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La réforme sociale à Canton et Shenzhen: contrôle, marché et participation dans ces laboratoires marché et participation dans ces laboratoires

1 2 Le contexte chinois

1.2.2 La réforme sociale à Canton et Shenzhen: contrôle, marché et participation dans ces laboratoires marché et participation dans ces laboratoires

d’expérimentation

Parmi les cinq « constructions131 » programmées dans le rapport du XVIIIe Congrès national du PCC en 2012, la « construction/édification sociale » (shehui jianshe社会建 设)132 tient un rôle essentiel de pivot (shuniu 枢纽) dans le plan de l’édification du socialisme à la chinoise133, où la dimension écologique apparaît pour la première fois. Le terme de « construction sociale » avait été employé en 2006 dans le discours de Hu Jintao134 sur la construction d’une société harmonieuse ; il avait ensuite été mentionné dans le rapport du XVIIe Congrès national du PCC en 2007 comme une partie nouvelle

et importante du « concept de développement scientifique » (kexue fazhan guan科学发

展观) de Hu. Dans cette construction sociale, formule nouvelle promue par le Parti, le rôle de la société, en particulier celui des « organisations sociales » (shehui zuzhi社会 组织)135, est mis en avant en tant qu’acteur important de la modernisation du pays.

En novembre 2013, lors du 3e plénum du XVIIIe Comité central du PCC, ces « organisations sociales », connues ici le plus souvent sous le terme d’ONG136, sont        

131 Il s’agit d’un « développement global dans les systèmes économique (jingji jianshe 经济建设),

politique (zhengzhi jianshe政治建设), culturel (wenhua jianshe文化建设), social (shehui jianshe社会 建 设 ) et écologique (shengtai wenming jianshe 生 态 文 明 建 设 ) ». Voir sur http://french.peopledaily.com.cn/Chine/8454408.html.

132 Afin de mieux appréhender les nuances, je choisis ici la traduction littéraire, à la place du terme de

« développement dans le système social », traduction employée par le Quotidien du Peuple en français, qui peut renvoyer à un autre terme chinois de shehui fazhan社会发展. Ibid.

133 Voir les articles du Quotidien du Peuple sur : http://theory.people.com.cn/n/2013/0710/c351520-

22148858.html et http://theory.people.com.cn/GB/40557/351494/351520/index.html.

134 Wang Zhenyao (ed.), Philanthropy and social services, the 2012 annual report of China’s charity

sector, Beijing, Social Sciences Academic Press (China), 2013, p5.

135 Selon le système d’enregistrement, ce terme se réfère à trois catégories d’organisation : « groupes

sociaux » (shehui tuanti社会团体), « unités de travail populaires non commerciales » (minban fei qiye民 办非企业), et fondations (jijinhui基金会). Souvent ce terme est employé dans un sens plus large se référant à toutes les organisations qui ne sont pas directement sous la tutelle du gouvernement chinois telles que les ONG, etc.

136 Dans différents contextes, plusieurs termes chinois pourraient être employés pour désigner les ONG en

Chine : Minjian zuzhi 民 间 组 织 (organisations populaires/civiques), shehui zuzhi 社 会 组 织 (organisations sociales), min fei qi 民非企 ou minban fei qiye 民办非企业 (des unités de travail populaires non commerciales, terme qui vient du vocabulaire juridique de la catégorisation des différentes

présentées par le Parti comme une force importante à revitaliser pour le développement de la société, et plus précisément pour « l’innovation dans la gouvernance de la

société » (chuangxin shehui zhili创新社会治理). Après la mise en œuvre de tentatives

de réforme sociale dans certaines provinces, dont le Guangdong, toujours pionnier dans les réformes, des politiques publiques au niveau national visant à réformer la gestion des « organisations sociales » avaient vu le jour dès 2012. Le principe de cette réforme, qui est décrit par le Parti comme « souple à l’enregistrement auprès des autorités

compétentes, et sévère dans la gestion (fangkai dengji, jiaqiang guanli放开登记,加强

管理137) », précise l’importance d’un maintien du contrôle sur ce milieu. Il s’agit donc de passer d’un système de double contrôle par exclusion dans l’enregistrement à une facilitation de la légalisation et de l’institutionnalisation de ces organisations sociales dont beaucoup restaient dans un statut illégal. Ce système de double contrôle à l’enregistrement se traduit par un contrôle du bureau des Affaires civiles et un contrôle

des unités de tutelle gouvernementales (yewu zhuguan danwei 业务主管单位) qui

surveillent les activités des ONG et leur donnent une autorisation d’enregistrement. A part cette facilitation de la procédure d’enregistrement, la réforme met en place des dispositifs et des modèles qui s’inspirent idéologiquement à la fois des théories de la « société civile » et d’une logique de marché pour optimiser les performances avec plus d’efficacité et à moindre coût. Ce changement politique, qui se donne à voir comme une ouverture, encourage les organisations ou les microgroupes sociaux informels à faire partie, ou à rêver de faire partie des organisations soutenues par l’Etat et le Parti. Cependant, cette démarche est aussi vue par certains acteurs comme un piège pour leur autonomie, déjà menacée par la concurrence accrue avec l’introduction du marché dans le champ social, et aussi par les charges financières, suite à la légalisation des ONG et à la régulation du marché philanthropique de l’Etat. Après plusieurs années de tentatives de réformes limitées dans des domaines choisis, en 2011, cette réforme est lancée dans l’ensemble de la province du Guangdong et est étendue à presque tous les domaines des organisations sociales (sauf exception). Laboratoire de la réforme économique, le       

organisations et associations non gouvernementales). Les deux premiers termes se réfèrent à des organisations et associations en général, alors que le dernier désigne plutôt celles qui ont obtenu l’enregistrement auprès du bureau des Affaires civiles, ce qui inclut un statut légal.

137 Voir sur http://news.xinhuanet.com/politics/2013-11/15/c_118164235.htm, consulté le 3 décembre

Guangdong cherche aussi à être pionnier dans la réforme sociale, en prenant en compte les problèmes économiques et sociaux aggravés par la crise de 2008. Il faut aussi souligner que cette réforme sociale expérimentale était devenue un enjeu politique face à la concurrence économique entre le delta de la rivière de Yangzi – où est situé Shanghai – et Guangdong, et à la rivalité idéologique et politique entre les modèles de Guangdong et de Chongqing, alors présentés comme deux modèles de politique et de développement concurrents138, en particulier avant la chute de Bo Xilai (ancien maire de Chongqing) en 2012.

Les villes de Guangzhou/Canton, capitale provinciale, et de Shenzhen, première zone spéciale économique ouverte en 1980, sont deux villes importantes du delta de la rivière des Perles qui bénéficient de la politique de réforme économique. La croissance économique, les problèmes sociaux émergents et les grands flux d’échanges avec le monde extérieur, en particulier avec Hong Kong, ville voisine, nourrissent de nouvelles dynamiques sociales. Celles-ci se caractérisent notamment par l’utilisation d’Internet, aussi bien dans les mouvements contestataires et revendicatifs, que dans le contrôle de ces derniers. Internet favorise d’une certaine manière la prise de conscience de la censure en Chine par les acteurs et permet la construction d’identités spécifiques, la formation de groupes ainsi que l’évolution des mouvements sociaux. Il offre la possibilité aux internautes de consulter et de s’approprier une diversité d’idées, de modèles, de visions et d’expériences dans les dynamiques sociales. Ainsi ont émergé un grand nombre de microgroupes sociaux qui se sont engagés dans des causes diverses couvrant les domaines politique, économique, écologique, culturel et social. Beaucoup parmi eux partagent la perspective de construire une société meilleure, de réduire les injustices, d’aider ceux qui sont en difficulté et de prendre des responsabilités en tant que citoyens. Ces dynamiques sociales en ligne débouchent de plus en plus sur des concrétisations dans la vie sociale et politique en Chine, constituant une force de contestation importante. Elles subissent la censure directement appliquée sur Internet avec la suppression des commentaires ou des articles postés et l’interdiction de discussions portant sur des sujets jugés politiquement sensibles, voire l’arrestation d’internautes qui, selon les autorités, devraient prendre leurs responsabilités dans l’expression en ligne. Face à l’ouverture possible offerte par la réforme sociale,        

comment les microgroupes sociaux, formés sur Internet et engagés dans des causes diverses, réagissent-ils et voient-ils leur avenir ? Vers la légalisation et l’institutionnalisation ou vers la dissolution ?

Avec la mobilisation philanthropique en ligne de plus en plus fréquente, on observe l’émergence et l’expansion dans tous les domaines sociaux et politiques de la notion de gongyi 公益 – intérêt public/bien-être public – qui en appelle à une philanthropie moderne et participative et porte une dimension morale et universelle étendue139. Ce terme, que les chercheurs chinois traduisent par « philanthropie moderne » ou « philanthropie », implique une participation et un engagement de la population « des gens ordinaires » pour résoudre les problèmes sociaux et se distingue de la « philanthropie/charité sous la tutelle du gouvernement » et de la philanthropie « des riches140 ». Certains mettent en avant l’accès pour tous au champ collectif pour contribuer au gongyi, d’autres soulignent la dimension de volontariat pour « l’intérêt public ». Malgré cette différence, la participation de chacun au sein de la société est centrale dans cette notion qui propose l’idée d’une égalité des sujets citoyens et promeut la responsabilité de chacun à agir pour soulager les maux d’autres individus. Cette dimension participative rejoint le mode de gestion issu du milieu de l’entreprise : la gouvernance (zhili治理). Ce terme est mentionné neuf fois par le gouvernement chinois dans son texte sur l’approfondissement de la réforme sociale et remplace celui de « gestion » employé jusqu’alors141. En impliquant une dimension morale et responsable, ce nouveau terme moins connoté écarte aussi le lien entre les ONG et la « société civile » pour construire « le troisième secteur » à la chinoise qui ne se présente pas

       

139 D’autres termes sont employés : xiandai cishan现代慈善 (la philanthropie moderne), pingmin cishan

平民慈善 (la philanthropie des gens ordinaires), minjian gongyi 民间公益 (l’intérêt public auquel contribue la population), quandmin gongyi全民公益 (le bien-être public par toute la population), renren gongyi人人公益 (l’intérêt public par chacun).

140 Voir Yang Tuan(ed.), Annual report on China’s philanthropy development(2010), Beijing, Social

Sciences Academic Press (China), 2010. Tao Chuanjin, 全民公益发育成长与意义表达的现状与机制研 究, intervention à la conférence de « Gongyi par tous » (quanmin gongyi全民公益) à Canton en 2010. Zhu Jiangang, « General report », in Zhu Jiangang (ed.), Annual report on China’s civic philanthropy development (2011), Beijing, Social Sciences Academic Press (China), 2012, pp. 2-5. Wang Zhengyao, op.cit.

141 « L’opinion concernant l’achat des services par le gouvernement auprès de la force sociale », texte

intégral sur http://news.xinhuanet.com/politics/2013-11/15/c_118164235.htm, consulté le 4 décembre 2013.

comme une instance de contre-pouvoir, mais en partenaire de gestion avec le gouvernement.

Afin de mieux appréhender l’évolution des politiques du système social dans lequel se situent les microgroupes que nous avons rencontrés sur le terrain et que nous présenterons plus loin, j’analyserai dans ce chapitre l’évolution de la réforme sociale, en m’appuyant sur les textes des politiques publiques et des règlements autour de cette question. Les associations professionnelles et les chambres de commerce sont les premiers objets de cette réforme. A travers le prisme de l’évolution de la gestion des « organisations sociales », j’aborderai le cas de la province du Guangdong, désignée par l’Etat comme laboratoire d’expérimentation. Enfin, l’exemple d’un dispositif mis en place au niveau national, le YIFU, « incubateur des organisations sociales », permet d’illustrer l’ensemble du paysage de la réforme sociale en Chine : la ligne directrice de la réforme, la logique de la « gestion sociale » promue, les réactions des différents acteurs et organisations ciblés, les contradictions de cette réforme, ainsi que les conflits entre différents acteurs sociaux liés à cette transformation politique, idéologique, économique et sociale.

Gestion des « organisations sociales » : un système de double contrôle