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2 2 Une ONG environnementale : le combat exemplaire de résidents périurbains de la classe

moyenne

Après l’année 2007, qui s’était signalée par les manifestations de Xiamen 238 contre la construction d’une usine pétrochimique destinée à la production de paraxylène, l’année 2009 a marqué en Chine une phase importante où des vagues de mouvements sociaux contre la pollution environnementale produite par les décharges de déchets des usines chimiques, d’incinération ou des centrales thermiques, se sont multipliées. Ces combats ont permis aux citadins des régions développées, principalement de la classe moyenne aisée, d’entrer sur la scène nationale des conflits sociaux dont l’espace avait jusqu’alors été occupé, depuis la fin du XXe siècle, par les travailleurs migrants internes, les paysans expropriés ou les ouvriers « descendus de leurs postes » (xia gang下岗), terme chinois pour éviter celui de « chômeurs », et désignant dans la plupart des cas les ouvriers des usines d’État touchées par la privatisation dans les années 1990.

Le traitement des déchets constitue l’objet majeur de ces mouvements et a soulevé des flots de protestations dans le milieu urbain, surtout en 2009 à Pékin 239, Wujiang (Province du Jiangsu), Nanjing, Canton (quartier Panyu) et à Shenzhen. Internet joue un rôle crucial dans l’organisation de ces manifestations, la diffusion des recherches scientifiques et techniques concernant la pollution, les échanges d’informations et les stratégies adoptées, comme l’illustre bien le combat de Panyu, un quartier de Canton : c’est d’ailleurs à partir de ce cas 240, – exemplaire par son impact médiatique, social et politique au niveau national et international, par l’évolution qu’il a suivie et son importance qui ont abouti ultérieurement à la création d’ONG dans le cadre d’une        

238 Ville côtière de la province du Zhejing au sud-est de la Chine, confinant à la province du Guangdong. 239 Par exemple Pékin, pendant l’année 2008 et 2009, a connu trois grandes manifestations contre la

construction de l’usine d’incinération, qui concernait les terrains de décharge Asuwei, Gao’antun et Liulitun, dont l’un est situé auprès d’une zone de villas au nord du village olympique.

240 Les matériaux recueillis et utilisés dans ce chapitre viennent d’articles parus dans la presse, de

recherches scientifiques, des entretiens et des observations que j’ai menés, des informations postées en ligne par les acteurs ainsi que des postes de leurs comptes Weibo, que je suis de près depuis 2010.

nouvelle stratégie de gestion de l’Etat-parti chinois –, que je chercherai à comprendre le rôle d’Internet dans les mouvements collectifs et l’impact de l’investissement individuel en ligne sur les choix personnels ainsi que sur l’évolution collective.

Comment, sous un régime autoritaire, les acteurs ont-ils pu trouver une ouverture pour exprimer leurs revendications et lutter contre l’imposition des ordres des autorités locales ? Dans ce chapitre, je vais d’abord circonscrire le contexte politique, social et économique de la région cantonaise et son ouverture historique et géographique au monde extérieur. Puis je présenterai le développement immobilier à Panyu et comment il attire une classe moyenne dont l’émergence résulte de la croissance économique et du déclin du système de danwei单位, l’unité de travail. Mon attention se portera ensuite sur l’histoire des combats pour la défense des droits des propriétaires par les habitants de la classe moyenne à Panyu. Enfin je décrirai l’évolution de ce combat à Panyu contre la construction d’une usine d’incinération et je terminerai ce chapitre en analysant les récits biographiques de quatre acteurs que j’ai rencontrés.

Au début du XXIe siècle, vingt ans après la politique d’ouverture économique de Deng Xiaoping, les régions côtières développées ont attiré de plus en plus de travailleurs migrants venus des quatre coins de la Chine rejoindre cette « armée » de main-d’œuvre moderne dans les usines, chantiers, magasins. La privatisation des entreprises d’État au cours des années 1990 et la crise asiatique de 1998 ont donné lieu en Chine à une réforme du marché approfondie et à une croissance économique axée sur l’exportation et la consommation. En allégeant la tension sur le marché du travail, elle a conduit des milliers de jeunes à rejoindre les grandes villes pour entreprendre des études et une carrière professionnelle plus valorisante, ce qui s’est traduit par l’augmentation du nombre de jeunes admis à l’université. L’urbanisation intensifiée qui s’en est suivie et l’expansion démographique ont raccourci la durée de vie de la plupart des décharges de déchets situées en proche banlieue des villes, en particulier dans les grandes métropoles. De plus en plus peuplées, elles submergent les frontières entre la ville et la campagne et les décharges comme les usines se rapprochent des villes. L’existence de ces décharges provoque et soulève le mécontentement des villageois et des nouveaux habitants, venus s’installer dans le pourtour des villes pour une meilleure qualité de vie, plus économique qu’en centre-ville.

Dans son dixième plan quinquennal (2001-2005), le gouvernement central chinois a souligné la nécessité de l’épuration des eaux et du traitement des déchets en résumant les problèmes rencontrés durant le neuvième plan quinquennal (1995-2000) à propos des « villes entourées d’ordures 241 » (laji weicheng 垃圾围城), ou de la « pollution

blanche » (baise wuran 白 色 污 染) résultant notamment de l’accumulation des

plastiques, etc. L’année suivante, en septembre 2002, la Commission nationale du développement et de la réforme, le ministère de la Construction ainsi que le ministère de la Protection environnementale publiaient un décret visant à la privatisation des services publics de gestion des eaux usées et des déchets, et attribuant l’industrie de la récupération et des traitements de déchets à des concessions en réponse à des appels d’offres BOT (Build-Operate-Transfer 242

). Suite à son entrée à l’OMC en 2001, la Chine a approuvé le protocole de Kyoto à la conférence de Johannesburg en 2002 où les États-Unis avaient été critiqués à cause de leur irresponsabilité et de leur non-signature de ce traité. Dans l’argument du développement durable du gouvernement chinois, l’électricité produite par les usines d’incinération constitue l’une des énergies dites « vertes » et écologiques – « clean energy », tout comme l’énergie solaire et éolienne. La transformation des déchets en électricité est considérée comme une transformation

« des déchets en trésor » (bian fei wei bao变废为宝). L’Empire du Milieu a ouvert sa

porte au marché écologique mondial par le biais des égouts et des décharges, en allant chercher les technologies avancées dans des pays dits développés ainsi que leurs équipements de seconde main pour les transporter et les installer en Chine. Des joint- ventures ont été créées entre une grande entreprise internationale spécialisée dans le traitement des déchets et une grande entreprise chinoise étatique dont les activités peuvent être très diverses 243.

Ainsi commence une vague de construction d’usines d’incinération dans les villes chinoises. Canton a construit sa première usine d’incinération « moderne et écologique 244 » au nord de la ville dans le quartier Baiyun en 2002, laquelle a été mise        

241 Jusqu’en 1999, les déchets augmentaient à une vitesse de 6 à 8% par an.

242 Il s’agit d’un modèle commercial qui permet à des investissements privés d’entrer dans la construction

des infrastructures publiques, et en retour, de recevoir une concession étatique d’une durée limitée pour la gestion, avant de la rendre au gouvernement.

243 Par exemple, nous observons que des entreprises de fabrication d’acier et d’ascenseurs ont obtenu la

concession du traitement des déchets dans plusieurs villes chinoises.