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LES FANTAISISTES, COLETTE ET LA

III.2. Un réel poétisé

Paraphrasant Edmond Jaloux, Michel Raimond301 dit que la fantaisie est une « manière indépendante et personnelle de corriger la réalité. » S’ils s’attachent à revenir au réel, les fantaisistes ont une manière bien à eux de fuir le présent tout en même temps : c’est de le conter avec humour et désinvolture, en le parant de couleurs fantaisistes302. La brutalité crue du réalisme s’en trouve désarmée par la sensibilité poétique de ces auteurs qui préfèrent la prose à la poésie. Etre poète en prose, pour un Paul-Jean Toulet, c’est faire glisser ce qu’il écrit du plan prosaïque au plan poétique ; dans ses romans, aussi bien que dans les chroniques nombreuses et variées qu’il a commises, sa virtuosité verbale, son besoin d’échapper à la platitude du jargon quotidien l’aiguillent sinon vers la poésie, du moins dans un style poétique qui transpose les réalités communes en des réalités merveilleuses303 . Cependant, ce style poétique se défie des épanchements, des élans du cœur, et de la pure sensibilité. Pierre Tranchesse, en différenciant, de façon radicale, les fantaisistes des réalistes, n’hésite pas à les qualifier de poètes : « Si le réalisme est la description du monde tel qu’on le voit, la fantaisie serait la transcription du monde tel qu’on ne le voit pas, tel, du moins, que la plupart des gens ne le voient pas, tel que seul le poète peut le voir. »304.

Pour désarmer la réalité, les fantaisistes chantent le monde sensible, la grâce ou le tragique d’un instant, la volupté d’un moment. Le réel n’est jamais abordé de front, mais plutôt de manière oblique : c’est par un regard biaisé que leurs récits relatent l’événement car les fantaisistes ont su mettre la distance, le retrait nécessaire pour taire l’événement et n’en garder que la trace. Frédéric Maget305 a souligné cette distance dans les écrits de Colette : si la seconde guerre mondiale est la toile de fond des nouvelles regroupées dans Chambre d’hôtel , Colette ne livre aucun récit

301 Michel Raimond, La Crise du roman, op. cit. , p. 225.

302 Colette, Pl. I, p. XVIII, Préface de Claude Pichois.

303 Pierre-Olivier Walzer, Jean Paul-Tinan, op. cit. , p. 99.

304 « Une singulière école : l’école fantaisiste », op. cit. , p. 66.

de champs de bataille, mais elle offre le point de vue de l’arrière, dit l’écho des bouleversements, le front n’est qu’un grondement lointain. L’art suprême des fantaisistes, dandies raffinés, lettrés et érudits, éclate dans leur style, musical, précieux et travaillé ; c’est sans doute grâce à cette qualité qu’ils triomphent des banalités réalistes pour embellir le réel, et qu’ils réussissent à faire du beau avec du vrai. La poétisation du réel se détaille en trois points : la brutalité réaliste désarmée ; la réalité abordée de biais ; la réalité servie par une écriture stylisée.

Le réel désarmé

Les fantaisistes privilégient le monde sensible, ils célèbrent les sensations heureuses, ils dorent le réel de merveilleux ; ils rompent avec le récit chronologique, cher aux auteurs réalistes, en désorganisant la narration continue ; ils dévient le réel en recourant à l’analogie, et poétisent la peinture de la société.

Le renouveau littéraire des fantaisistes renoue avec le monde sensible, à la différence des écrivains réalistes qui le refusait et des symbolistes qui ne le voyait plus. Jean de Tinan chante les sensations heureuses, son amour du réel se confond avec celui de la volupté et de la sensualité ; il sait découvrir la poésie cachée qui sommeille en toutes choses306. Pierre Tranchesse constate cette même inclinaison pour le sensible dans les écrits du groupe fantaisistes : « […] l’amour de la vie, la sensibilité, l’allégresse, la vision émerveillée des choses, le sens du mystère et la richesse d’imagination ; avec cela le jeu de l’intelligence, la culture et le goût des plaisirs que s’offre l’esprit. »307. Paul-Jean Toulet avoue sa sensibilité, lorsqu’il dit : « Ce que j’ai aimé le plus au monde, ne pensez-vous pas que ce soit les femmes, l’alcool et les paysages ? »308.

Colette a longtemps été considéré comme l’écrivain du sensible uniquement. Que la prise du réel passe par le monde sensible, toute la critique s’accorde sur ce point ; mais chez Colette, la recherche de la sensation verbale est subordonnée à la recherche de la sensation réelle par l’évocation du mot, c’est ce qui la différencie, par exemple, d’une Anna de Noailles, qui choisit le mot pour sa musicalité, pour le fondre dans un mouvement lyrique309. Julia Kristeva insiste longuement sur cette « interpénétration de la langue et du monde », et évoque la sensualité

306 Henry Delormel, Jean de Tinan, op. cit. , p. 3.

307 L’Avant siècle 3, op. cit., p. 73.

308 Cité par Pierre Olivier Walzer, Paul-Jean Toulet, op. cit. , p. 44.

imposée par Colette dans les lettres françaises310. Les récits abondent en épiphanies sensorielles ; elle est avant tout un écrivain sensualiste, qui traduit « […] le frémissement, le fourmillement, le pullulement de la vie sous toutes ses formes. »311

Ces écrivains-poètes du début de siècle, adeptes des récits brefs et des intrigues minces ne sont-ils que des romanciers d’occasion ? Toulet, dans le roman, ne dépasse guère cette facilité de ne peindre que le pittoresque facile, vite banal et sans lendemain312 ; le souffle lui manque-t-il pour embrasser une destinée humaine ? Il ne semble pas croire en ses personnages et se joue de l’illusion réaliste en proposant au lecteur deux incipits différents :

En cas que la première version de mes débuts auprès de Nane n’ait point satisfait tous les esprits, il convient d’en donner une seconde : ainsi les délicats pourront choisir la forme de vérité qui leur agréera davantage.313.

Ce procédé mine toute tentative d’inscrire le récit dans un espace chronologique réglé, et détruit toute illusion réaliste. Les recueils rassemblant les textes courts de Colette dominent largement dans une œuvre qui privilégie des textes lacunaires et antinarratifs. Julia Kristeva parle d’un genre « vrilles de la vigne », qui fragmente le récit comme il pulvérise le temps : il brouille la chronologie, mélange les saccades temporelles pour assembler les souvenirs en un kaléidoscope.314. Ce procédé contamine le roman et dont la durée de l’histoire dépasse rarement une saison : un été pour Le Blé en herbe, une quinzaine de jours pour Julie de Carneillan.

Cette langue moderne, inventée par ces poètes fantaisistes, délaisse les clichés littéraires pour parler de la nature ; ils essaient de la décrire avec un système imagier original. Toulet use d’une langue riche en tours imprévus, dans le dessein de surprendre, de rompre avec le convenu : ses

Contrerimes en sont l’illustration315. Ses romans abondent en

comparaisons, analogies et métaphores des plus impromptues, et souvent,

310 Le Génie féminin, tome III, Colette, op. cit. , p. 16.

311 J.-M.G. Le Clézio, « Voici que nous nous sentons pris comme dans un piège », op. cit..

312 Pierre Olivier Walzer, Paul-Jean Toulet, op. cit. , p. 26.

313 Paul-Jean Toulet, Œuvres Complètes, Robert Laffont, 2003, p. 453.

314 Le Génie feminin, tome III, Colette, op. cit. , p. 141.

315 La contrerime est une pièce formée le plus souvent de trois quatrains, construits d’après le schéma : 8-6-8-6 rimant a-b-b-a. En voici une fameuse : « À Londres je connus Bella / Princesse moins lointaine / Que son mari le capitaine / Qui n’était jamais là »

le romancier emprunte à la nature les images de ses états d’âme ; son héroïne est-elle en disgrâce, que la comparaison est des plus triviales :

Entre tant316, comme fait l’eau d’une salade qu’on secoue à force, Nane m’était sortie de la tête.317

Au contraire, éprouve-t-il du désir, que Nane semble le prolongement des beautés de la nature :

Elle a l’air, aujourd’hui, d’une chose naturelle, fraîche, qui arriverait de province dans un panier ; il s’en dégage comme l’odeur des fougères trempées par l’orage ; et je pense un instant respirer ces bois noirs et frais de chez nous, où il y a l’eau qui court.318

Colette adopte cette même écriture métaphorique qui transpose une intention poétique dans les choses. Régine Detambel, qui a dressé le catalogue des analogies florales, dit que Colette ne s’est pas servie de dictionnaire des synonymes, mais qu’elle a puisé ses images dans les livres de botanique. Les végétaux tiennent un rôle analogique, ils sont un support de description, et ils ont une part symbolique non négligeable ; ils signalent la réalité biaisée et le tremblement de l’espace : un feuillage qui "clapote", une colline qui bleuit, sont autant d’indicateurs textuels qui introduisent un espace surnaturel, qui traduit l’inquiétude de la narratrice :

Un clapotis d’eau courante mêle les feuilles, la porte du fenil se met à battre contre le mur comme en hiver par la bourrasque. Le jardin, tout à coup, ennemi, rebrousse, autour d’une petite fille dégrisée, ses feuilles froides de laurier, dresse ses sabres de yucca et ses chenilles d’araucaria barbelées.319

Le réel biaisé

Cette écriture nouvelle base sa poésie à partir du monde réel. Puis, pour transcender la réalité, le narrateur adopte la position de celui d’observateur-témoin ; il use alors de mystification et de distanciation.

316 Selon Toulet : « Entre temps n’a proprement point de sens. Autant vaudrait dire : entre espace ; et les hommes savent bien qu’ils ne peuvent sortir ni de l’un ni de l’autre. Tandis qu’entre tant signifie : entre telle chose et telle autre chose. ‘Demain, dira-t-on, je dîne chez les X… et puis je vais à l’Opéra. Entre tant, je passerai vous voir’. », in Œuvres complètes, op. cit. , p. 1425.

317 Paul-Jean Toulet, Mon Amie Nane, op. cit. , p. 481.

318 Ibid., p. 454.

Sans doute le milieu littéraire de Willy et des fantaisistes précipite la jeune provinciale de Saint-Sauveur sur la voie de la dissimulation et de la feinte. À plusieurs reprises dans son œuvre, Colette vante la dissimulation, qu’elle dit avoir appris au contact de Willy et de ses collaborateurs ; dans Le Képi, elle vante les deux esprits fins et faux de Tinan et Schwob et de Paul Masson, elle loue sa manie mystificatrice, qui lui tient lieu de vice et d’art320. Les deux récits mémoriels Mes Apprentissages et Le Pur et l’Impur insistent sur la manie mystificatrice du début de siècle. Julia Kristeva remarque que contre la passion romantique et fatale de l’authenticité, Colette s’est d’emblée imposée cette discipline du simulacre, et son intérêt se porte sur ceux qui savent faire semblant et s’abstenir321. Par ailleurs l’auteur des Claudine entra en littérature avec un masque, elle raconte dans Mes Apprentissages combien ce stratagème l’amusa.

Cet art de feindre avec ostentation est chère aux fantaisistes ; le premier roman de Toulet, Monsieur du Paur, Homme public, est un chef d’œuvre de mystification : cette fausse biographie use d’épigraphes, d’avant-propos, d’une prière d’insérer ambiguë322, d’une narration en abime, d’une prétendue correspondance avec le duc de Morny, qui sont autant de moyens pour faire de ce récit une énigme quant à sa véracité ou à sa fiction. Pierre Olivier Walzer, à propos des épigraphes de Toulet note : « [Ce genre de mystification] Toulet le pratique dans presque toutes ses épigraphes, soit qu’il les emprunte à des ouvrages aussi hypothétiques que les Conversations, de Curnonsky, soit qu’il les tire d’un auteur ibérique aussi peu répandu que Viages de Brue. Mais si, par hasard, son épigraphe est vraiment réelle, il s’amuse à en donner une fausse référence. »323. Jean Burgos324, à propos de Pellerin, relève qu’il prend beaucoup de soin à avancer masqué, qu’il met sans cesse la « littérature » entre lui-même et son reflet, entre le monde et ses mots. Au plaisir de se cacher s’ajoute celui de se mettre à distance. À propos de Monsieur du Paur, Claude Pichois dit que le héros de Toulet prend du plaisir au spectacle des ridicules du monde, mais il tient à rester à l’extérieur pour n’être point dupe.325 Il ajoute que Tristan Bernard et

320 Colette, Mes Apprentissages, Pl. III, p. 1009.

321 Le Génie féminin, tome III, Colette , op. cit., p. 149.

322 Prière d’insérer qui donne à penser que Pierre-Bénigne du Paur, né à Bressuire, le 5 juin 1823, député et professeur d’université sous la République, devenu sous le Second Empire ministre plénipotentiaire à Neü-Schwaben, avait peut-être existé.

323 Cité par Guy Schoeller, Paul-Jean Toulet, op. cit. , p. 1408.

324 L’Avant siècle 3, op. cit. , p. 11.

Jules Renard appartiennent à ce même groupe d’observateurs goguenards. Avec Mon Amie Nane, Toulet campe le narrateur en rapporteur, prenant le lecteur à témoin :

Cette amie que je veux te montrer sous le linge, ô lecteur, ou bien parée des mille ajustements qui étaient comme une seconde figure de sa beauté, ne fut qu’une fille de joie – et de tristesse.326

Les héroïnes colettiennes, à la fois personnages et narratrices dans les premiers récits, adoptent une distance vis-à-vis de l’univers dans lequel elles évoluent ; Claudine327 regarde et commente les us et coutumes de Montigny, puisqu’elle se place à part des autres élèves et qu’elle rapporte dans son journal ce dont elle est témoin ; de même, Renée Néré, la déclassée, se place en position de témoin qui rend compte de la vie de ses collègues du music-hall. Jacques Dupont relève ce même rôle de témoin distant adopté par la narratrice de L’Envers du music-hall : « Le lecteur d’aujourd’hui sera pourtant plus sensible à la distance, à la possibilité de retrait dont témoigne l’existence même de ces pages. Colette […] garde virtuellement un pied dehors […]. »328. Marie-Odile André329 relève que le choix majoritaire qui est fait dans L’Envers du music-hall est celui de la focalisation externe qui installe la narratrice dans une position de témoin rapportant ce qu’elle voit ou entend.

Sous les historiettes de L’Envers du music-hall, c’est un univers daté, avec son jargon et ses préoccupations qui a, aujourd’hui, valeur de document. Bien plus que le mépris de Colette pour « les idées générales » c’est le reflet de ce début du XXe siècle qu’elle transpose ainsi (c’est la question soulevée par Ramon Fernandez330). Témoin talentueux de la Belle Époque, Colette pointe sans complaisance sa particularité qu’elle nomme la « vie remuante d’oisifs affairés »331 :

326 Paul-Jean Toulet, op. cit. , p. 445.

327 A propos de la narratrice de Claudine à Paris, André Beaunier (6 avril 1901) apprécie la qualité de l'héroïne: « [Claudine] voit tout, avec une justesse merveilleuse et même, et principalement ce qui échappe à l'attention des petites filles…Elle est très renseignée, Claudine. On pourrait la considérer comme une espèce de moraliste très averti, très au courant, très roué, d'ailleurs indulgent et pas dogmatique du tout. », in Colette, Pl. I, p. LXXIV, rapporté par Claude Pichois.

328 Colette, Notice de L’Envers du music hall, Pl. I, p. 1353.

329 Marie-Odile André, « Les jeux d’écriture dans Gribiche », in Cahiers Colette 24, Société des Amis de Colette, 2002.

330 Ramon Fernandez se demande si l’œuvre de Colette n’est qu’une merveille de transposition littéraire, ou bien si elle traduit indirectement un drame essentiel de notre époque, in Messages,

op. cit. , p. 287.

[…] où défilent des gens affairés à figures heureuses de fainéants. 332

Avec les petits romans de Colette et des fantaisistes, le lecteur contemporain peut saisir le désenchantement lucide et la légèreté oisive du Paris de la Belle Époque. Leurs récits donnent le reflet de cette période charnière, qui semble avoir été l’inspiratrice privilégiée de ces artistes ; en effet, les meilleurs portraits de Colette sont ceux où elle peint, rétrospectivement, les personnages qui animèrent ce moment particulier de la vie artistique et culturelle. Toulet, jusqu’en 1920, jusqu’à sa mort, sera resté un homme de 1900 : « Toute sa production littéraire (si l’on excepte les Contrerimes) participe par quelque côté de la littérature 1900. »333. Tinan rend compte de l’omniprésence de la femme dans le Paris des plaisirs, et de l’impuissance d’aimer. Ils surent capter le passage du siècle, et offrent le reflet, non pas des préoccupations problématiques des grandes œuvres, mais de la frivolité et de l’agitation vaine de la Belle Époque. Michel Decaudin334 relève cette fine perception du présent, qui engendre le désamorçage des grands thèmes et des grands enthousiasmes.

Le réel stylisé

C’est essentiellement sur le terrain du style que Colette et les fantaisistes se rejoignent : montreurs de mots, ciseleurs acharnés de la langue, ils offrent un style musical et rythmé, aux limites de la préciosité.

Dire le réel, certes, mais en y mettant des formes : Colette et les fantaisistes travaillent leur prose. À l’instar du précieux Mallarmé, Colette pense que les mots sont plus importants que les idées, elle s’en explique :

[…] l’écrivain, pour qui la réussite est moins affaire de pensée que de rencontre de mots. Signes errants dans l’air, parfois les mots, appelés, daignent descendre, s’assemblent, se fixent…Ainsi semble se former le petit miracle que je nomme l’œuf d’or, la bulle, la fleur : une phrase digne de ce qu’elle a voulu décrire. 335

332 Colette, La Vagabonde, Pl. I, p. 1208.

333 Pierre Olivier Walzer, Paul-Jean Toulet, op. cit. , p. 10.

334 L’Avant Siècle 3, op. cit. , p. 191.

Il n’est pas question ici de faire de Colette une précieuse, cependant, son art épouse certains traits fondamentaux de la préciosité, tels qu'ils ont été établis par René Bray336 : quête d’artifice et de beauté, plus analytique que synthétique, areligieux, refus du sentimental. Si les fantaisistes recourent à un langage précieux, c’est pour contrer la rudesse du réel, qui leur permet d’apprivoiser la dure réalité. Walzer explique que la préciosité, pour Toulet, ce n’est pas refuser le monde, c’est le refaire. C’est aussi construire, hors du temps, un système de perfection, par la conformité à des règles et par l’élégance de la démarche. La préciosité de Toulet n’use guère de l’arsenal de fers, de feux, ou de larmes de la rhétorique classique ; c’est plus son parti pris de dandysme, refusant le commun, qui motive son tour précieux en cultivant les tours indirects, originaux ou surprenants.

Cependant, chez Colette, c’est bien plus la musicalité de son style qui enchante la réalité que la préciosité. Nicole Houssa337 a étudié les termes traduisant le mouvement, la musicalité, l’équilibre des masses syllabiques, les effets allitératifs, et la ponctuation d’un texte des Vrilles de la vigne, et elle conclut que tous ces éléments concourent à faire de ce texte incantatoire une sorte de « danse amoureuse au rythme infiniment heureux ». Julia Kristeva, commentant un passage de Mes Apprentissages338, dit que : « Colette […] se propose de réconcilier sa « mémoire musicale, qui est vive », avec le monde vivant lui-même, en y impliquant les battements de son propre corps et de sa bouche339. Frédéric Maget n’hésite pas à dire que c’est par la magie des mots que Colette fut véritablement musicienne, et qu’au contact de la musique, son écriture se fit elle-même musique. De même, un poète comme Toulet cherche toujours à mettre en valeur les ressources les plus musicales, aussi bien dans ses romans que dans ses chroniques. Walzer relève sa musicalité frémissante de sa prose, le choix des timbres et l’élégance des