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Une région tropicale à fort risque leptospirosique : la Martinique

IV) Évaluation des risques liés aux rongeurs et à la maîtrise de leurs populations. Trois cas

2. Une région tropicale à fort risque leptospirosique : la Martinique

En Martinique un très grand nombre de cas de leptospirose humaine sont déclarés comparativement à la France métropolitaine avec respectivement 30 à 70 cas humains /100000 habitants et 0,5 cas humains 100000 habitants par an (168). L’environnement tropical est propice au développement des leptospires pathogènes. Différentes études ont tenté d’identifier les facteurs de risque de la maladie. Des lésions cutanées, la pratique du canoë-kayak, le contact avec des rongeurs sauvages, un lieu de résidence à la campagne (169) ont été suggérés… Les loisirs aquatiques exposent les participants au risque de leptospirose et des cas groupés ont été rapportés après la pratique d’activités comme la nage en rivière ou le rafting (170,171). Une étude réalisée à Salvador au Brésil, a estimé le risque leptospirosique supérieur à 3% par an dans une favela avec un risque maximum pour les hommes et les personnes à faible revenu. La réinfection était fréquente pour les personnes vivant à proximité d’égouts à ciels ouverts (172). Le développement de compétitions sportives en milieu tropical, qui s’accompagnent de regroupements importants de participants, créent des conditions potentielles pour des expositions de masse (173). Lors d’évènements sportifs avec des passages dans de l’eau, la situation est particulière avec une exposition des coureurs plus grande qu’à la normale et des périodes avec des épidémies associées (174,175). Trois espèces de rongeurs commensaux sont reconnues être porteuses de leptospires pathogènes à savoir le rat brun, le rat noir et la souris domestique en Martinique. Pour la gestion du risque leptospirosique il est donc indispensable de gérer les populations de ces 3 espèces sur l’ensemble de l’île de la Martinique. Il ne s’agit plus d’un problème local nécessitant la mise en place d’une solution locale, mais d’un problème plus vaste à l’échelle de l’île de la Martinique nécessitant la mise en place de solutions globales des 3 espèces de rongeurs commensaux porteurs de leptospires pathogènes, sur une île dans laquelle des espèces endémiques sont présentes et pour lesquelles il est nécessaire de minimiser le risque écotoxique. Cette étude s’est donc concentrée sur l’optimisation des méthodes de gestion chimique qui se doivent d’être réfléchies à l’échelle de l’île afin de choisir les molécules appropriées pour contourner les phénomènes de résistance et éviter/minimiser les problèmes écotoxiques. La résistance de cibles chez les rats bruns et souris a été si souvent décrite (135,146) à travers le monde, qu’il était légitime de la suspecter sur l’île de la Martinique. Pourtant, aucune étude n’avait été menée dans cette île ni dans aucune autre île de cet archipel.

Dans ce projet nous avons étudié l’exposition des rongeurs aux AVKs afin d’identifier les molécules déjà utilisées dans les différents secteurs d’activité. Huit AVKs sont actuellement disponibles (voir introduction). Elles ont toutes été détectées en Martinique témoignant de

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l’utilisation de tous les AVKs sur l’île de la Martinique. La diversité des molécules retrouvées en milieu agricole était aussi grande que celles retrouvées en ville, ce qui démontre une utilisation différente des AVKs entre la Martinique et la France métropolitaine. La règlementation française prévoit un usage limité des AVKs en plein champ en raison des problèmes écotoxiques. Ainsi, seule la bromadiolone est homologuée pour l’usage en plein champ. Néanmoins en raison du problème leptospirosique, des autorisations préfectorales sont prises chaque année afin de permettre l’utilisation en plein champ des autres molécules homologuées seulement pour un usage biocide. Ces extensions d’autorisation étaient au début de ce projet surprenantes. Pourquoi permettre l’utilisation des autres molécules, en particulier les molécules de seconde génération les plus toxiques, telles que la diféthialone, le flocoumafène, le brodifacoum, en plein champ en Martinique ?

L’étude de la résistance des rongeurs martiniquais nous a permis d’apporter un début de réponse à cette question. Seule la résistance de cible due à des mutations du gène Vkorc1 a été analysée au cours de ce projet, alors qu’une résistance métabolique pourrait être également envisagée. En effet des surexpressions d’enzymes du métabolisme des AVKs ont été évoquées comme étant à l’origine de phénomènes de résistance en accélérant l’élimination de l’AVK par le rongeur (154). Néanmoins, pour le moment ces mécanismes semblent peu répandus alors que la résistance de cible a été décrite largement chez le rat brun (147,148), chez la souris domestique (149,176) et chez le rat noir (177), principalement en Europe, mais également dans le monde entier. C’est pourquoi seule la résistance de cible a été envisagée dans ce projet.

Chez la souris, la résistance de cible est évidente en Martinique avec une prévalence proche de 40% de la mutation Y139C, mutation déjà largement décrite en Europe (176). Cette mutation entraine une résistance sévère à tous les AVKs de première génération et à la bromadiolone (149). Cette très forte prévalence de la résistance chez la souris est certainement à l’origine de l’utilisation des AVKs de seconde génération les plus toxiques, brodifacoum et diféthialone, en plein champ pour permettre une lutte efficace. Le portage leptospirosique des souris justifie-t-il cette utjustifie-t-ilisation ? Le grand nombre de cas de leptospirose humaine en Martinique nécessite que la gestion des rongeurs soit optimale. Utiliser seulement des AVKs de première génération ou de la bromadiolone pour gérer des populations de souris porteuses de la mutation Y139C et certainement porteuses de leptospires pathogènes équivaudrait à ne rien faire. Clairement, la gestion du risque leptospirosique a pris le pas par rapport au risque écotoxique induit par l’utilisation des AVKs de deuxième génération. Néanmoins, parallèlement à cette étude de résistance a été entreprise par le CHU de Fort de France, une étude du portage de leptospires

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pathogènes par les rongeurs en Martinique. Les analyses sont en cours. S’il s’avérait que le portage de leptospires pathogènes par les souris soit finalement faible ou que les souches portées soient différentes de celles impliquées dans la leptospirose humaine, le recours aux molécules de seconde génération pourrait être questionné. Néanmoins, l’usage seul des molécules de première génération augmenterait la fréquence des allèles de résistance et rendrait la gestion des souris impossible. Quel est l’impact des souris sur les cultures ?

Chez le rat brun, aucune mutation n’a été détectée. Pourtant un grand nombre de mutation du gène vkorc1 induisant de la résistance chez le rat brun ont été décrites dans le monde par différentes équipes (146,147). En Europe, cinq mutations principales ont été identifiées, les mutations L120Q, L128Q, Y139F, Y139C et Y139S (146). Aucune d’entre elles n’a été mise en évidence chez les rats bruns martiniquais. Néanmoins, l’échantillonnage de rats bruns était très limité en raison de la faible abondance de ce rat en Martinique et ne permet pas de tirer des conclusions définitives. L’absence ou la faible prévalence des mutations chez le rat brun est certainement due à l’utilisation des molécules de deuxième génération. En effet, les mutations du gène vkorc1 conduisent en général à une résistance aux molécules de première génération et à la bromadiolone seulement. Utiliser des molécules de seconde génération dans les différents secteurs d’activité permet sans aucun doute une non-sélection des allèles de résistance. En France métropolitaine et en Europe, l’utilisation exclusive de la bromadiolone en secteur agricole a conduit à une sélection massive des allèles de résistance. En contrepartie, il est fort probable que la faune sauvage soit davantage exposée aux AVKs de seconde génération en Martinique comparativement à la France. Ce point n’a pour l’instant jamais fait l’objet d’études. Chez le rat noir, 2 nouvelles mutations ont été détectées. Ces mutations induisent peu, voire pas de résistance aux AVKs et ont été retrouvées avec une fréquence très faible. L’utilisation des AVKs de première génération devrait suffire pour gérer les populations de rats noirs. Néanmoins, les appâts actuellement développés le sont essentiellement, pour gérer les populations de rats bruns qui sont les rats principalement rencontrés dans les pays occidentaux. Les formulations de ces appâts ne sont peut-être pas adaptées au rat noir qui est lui frugivore et qui les consomme très peu. L’utilisation des molécules de seconde génération plus rémanentes et plus toxiques permet donc certainement d’atteindre une efficacité meilleure même si elles sont consommées en faible quantité, par rapport aux molécules de première génération, moins rémanentes et moins toxiques.

En Martinique, la lutte contre les rongeurs est réalisée pour gérer le risque leptospirosique et le risque économique. Puisque sur les différents sites d’étude ont été piégés des rats bruns, des

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rats noirs et des souris qui sont tous décrits porteurs de leptospires pathogènes, la gestion doit être efficace pour gérer les 3 espèces. Seule l’utilisation des molécules de seconde génération, à l’exception de la bromadiolone, peut aboutir à cet objectif. Une identification moléculaire plus précise des souches portées par les rongeurs, ainsi que celles impliquées dans la leptospirose humaine est nécessaire pour remettre en question l’utilisation des molécules de seconde génération en plein champ et considérer le risque écotoxique lié à leurs utilisations.