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La régulation transcriptionnelle de l’hématopoïèse implique plusieurs niveaux, incluant le niveau d'expression des facteurs de transcription, la régulation de leur activité par des

mécanismes post-traductionnels, mais également leur accessibilité à l'ADN contrôlée par l’organisation épigénétique de la chromatine.

a/ Facteur de transcription et complexe transcriptionnel

La découverte de l’activité ARN polymérase remonte aux débuts des années 1960, avec la première synthèse in vitro d’un brin d’ARN complémentaire à la matrice ADN, ce qui a initié la recherche de la régulation transcriptionnelle. La transcription des ARN messagers par l’ARN polymérase PolII nécessite qu'elle soit guidée sur le locus à transcrire par des facteurs de transcription liant spécifiquement l'ADN et nécessite également le recrutement

de facteurs généraux de la transcription Pour revue (103).

Les facteurs de transcription se fixent à des régions de l'ADN appelées promoteurs ou

"enhancers" Pour revue (104).

Les promoteurs sont les régions sur lesquelles la machinerie transcriptionnelle se fixe pour initier la transcription du gène. Elles sont généralement situées juste en amont du gène et permettent de définir le site d'initiation de la transcription ou Transcription Start Site (TSS). Les enhancers sont des régions régulatrices de la transcription qui influencent l’activité transcriptionnelle des promoteurs (Figure 13). Les enhancers peuvent être localisés à plusieurs dizaines (voir centaines) de kilobases des gènes/promoteurs ciblés (cette localisation varie en fonction du type cellulaire) et plusieurs enhancers peuvent réguler l'expression d'un seul gène. Les enhancers présentent généralement des sites de liaison de nombreux facteurs de transcription.

La différenciation des progéniteurs hématopoïétiques vers les différentes lignées est associée à l’activation de programmes transcriptionnels régulés par des facteurs ou combinaisons de facteurs de transcription spécifiques d’une lignée incluant, par exemple,

Figure 13 : Activation de la transcription par les facteurs de transcriptions.

Les facteurs de transcription, en se fixant sur leur site de liaison (promoteur, enhancer), vont recruter la machinerie transcriptionnelle et moduler l’expression des gènes. (Issue de (105))

Le facteur de transcription GATA1 appartient à une famille de 6 membres (incluant GATA2 et GATA3 également exprimé dans le système hématopoïétique) qui possèdent un domaine de liaison à l’ADN sur des séquences consensus de type (A/TGATAA/G) et un domaine de transactivation permettant la transcription de ces gènes cibles. GATA1 est essentiel pour la différenciation érythroïde, mégacaryocytaire et des éosinophiles. Pour la lignée mégacaryocytaire, il a été montré qu’une absence de GATA1 était associée à une prolifération des progéniteurs mégacaryocytaires dont la ploïdie est diminuée et présentant un défaut de formation des proplaquettes. Au niveau transcriptionnel, les gènes clés spécifiques de la lignée mégacaryocytaire comme NFE2, GP1bA (CD42b) et PF4 sont

fortement diminués en absence de GATA1 Pour revue (106).

Le facteur PU.1 (fréquemment appelé SPI1) est un facteur déterminant pour le développement de différentes lignées myéloïdes et lymphoïdes. Son niveau d’expression influence l’engagement vers une lignée par rapport à l’autre où une expression importante, intermédiaire ou faible est associée aux macrophages, lymphocytes B ou les cellules

érythroïdes et mégacaryocytaires respectivement Pour revue (107). De même, il a été

enhancer'

enhancer'

montré qu’une faible expression de PU.1 dans les HSC adultes murines engendre une perte de la quiescence des HSC et une augmentation de leur prolifération (108).

Le facteur CEBPA influence la différenciation myéloïde notamment granulocytaire et macrophagique en régulant des gènes spécifiques de ces lignées et en bloquant la

prolifération cellulaire Pour revue (109). Une étude récente implique directement CEBPA

dans l’engagement de toutes les lignées myéloïdes (110). La perte de CEBPA dans les HSC adultes est associée à une réactivation du programme transcriptionnel fœtal ainsi qu’à une augmentation de leur prolifération (45) supposant un rôle de CEBPA dans la régulation de l’état quiescent des HSC adultes.

Les facteurs de transcription peuvent agir de concert au sein de complexe (111,112). Un complexe nommé « heptad » composé des facteurs SCL, GATA2, RUNX1, ERG, LYL1, LMO2 et FLI-1 influence l’expression des gènes importants pour l’émergence, le maintien et la prolifération des cellules souches hématopoïétiques. L’inactivation complète de Gata2 (Gata2-/-), Runx1 (Runx1-/-) et à l’état hétérozygote de ces 2 gènes (Gata2+/- Runx1+/-) entraîne la mort des embryons murins (112–114) suggérant que GATA2 et RUNX1 contrôlent ensemble l’expression de certains gènes importants pour le bon développement de l’embryon.

La formation des cellules souches hématopoïétiques se fait par un processus de transition des cellules endothéliales (mécanisme EHT). Ce processus nécessite l’expression de certain gènes (comme GPR56) régulée par le complexe « heptad » (18).

Une variation de la composition de ces complexes transcriptionnels a également été impliquée dans la progression de la différenciation hématopoïétique, notamment mégacaryocytaire. GATA1 et GATA2 sont des facteurs de transcription qui reconnaissent un motif similaire sur l’ADN. Il a été montré que GATA1 remplaçait GATA2 dans un processus appelé « GATA switch » au cours de la différenciation (115). Dans les progéniteurs hématopoïétiques, le complexe « heptad », composé de GATA2, lie un certain nombre de gènes spécifiques de la lignée mégacaryocytaire. L’expression de ces gènes est fortement augmentée dans les cellules mégacaryocytaires où le remplacement de GATA2 par GATA1 a eu lieu (Figure 14). C’est le cas pour le gène GP1bA (CD42b) et PF4 (116).

Figure 14 : Régulation de la transcription via les complexes transcriptionnels.

Le complexe heptad composé notamment du facteur de transcription GATA2 se fixe sur certains gènes spécifiques de la lignée mégacaryocytaire, qui vont être faiblement exprimés dans les progéniteurs hématopoïétiques (HSPC). Dans les progéniteurs mégacaryocytaires, GATA2 est remplacé par GATA1 et l’expression des gènes est fortement augmentée. Dans la lignée érythroïde le même mécanisme se met en place ainsi qu’une fixation sur de nouveaux sites. (Issue de (116)).

L’expression de certains facteurs transcriptionnels, organisés au sein de complexes, joue donc un rôle important sur le contrôle hématopoïétique. Leur mode d’action nécessite l’accès à leur séquence de liaison sur l’ADN.

b/ Organisation chromatinienne

La molécule d’ADN, d’une taille d’environ 2 mètres, est compactée au sein de complexes nucléoprotéiques formant ainsi la chromatine, dans le noyau des cellules dont la taille est de quelques micromètres. L’ADN s’enroule autour d’un octamère d’histones (H3, H4, H2A et H2B), structure appelée nucléosome, via des interactions électrostatiques entre l’ADN chargé négativement et les histones chargées positivement. L’enchaînement régulier des nucléosomes forme le nucléofilament qui se structure, à l’aide de l’histone H1, pour former une fibre chromosomique (Figure 15).

Figure 15 : Les différents niveaux de condensation de la chromatine.

La double hélice d’ADN s’enroule autour des nucléosomes qui vont à leur tour s’organiser en fibre chromosomique puis en chromosome. (D’après le manuscrit « Biologie moléculaire de Joelle Brodeur et martin toussaint, 2006).

Les modifications épigénétiques peuvent affecter l’ADN ou les histones et vont influencer la compaction de l’ADN et l’accessibilité de certaines régions aux facteurs de transcription,

participant ainsi au contrôle de l’expression génique (117), pour revues (118,119).

- Modifications épigénétiques :

Les modifications épigénétiques sont des marques biochimiques déposées par des enzymes spécifiques sur l’ADN ou les histones. Elles sont nombreuses et ont diverses fonctions. Les mieux caractérisées sont les groupements méthyles, apposés sur l’ADN, ainsi que les modifications des histones comme la méthylation et l’acétylation qui seront présentées par la suite (Figure 16).

Figure 16 : Régulation de la transcription par des modifications épigénétiques.

La méthylation de l’ADN (représentée par un rond rouge) est associée à la condensation de l’ADN et donc une répression transcriptionnelle, alors que les régions hypométhylées (rond bleu), comme les îlots CpG, sont associées à une activation transcriptionnelle.

La modification des histones peut être associée à l’activation ou à la répression transcriptionnelle en fonction des histones et de la modification (ex: méthylation, acétylation) (D’après (120)).

La méthylation de l’ADN correspond à l’ajout d’un groupement méthyles –(CH3) sur un

résidu cytosine suivi d’une guanine, appelé dinucléotide CpG. Certaines régions promotrices des gènes présentent un regroupement de dinucléotides CpG, appelé « îlots CpG ».

Cette modification épigénétique est régulée par des enzymes : les DNA méthyltransférases (DNMT3a, DNMT3b, DNMT1) et est associée à un état condensé de la chromatine et donc à une répression transcriptionnelle (Figure 16).

DNMT3a/b méthylent des sites de novo contrairement à DNMT1 qui permet la maintenance des sites déjà méthylés pendant de la réplication. Le niveau de méthylation de l’ADN joue un rôle dans la régulation de l’autorenouvellement des HSC ainsi que dans la différenciation, notamment dans l’engagement vers une lignée. L’engagement myéloïde est associé à un niveau de méthylation moins important que l’engagement vers les lignées lymphoïdes (121). DNMT3a joue un rôle important dans la différenciation en réprimant les gènes impliqués dans l’autorenouvellement des HSC comme RUNX1 et GATA3 (122).

La déméthylation de l’ADN s’effectue via des protéines dioxygénases comme les protéines TET qui catalysent la conversion des methylcytosines (5mC) en

5-hydroxymethylcytosines (5hmC) Pour revue (123). Les protéines TET, dont TET2 et TET3,

travaillent en synergie avec les facteurs de transcription E2A et PU.1 pour déméthyler l’ADN et permettre l’accessibilité de certains enhancers spécifiques de la lignée lymphocytaire B. L’activité des protéines TET est nécessaire pour l’expression de IRF4, gène cible de PU.1 (124).

Les modifications post-traductionnelles des histones comme la méthylation et l’acétylation sont des phénomènes réversibles.

Le processus de méthylation des histones est dépendant de deux sortes d’enzymes: les

histones méthyltransférases et les histones déméthylases. Les lysines des histones peuvent être mono-, bi- ou triméthylées par les histones méthyltransférases (K-methylases) et le même résidu peut être modifié par différentes enzymes. C’est le cas de la lysine 9 de l’histone H3 (H3K9) qui peut être modifiée par les protéines SUV39H1/2, G9a et SETD1B. Certaines protéines n’agissent que sur un seul résidu, comme par exemple EZH2 responsable de la triméthylation de la lysine 27 de l’histone H3 (H3K27). Les histones

déméthylases permettent de déméthyler les histones comme la protéine JARID qui déméthyle les lysines de l’histone H3.

L’acétylation des histones est le mécanisme de transfert d’un groupe acétyle sur certaines

lysines des histones par des acétyltransférases (HAT pour histone acétyltransférase). Cette modification est associée à un changement de structure de la chromatine permettant ainsi l’accessibilité des facteurs de transcription à certaines régions. La désacétylation est effectuée par les histones désacétylases (HDAC), et est associée à une compaction de la chromatine et une répression transcriptionnelle.

Les analyses d’immunoprécipitation de chromatine associée au séquençage (ChIPseq) ont permis de corréler certaines marques (comme la marque H3K4me3) à l’activation de la transcription et d'autres (comme la marque H3K27me3) à la répression de la transcription. Parmi les marques généralement associées à l'activation transcriptionnelle, certaines (ex: H3K4me3) sont associées préférentiellement aux promoteurs actifs et d'autres (ex: H3K4me1 ou H3K27Ac) sont plus intenses au niveau des enhancers.

Les Super-Enhancers (SE) sont des enhancers de grande taille présentant une intensité importante de marques H3K27Ac et H3K4me1 sur une large région chromosomique. Ces régions sont généralement associées à la présence de nombreux facteurs de transcription et du complexe co-activateur Mediator (dont Med12 et BRD4). Il a été montré que les SE sont associés à des gènes clés spécifiques de l’identité cellulaire, ils sont donc très variables d'un type cellulaire à l'autre (125). Dans les progéniteurs lymphoïdes B, les SE sont fortement liés par le facteur PU.1 alors que dans les macrophages, les SE sont fixés par le facteur CEBPA (126).

- Organisation chromatinienne :

Les cohésines forment un complexe multiprotéique jouant un rôle dans divers processus biologiques comme la réplication (cohésion entre les chromatides sœurs), l’apoptose ou encore la réparation de l’ADN (Figure 17, Pour revue (127)).

Elles participent aussi à la régulation hématopoïétique en modulant l’accessibilité de la chromatine aux facteurs de transcription. L’utilisation de mutant des cohésines a montré

une fixation accrue de certains facteurs comme ERG, GATA2 et RUNX1 sur l’ADN, entraînant une augmentation du programme transcriptionnel associé aux cellules souches et un blocage de la différenciation dans des cellules primaires humaines (128).

Un autre rôle des cohésines a été proposé dans les interactions entre les promoteurs et les enhancers en association avec la protéine CTCF. La formation de boucles permet le rapprochement d’un promoteur avec un enhancer éloigné, ou au contraire une séparation entre ces deux régions régulatrices, agissant ainsi sur la transcription (129).

Figure 17 : Le complexe de cohésines est un régulateur-clé de la transcription et de la formation de boucle chromatinienne.

Le complexe permet la cohésion entre les deux chromatides, interagit avec CTCF, forme des boucles chromatiniennes, recrute des facteurs de transcriptions et des complexes participant au contrôle de la transcription. (Issue de (127)).

L’ensemble de ces mécanismes permet une régulation fine de l’hématopoïèse. Leur dérégulation peut engendrer un défaut de différentiation et/ou une production incontrôlée de cellules, pouvant causer une hémopathie maligne.

II/ Hémopathies malignes

Le terme « hémopathie », composé des racines grecques « hémo » (sang) et « pathos » (ce qu’on éprouve), désigne les maladies du sang et de ses composants. Les hémopathies malignes sont diverses et les leucémies aiguës représentent généralement une forme d’hémopathie agressive. Les leucémies aiguës myéloïdes (LAM) seront présentées plus en détail ci-dessous.

A / Les leucémies aiguës myéloïdes :

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