• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : La France, état nation au cœur de la construction européenne

2.4. Réflexion autour de la problématique identitaire nationale

Nous avons pu constater, à la lumière des conditions de recevabilité de la demande de naturalisation, que l'étranger doit avoir une moralité et un vécu quasi irréprochables. Il est intéressant également de noter que cette rigueur morale est exigée même après l'obtention de la naturalisation, sous peine de la perdre. Le national « d'origine » peut, au pire, perdre ses droits civiques voire sociaux mais il gardera toujours sa place dans la société dont il est issu. Implicitement, le naturalisé est toujours sous contrôle moral de l’état. Par contre, cette exigence semble secondaire pour les personnes qui peuvent apporter à la France leur rayonnement et leurs talents. On saisit bien ici l’investissement idéologique et pratique mis dans la nationalité par la société française, au plus haut niveau de l’état. L’acquisition de la nationalité semble donc proche d’un don, d’un cadeau fait par la société française à un étranger (et quelques éléments sont là pour le lui rappeler) et semble même parfois se dérouler sur le mode de l’échange et des intérêts réciproques. Ainsi l’étranger qui a quelque chose à offrir à la nation aura plus de chances d’être naturalisé. De même la personne qui risque d’être une charge pour la collectivité (malgré la devise de fraternité républicaine), au vu, par exemple, de son état de santé, a peu de chances de l’obtenir (on justifiera le refus par exemple par le faible degré d’insertion professionnelle possible pour une personne handicapée). Il y a donc ici une démarcation entre les tenants de la nationalité française qui repose sur des critères éminemment subjectifs tels que le « degré de moralité ».

Un autre point intéressant à relever concerne le lien nationalité-citoyenneté. La citoyenneté confère un statut juridique à l’individu. Oblet (1998) rappelle que « la citoyenneté exprime une appartenance politique qui n’impose en soi ni pratiques culturelles ni modèle d’organisation mais une exigence de solidarité et donc également de communication entre les concitoyens. » Cependant, afin d’accéder à ce statut de citoyen, l’étranger doit répondre à un certain nombre de critères comme on peut le remarquer dans les exigences liées à l’assimilation à la communauté française. Une enquête peut être mise en œuvre pour vérifier que le requérant mène une vie conforme aux us et coutumes de la vie française.

La nationalité possède ainsi deux dimensions : une politique et une culturelle. La première donne une identité politique au sujet, un statut juridique en cela même qu'elle définit ses droits et ses devoirs envers les autres membres de la société, statut lié à un espace territorial donné et défini (Canivez, 1995). Si la nationalité rattache la personne à un espace territorial, juridique, politique donné, seule la personne détermine la nature et les caractéristiques de ce lien, signifiant ainsi la

place qu'elle pense occuper dans la société. La subjectivité de ce lien apparaît lorsque des bouleversements contextuels d'ordre historiques et politiques, sociaux surgissent, interrogeant la notion même de citoyenneté, le lien nationalité/citoyenneté et le sentiment d’appartenance. Cette dimension subjective de l’appartenance à une nation n’a pas besoin d’être justifiée lorsque la personne a acquis la nationalité par droit du sol ou droit du sang. Elle se pose de manière déterminante pour le naturalisé. Sayad (1991) souligne d’ailleurs que « c’est tout le vocabulaire de l’honneur usant des termes de dignité, de privilège, de mérite, d’obligeance et d’obligation (…) qui se retrouve constamment et abondamment cité dans tout ce qui est dit de la nationalité et de la naturalisation. »

Ainsi, les critères définis pour l’accès à la naturalisation nous éclairent sur sa dimension symbolique et même affective parfois et, tout du moins, idéologique.

Considérons maintenant son influence sur ce que nous appellerons l'identité culturelle au sens de nationale, telle qu'elle peut être vécue par les citoyens français. Prenons comme point de départ de notre réflexion la notion d' « identité nationale » (que nous reprendrons dans un chapitre ultérieur). Kelman11, au cours de ses travaux sur le nationalisme, nous apprend que la simple existence

d'éléments culturels communs entre les membres d'une collectivité n'est pas suffisant pour les définir comme une nation. Ils doivent aussi avoir conscience que ces éléments communs représentent des liens spéciaux qui les lient les uns aux autres. La notion d'identité nationale repose donc sur cette prise de conscience de liens entre nous et d’autres, liens historiques, sociétaux, culturels. A partir de ces éléments nous différencions ceux qui partagent la même identité, nationale et ceux qui ne la partagent pas. L'identité nationale ne se définit pas seulement pour un individu à partir de son appartenance juridique et territoriale, elle est aussi définie en fonction d'éléments plus subjectifs. Le sentiment d'appartenance à un espace institutionnel donné est également constitutif de cette notion d’identité nationale, sur son versant subjectif.

La subjectivité présente ici relativise ainsi le sentiment de ressemblance que les individus peuvent éprouver face à des personnes qui, bien qu'ayant objectivement la même nationalité, l'ont acquise différemment dans leur histoire personnelle. Qu'en est-il alors de l'élaboration de ce sentiment vis-à- vis de personnes qui ne partagent pas même cet aspect juridique même s'ils partagent une même citoyenneté, en l'occurrence dans notre raisonnement, la citoyenneté européenne ?

Ainsi le national de naissance considère implicitement cet aspect de son identité comme un élément

11Cité in Segall, M.H., Dasen, P.H.,Berry, J.W. (1990). Human behavior in global perspective: an introduction to cross-cultural psychology. New-York, Pergamon Press.

acquis, évident, naturel et n'a que pas ou peu de conscience de l'aspect construit de cette facette identitaire. La construction européenne interroge aussi cet état de fait et en présuppose, de manière hypothétique, à terme, la déconstruction ou le réaménagement de cette facette identitaire et la création d'un nouveau sentiment d'appartenance.

Nous percevons ici l'importance de cette considération, parfois inconsciente mais à laquelle le sujet, en tant que national, en tant que citoyen d'un état- nation, est confronté notamment lorsqu'on lui demande ce qu'il attend de l'Union Européenne.

Présentation

Deuxième partie : Présentation du cadre théorique

La place du sujet est au centre de cette recherche. Sa réflexion, le sens qu'il donne à l'environnement socio-politique qui l'entoure nous intéresse. Plusieurs courants abordent cette question et nous avons choisi de nous positionner dans celui de la psychologie interculturelle. Cette discipline nous semble être la plus pertinente pour traiter de ce sujet eu égard aux outils conceptuels qu'elle nous apporte.

La construction européenne porte le sujet dans un processus d'interculturation au niveau institutionnel et peu à peu personnel, voire quotidien. Le sujet s'interroge notamment sur le devenir de son identité culturelle telle qu'il a pu la définir jusqu'à présent et sur les conséquences que vont avoir, implicitement, à moyen terme et à long terme, le mouvement de partage d'espace, avec la libre circulation des personnes et le mouvement de partage d'une monnaie unique avec d'autres européens sur sa problématique identitaire. La position de ce sujet est celle d'un sujet interculturel. La dimension politique est aussi présente dans cette recherche car c'est la position du sujet en tant que citoyen dans le contexte européen qui a suscité notre curiosité. Nous avons donc emprunté à la psychologie politique le concept de sujet citoyen.

Nous présentons donc dans un premier chapitre la psychologie interculturelle, son historique, sa place spécifique vis-à-vis des deux autres grands courants de psychologie qui traitent des relations psychisme-culture. Nous aborderons les principaux concepts de cette discipline.

Dans un second chapitre, nous présenterons le concept de « sujet citoyen » tel qu'il est défini en psychologie politique.