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1.2 Un modèle d’intensité de coda : le transfert radiatif

1.2.2 Régimes de propagation dans la coda

Après avoir défini les longueurs caractéristiques d’un milieu désordonné, nous pouvons nous intéresser à la propagation d’une onde sismique dans ce même milieu. Ce sont les longueurs caractéristiques (ℓ, ℓ) qui vont déterminer la nature des phénomènes physiques

observés. Par exemple, dans un bar très enfumé, la lumière des spots lumineux n’est pas multiplement diffusée puisque l’on peut toujours suivre la direction de la lumière sur des trajectoires rectilignes. En revanche, un jour de très fort brouillard, le ciel nous apparaît uniformément lumineux, même en regardant dans la direction du soleil ; ou encore par une nuit de brouillard, les phares des voitures créent des halos lumineux et non rectilignes comme les spots de bar. Dans ces situations, la lumière a été diffusée de nombreuses fois et a complètement perdu la mémoire de sa direction initiale avant de nous parvenir. Ces exemples simples du quotidien illustrent les différents régimes de propagation en milieu désordonné. Nous allons voir ces régimes lorsqu’une onde sismique se propage en milieu désordonné.

1.2.2.1 Les régimes de propagation

Quand l’absorption est suffisamment faible, trois principaux régimes de propagation peuvent être définis :

– Le régime balistique : L ≪ ℓ (ou tpropagation < τ). Il est largement étudié en sis-

mologie. Dans ce cas, le désordre n’entre pas en jeu et l’on considère que l’onde se propage directement de la source vers le récepteur. On parle d’onde balistique comme les ondes P et S identifiées sur la figure 1.1.

– Le régime de diffusion simple : L 6 ℓ (ou tpropagation∼ τ). La taille typique du milieu

est plus petite ou de l’ordre de grandeur du libre parcours moyen. L’onde sismique interagit très peu avec les hétérogénéités du milieu en ne se diffusant qu’une seule fois (de manière similaire au spot lumineux du bar enfumé). Les méthodes sismiques

(migration) pour localiser les interfaces entre les différentes couches géologiques du sous-sol utilisent le principe de la diffusion simple. En effet, les interfaces sont vues comme des points diffusants. Le processus de migration consiste à retrouver la position réelle de ces diffuseurs en considérant que l’onde ne s’est diffusée qu’une seule fois sur l’hétérogénéité.

– Le régime de diffusion multiple : ℓ,ℓ< L. Le libre parcours moyen est dans ce cas

plus petit que la taille du milieu et les ondes interagissent de nombreuses fois avec le milieu. L’onde incidente est très atténuée, voire invisible et l’enregistrement est dominé par des arrivées successives d’ondes diffuses (comme le ciel uniformément lumineux un jour de fort brouillard). Les méthodes classiques d’imagerie, basées sur les trajets balistiques des ondes comme la tomographie de vitesse, ne sont plus utilisables.

Maintenant que nous avons pu décrire à l’aide des longueurs caractéristiques, les différents régimes de propagation, une question demeure : peut-on retrouver ces différents régimes de propagation dans la coda ?

1.2.2.2 Équipartition des modes

Souriau et al. [2011] ont étudié les propriétés de la croûte pyrénéenne sur 83 événe-

ments crustaux. Un exemple de forme d’onde pyrénéenne exploitée dans leur étude est montré dans la figure 1.12a. La figure 1.12b montre l’enveloppe du signal sismique. La figure 1.12c montre le rapport de l’énergie cinétique de compression et cisaillant V2/H2,

défini comme le ratio entre l’énergie cinétique de la composante verticale et la somme des énergies cinétiques des deux composantes horizontales. On remarque les fluctuations de

V2/H2 en début de signal, sur une fenêtre de temps comprise entre 40s et 100s. Le ratio

se stabilise ensuite autour d’une valeur plateau équivalente à V2/H2 = 0.5. Au delà de

100s, le rapport V2/H2 fluctue à nouveau très largement. Cette stabilisation de V2/H2

se localise précisément sur la fenêtre de coda seulement 4s après l’onde balistique S. Elle est d’autant plus frappante que l’énergie de la coda elle-même décroît exponentiellement avec le temps de plus de deux ordres de grandeur. La stabilisation temporelle du rapport

V2/H2 est en fait, un observable direct de l’équipartition des modes et traduit le régime de diffusion multiple. En effet, l’effet de la diffusion multiple est de faire disparaître l’ani- sotropie et la polarisation initiale du champ d’onde imposées par la source. Pour un champ diffus, tous les modes de vibration du système sont équiprobablement présents. Même si une source sismique excite des modes de vibration bien particuliers, ceux-ci sont convertis vers d’autres modes par les diffusions successives sur les hétérogénéités et finissent par représenter tous les modes de vibration. Ce phénomène a été appelé équipartition des modes [Weaver, 1982; Shapiro et al., 2000; Hennino et al., 2001]. Une des manifestations directes de l’équipartition est que les rapports d’énergie (énergie cinétique/énergie poten- tielle ou énergie de cisaillement/énergie potentielle de compression) sont constants dans le temps et indépendants du séisme.

Figure 1.12 – Illustation de l’équipartition de l’énergie dans la coda sismique. (a) Enregis- trement du 3 Octobre 2007, de magnitude ML=2.9. (b) Enveloppe du sismogramme et niveau

moyen de bruit (trait tiré) mesuré sur les premières 20 secondes de l’enregistrement. (c) Ratio entre l’énergie cinétique des composantes verticale et horizontale filtré à 15Hz. On peut noter la stabilisation du ratio entre 40s et 100s [Souriau et al., 2011].

Dans le cas d’un milieu infini, il existe deux modes distincts : les ondes de compression P et de cisaillement S. S’il y a équipartition de modes, alors on comprend que pour une fréquence donnée, le rapport d’énergie potentielle de cisaillement à l’énergie potentielle de compression revient simplement à compter le nombre de mode de cisaillement et de com- pression dans un volume puis en faire le rapport. La physique statistique nous apprend qu’à une fréquence f et en trois dimensions, il y a 2f2/v3 modes par unité de volume, où

v désigne la vitesse de propagation des ondes [Sato et al., 2012]. Les ondes P et S n’ont pas la même vitesse et les ondes P sont polarisées longitudinalement alors que les ondes S ont une polarisation transverse ce qui leur offre 2 degrés de liberté. Si la coda sismique est dominée par la diffusion multiple, on s’attend à une stabilisation temporelle du rapport d’énergie S/P : 2(vP/vS)3 ∼ 10.4 dans la croûte terrestre. Le facteur 2 est dû aux deux

états de polarisation des modes S. L’équipartition des modes dans la coda sismique a été largement montrée dans la littérature [Hennino et al., 2001; Margerin et al., 2009]. Une méthode plus facile à implémenter sur les données pour observer l’équipartition est le rapport H/V comme montrée dans la figure 1.12c. Si on fait l’hypothèse d’un demi-espace infini et qu’on est dans un régime d’équipartition, l’énergie est alors également distribuée sur chacune des trois composantes (verticale, Nord et Est) et le ratio est alors de H/V=2. En réalité, la surface libre implique l’existence des ondes de Rayleigh qui doivent être prises en compte et qui tendent à faire diminuer le ratio. Une stratification du milieu im- pliquera aussi une fluctuation du rapport H/V avec la fréquence [Margerin et al., 2009]. La Figure 1.12 montre donc que les ondes de coda sont essentiellement dans un régime de diffusion multiple, du moins quelques secondes après l’onde balistique. À temps plus

court, près de l’onde balistique, la coda sismique sera déjà dans un régime de diffusion simple.

Nous avons détaillé dans ce paragraphe les trois régimes de propagation permettant de décrire la propagation de l’onde sismique S jusqu’à la coda tardive : le régime balistique (onde S), le régime de diffusion simple (très proche de l’onde S dans la coda) et le régime de diffusion multiple, largement dominant dans la coda, et identifié grâce à l’équipartition des modes. L’ensemble de ces trois régimes peut être décrit par l’équation de transfert radiatif qui va être introduite dans le prochain paragraphe.