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On peut constater dans la réglementation en vigueur, qu’il y a une incertitude et une insécurité pour le petit paysan bénéficiaire d’affectation foncière, qui ne l’incitent pas à l’investissement et ne l’encouragent pas à protéger les ressources naturelles non renouvelables.

Plusieurs acteurs pensent qu’il faut réformer le système. L’Etat a, depuis 1996, fait faire un diagnostic de la situation foncière et a élaboré un « Plan d’action foncier » qui propose plusieurs options. La faiblesse originelle de ce plan réside dans sa justification : « la nécessité de permettre à des détenteurs de capitaux d’acquérir des terres pour les exploiter et d’utiliser leurs titres fonciers comme garantie pour des emprunts bancaires ». Cette justification découle de l’hypothèse non explicitée que l’intensification de l’agriculture sénégalaise nécessite le développement d’une agriculture de préférence irriguée et à haute intensité de capital et que les détenteurs de capitaux ne se lanceraient dans l’entreprenariat agricole que s’ils étaient titulaires de titres fonciers et non d’une simple attribution de droit d’affectation sur le domaine national.

Cette option de privatisation des terres inquiète les paysans qui craignent de voir les riches citadins acheter leurs terres et leurs enfants condamnés à l'exode rural ou au statut d'ouvrier agricole. L’option est aussi très risquée parce que l’essentiel des terres exploitables pour l’agriculture au sens large est aujourd’hui affecté et exploité par des familles paysannes au titre du domaine national. On peut difficilement justifier une réforme qui se ferait au détriment

63 Nous y reviendrons par ailleurs.

64 Ce qui correspond à une densité de 43,15 hab/km2 (Plan local de développement de la communauté rurale, mai 2007). La densité nationale est de 63,5 hab/km2 en 2008 (ANSD).

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de ceux qui exploitent ou gèrent l’essentiel des terres agricoles du pays, sans faire le pari de conflits violents et durables.

Le Conseil national de concertation et de coordination des ruraux (CNCR) reproche à la loi sur le domaine national d’être restée vague sur les modalités de mise en œuvre, notamment sur des notions aussi essentielles que celle de mise en valeur que l’autorité administrative aurait dû préciser par arrêté. « Cette faille est une des sources de la corruption qui se développe à propos de la terre et une des causes des conflits fonciers de plus en plus nombreux ». Le CNCR signale pour s’en inquiéter que « de plus en plus, les ruraux ont le sentiment que l’administration et les hommes politiques sont sous l’influence d’intérêt privés et qu’eux-mêmes s’abritent derrière la notion d’intérêt public pour satisfaire leurs intérêts privés ». Mais surtout, les propositions du CNCR qui place l’exploitation agricole familiale au centre de toute réforme, sont aux antipodes des points de vue des autorités.

La contrainte foncière, avec ses lourdeurs liées à la tradition et aux tâtonnements de la loi, s’ajoute aux questions plus « techniques » que nous avons examinées précédemment. L’ensemble de ces problèmes a progressivement contribué à la diminution de la production agricole, en particulier celle des céréales. Instinctivement, les paysans trouvent des stratégies d’adaptation consistant très souvent au développement d’activités non agricoles en milieu rural.

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Conclusion de la partie I

Les façons culturales ont peu changé depuis plus de 50 ans. La plus importante mutation, qu’on peut, sans exagération, qualifier de révolutionnaire a commencé juste avant l’indépendance. Il s’agit de l’introduction du semoir et la généralisation consécutive de la culture attelée. L’iler, la larmet et la daba, sans disparaître, ont perdu de leur importance. La houe et les animaux de trait demeurent des moyens de production incontournables. Les premières années d’indépendance, sans connaître de réelle politique agricole, ont quand même été marquées par des efforts dans le développement de la recherche agricole initiée au début du XXe siècle. De nouvelles variétés de semences sélectionnées, à cycle court adapté à la sécheresse, ont été trouvées pour l’arachide, le mil, le sorgho et le niébé. Une société de fabrication de matériels agricoles a pu fournir des semoirs, des charrettes, et d’autres instruments de culture. Mais tout cela a produit des résultats très faibles. Les paysans en sont réduits à cultiver les mêmes variétés d’arachide qu’il y a 35 ans, à faire réparer des machines qui ont 40 ans, si les forgerons ruraux ne réussissent pas à les reproduire avec des matériaux locaux. Dans la zone de Louga, les problèmes liés à la disponibilité de terres sont négligeables au regard de la pression foncière dans d’autres régions du pays. Mais d’une façon générale, depuis l’époque coloniale, il n’existe pas de lois adaptées à la tenure foncière, et ce, du fait d’une prise en compte insuffisante ou de la méconnaissance de la force encore très présente de structures et de croyances traditionnelles.

Les contraintes liées aux moyens de production ont des répercussions sur les quantités produites et sur la situation alimentaire. Naturellement les paysans, pour s’adapter, semblent créer ou renforcer des activités génératrices de revenus qui configurent une nouvelle économie rurale. L’efficience de cette nouvelle économie dépendra de l’aptitude des paysans à se regrouper dans des organisations autonomes. Il en existe déjà beaucoup dans le pays. Certaines ont été créées à partir d’initiatives extérieures telles que l’appui d’organisations non gouvernementales, d’autres émanent d’initiatives paysannes. Il est important de savoir si les unes et les autres répondent aux attentes des principaux acteurs et surtout si elles convergent vers la naissance ou la consolidation d’un mouvement paysan, défendant efficacement l’exploitation agricole familiale.

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Partie II

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Introduction de la partie II

Le déficit de la production agricole et alimentaire a entrainé une réaction des acteurs. Celle-ci est variable dans le temps et dans l’espace, spontanée ou organisée, mais elle constitue toujours une stratégie d’adaptation. Elle peut être le fruit d’une initiative des paysans, ou provenir de bonnes volontés extérieures, telles que les organisations non gouvernementales. Les exemples que nous examinons dans cette partie visent à rendre compte de certaines de ces stratégies qui, nous semble-t-il, sont représentatives de la multiplicité des dynamiques paysannes développées face à l’insécurité alimentaire.

Chapitre IV : Les stratégies paysannes d’adaptation aux mutations agricoles

Le meilleur révélateur de la crise de l’agriculture sénégalaise est l’insuffisance de la production qui ne couvre même plus la moitié des besoins alimentaires nationaux. Pour remplacer une partie des revenus qui provenaient de l’agriculture, les paysans développent des activités comme l’élevage, le petit commerce, l’artisanat et certaines stratégies spécifiques liées à des expériences personnelles. Ils comptent aussi sur les revenus des transferts effectués par les émigrés.

Chapitre V : La production et la transformation agricoles entre organisation collective et initiatives individuelles

Une initiative personnelle qui visait la création d’une activité productive, débouche finalement sur une organisation formelle, mais très originale. Exploitant la législation existante, des habitants de Djelerlou ont créé un groupement d’intérêt économique (G.I.E.) qui exploite les connaissances traditionnelles pour faire de la transformation agroalimentaire, fournissant un emploi à plusieurs personnes, essentiellement des femmes. Non loin de là, dans les Niayes, les producteurs d’oignon se retrouvent dans la même organisation, mais poursuivent d’une manière individuelle leurs activités de production. La description de cette activité permet de comprendre certains aspects de la filière ; les éléments collectés pendant l’enquête, permettent de calculer le coût de production de l’oignon local, qui sera comparé dans la troisième partie au coût de revient de l’oignon importé. Enfin, dans ce chapitre, nous nous intéressons à une coopérative rurale créée autour de diverses activités, par des paysans de Kelle Guèye, avant de s’étendre à d’autres communautés rurales, pour enfin se mettre en réseau avec d’autres coopératives et mutuelles de crédit au niveau national.

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Chapitre VI : De l’encadrement autoritaire à l’émergence d’un mouvement paysan

L’encadrement autoritaire des paysans a revêtu la forme de sociétés indigènes de prévoyance à l’époque coloniale, puis de coopératives d’Etat à l’indépendance de 1960. A partir des années 1970, une nouvelle vague d’organisations est apparue sous des formes diverses qui semblent déboucher de nos jours sur la formation d’un mouvement paysan autonome.

102 CHAPITRE IV

LES STRATEGIES PAYSANNES D’ADAPTATION AUX MUTATIONS AGRICOLES

Une réalité indéniable, qui fait l’unanimité des acteurs de l’agriculture, est que, de nos jours, les récoltes annuelles ne permettent plus au paysan de nourrir et d’entretenir sa famille. Il trouve cependant des moyens d’y faire face en développant des stratégies de diverse nature.