateau des Dombes ; alors que (ii) le « complexe morainique interne » dont les limites ont été identifiées 10 à 40 km en amont de la phase précédente correspondrait à la glaciation de la fin du Pléistocène (Würm) (Buoncristiani & Campy, 2011). À l’échelle de l’arc alpin, les phases d’avancée et de retrait des glaciers d’une vallée à l’autre peuvent être corrélées grâce à la ligne d’équilibre glaciaire (LEG, représentant la limite entre les zones d’accumulation et d’ablation). Durant le DMG local, la calotte glaciaire des Hautes-Alpes a alimenté des glaciers émissaires imposants qui occupent les principales vallées en formant des lobes de piémonts dans la partie septentrionale (Rhône, Reuss, Rhin, Inn et Salzach) et en remplissant des amphithéâtres italiens (Tagliamento, Garda, Ivrea, Rivoli-Avigliana, Gesso) dans la partie méridionale (Fig. 1.12).

Figure 1.12: Cartographie de l’extension maximale de la calotte alpine durant le Dernier Maximum Glaciaire local. Localisation des principaux glaciers cités dans le texte (modifié d’après Ehlers & Gibbard, 2004 ; Ivy‐ Ochs et al., 2018).

Une modélisation récente a montré que l’écoulement des glaces était largement contrôlé par la topographie subglaciaire mais que les transfluences à travers les cols de montagne étaient fréquentes (Seguinot et al., 2018). Selon cette simulation numérique, le volume de glace total

aurait atteint un maximum de 123 000 km3 alors que l’épaisseur de glace pouvait être

localement comprise en 1500 et 2000 m dans les vallées encaissées (Benz, 2003). Le LEG durant l’étendue maximum du glacier DMG du Rhin a été estimé à 1000 m a.s.l., ce qui suggère une dépression de la LEG de plus de 1500 m par rapport à celle du Petit Âge Glaciaire (Keller & Krayss, 2005). Les archives géologiques (cartographie de la direction d’écoulement de la glace de fond, cartographie de la trimline et localisation des blocs

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erratiques en haute altitude) indiquent que la glace était plus épaisse au sud de la principale ligne de partage des eaux actuelles (Ivy‐Ochs, 2015).

III.1.3. Chronologie alpine

Durant les dernières décennies, la chronologie alpine a été documentée sur de nombreux sites

autour des Alpes par les méthodes de datation au radiocarbone (14C) et de datation

d'exposition par le béryllium (10Be). Ces nouvelles données chronologiques ont permis

d’améliorer grandement le cadre stratigraphique régional.

Les données concernant la glaciation du SIM 4 sont lacunaires et la chronologie de l’extension maximale reste indéterminée (Preusser et al., 2007). Durant le SIM 3, les principales vallées alpines septentrionales et orientales, libres de glace, ont été colonisées par des mammouths laineux (Spötl et al., 2018) et par une végétation de milieu ouvert (Barrett et

al., 2018). Des datations effectués sur différents sites localisés sur les versants nord et sud des

Alpes ont suggéré une avancée des glaciers au-delà du front alpin à partir de 30 ka (fin du SIM 3 – début du SIM 2). Les éléments chronologiques contraignant le plus précisément les fluctuations dans les lobes glaciaires d’avant-pays au cours du DMG local ont été obtenus dans un nombre relativement limité de systèmes de moraines frontales bien datées, à savoir le Rhin (Preusser et al., 2011), le Tagliamento (Monegato et al., 2007), la Garda (Monegato et

al., 2017) et le Rivoli-Avigliana (Ivy‐Ochs et al., 2018). Les principaux points à retenir de ces

études récentes sont les suivants (cf. Fig. 1.13A) :

1) De nombreux lobes glaciaires ont atteint leur développement maximal au cours d’une période comprise entre ~26-23 ka, ce qui est contemporain du stadiaire groenlandais GS-3 (Rasmussen et al., 2014) et correspond bien au « global LGM » proposé par (Hughes & Gibbard, 2015). Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus pour le système du Rhône qui a culminé autour de 24 ± 2 ka (Ivy-Ochs et al., 2004). La modélisation de la calotte alpine suggère une surface maximale de la couverture de glace à 24,5 ka, tandis que les différents lobes glaciaires ont atteint leur culmination entre 27 et 21 ka (Seguinot et al., 2018).

2) Une seconde phase d’avancée des glaciers sur un temps relativement court a été également documentée juste après 23 ka, ce qui pourrait correspondre à une reprise juste après un léger retrait lors de l’interstade GI-2. Cette seconde avancée pourrait avoir son équivalent dans les Alpes maritimes, que ce soit dans la vallée de la Durance (Jorda et al., 2000) ou dans celle de Gesso (Federici et al., 2012) mais également plus au nord pour le glacier du Reuss autour de 22 ± 2 ka (Reber et al., 2014). De nouvelles données ont été obtenues sur des carottes marines au large des Alpes maritimes françaises avec des pics d’apport sédimentaire provenant des glaciers du Var datés autour de 26-24 ka et 22-20 ka (Bonneau et al., 2017) et une augmentation du taux d’accumulation en mer Adriatique entre 24,6 et 23,8 ka (Pellegrini et al., 2017). Ces données sont en accord avec les phases d’avancée maximale de la calotte alpine. 3) Après 22 ka, les glaciers alpins sont entrés en phase de récession et ont perdu jusqu’à

80% de leur volume autour de 17,5 ka tandis que la LEG remonte de 500 m (Ivy-Ochs et al., 2008). Après cette déglaciation catastrophique au cours du GS-2, une avancée glaciaire importante s’est produite lors du « Gschnitz stadial » autour de 17-15,4 ka en

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réponse au brutal refroidissement durant HE-1 (Ivy‐Ochs et al., 2006, 2008 ; Ivy‐ Ochs, 2015).

4) Au Tardiglaciaire, une des dernières avancées majeures des glaciers a eu lieu durant le Dryas récent (GS-1) qui correspond à la formation des moraines du « Egesen stadial » (Ivy‐Ochs et al., 2006).

Figure 1.13 : A) Courbes (a) représentant les principales phases d’avancée (rectangle jaune) et de recul (rectangle bleu) de trois glaciers alpins (Garda, Rhin, Tagliamento) par rapport à la distance exprimée en km depuis l’exutoire de leurs bassins versants respectifs (Monegato et al., 2007, 2017 ; Preusser et al., 2011). (b) Taux d’accumulation sédimentaire au niveau du front du delta en mer Adriatique (Pellegrini et al., 2017). (c, d) Volume de glace modélisé avec leur marge d’erreur de l’EIS (Hughes et

al., 2016) et de la NAIS (Stokes et al., 2012). (e, f) Fluctuations des

valeurs du ẟ18O enregistrées dans les carottes de glaces de NGRIP (Svensson et al., 2006) et dans le spéléothème 7H dans les Alpes centrales (Luetscher et al., 2015). (g) courbes de la précession (en vert), de l’obliquité (en bleu) et de l’insolation en juin à la latitude 45°N (en rouge) (Laskar et al., 2004). La compilation des courbes a été publiée dans Monegato et al. (2017). B) Schéma synthétique distinguant deux phases d’avancée maximale des calottes de l’hémisphère nord au cours du DGM, l’une précoce autour de 26-24 ka (« early LGM ») et l’autre plus tardive autour de 23-17ka (« late LGM ») (d’après Monegato et al., 2017).

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III.1.4. Influence des changements de circulations atmosphériques sur la croissance des glaciers européens

Une publication récente de Monegato et al. (2017) a comparé les phases d’avancée et de retrait des glaciers alpins avec celles des inlandsis eurasiatiques (EIS, European Ice Sheet) et nord-américain (NAIS, North American Ice Sheet) afin de tester si elles sont synchrones à l’échelle de l’hémisphère nord. L’extension maximale des glaciers alpins au cours du début du DMG (26-23 ka) a devancé d’environ 3,5 ka le point culminant de l’EIS (Böse et

al., 2012 ; Hughes et al., 2016). L’EIS a atteint son volume maximal autour de 21 ka alors

que les glaciers alpins et la NAIS étaient déjà en phase de récession (Fig. 1.13A). Selon les

auteurs, cette différence s’explique par la croissance rapide de la NAIS entre 26 et 24 ka dans

un contexte de faible insolation suite à une obliquité minimale autour de ~29 ka (Fig. 1.13).

Selon des simulations, l’avancée de la NAIS a modifié la circulation atmosphérique en forçant le jet stream polaire de l’Atlantique Nord vers l’Europe méridionale (Löfverström et

al., 2014 ; Beghin et al., 2015). Ce changement de trajectoire a conduit à l’advection

d’humidité de la mer Méditerranée vers les Alpes, caractérisée par des faibles valeurs de 18O

(Fig. 1.13A) enregistrées dans un spéléothème alpin provenant des grottes de Sieben Hengste

(Luetscher et al., 2015). Cet apport d’humidité a provoqué l’expansion des glaciers alpins. En raison de la migration du front polaire vers le sud, un déficit de précipitation en Europe septentrionale a entraîné un ralentissement de l’avancée de l’EIS. Après 23 ka, le retrait de la NAIS suite à l’augmentation de l’insolation a provoqué la migration du front polaire vers le

nord (Fig. 1.13B). Les apports d’humidité ont augmenté au-dessus de l’EIS alors que la

calotte alpine s’était effondrée (Luetscher et al., 2015 ; Monegato et al., 2017).

III.2. Réponse de la végétation à la variabilité climatique millénaire en Europe du