Chapitre VI. : La réduction de la pyrite par l’hydrogène
VI.4. La réduction des pyrites du Callovo-Oxfordien par H 2
Les résultats des deux études réalisées sur la réduction des sulfates et de la pyrite par l’hydrogène dans des systèmes simplifiés permettent de rediscuter les hypothèses et observations faites lors des expériences préliminaires sur la réactivité de l’assemblage
L’hypothèse de la réduction des sulfates peut être exclue dans le cadre des expériences réalisée pendant 5 mois à 90°C. En effet, le temps de demi-vie pour le sulfate est de 200.000ans à 90°C. A 250°C la réduction des sulfates est possible par l’intermédiaire des
espèces aqueuses dissymétriques du sulfate (CaSO4(aq) et MgSO4(aq)). Cependant, le temps de
demi-vie pour le sulfate est supérieur à une centaine de jours et les expériences n’ont durée qu’une semaine. La réduction partielle de 11mmol/L sulfates une durée de 200 heures ne produirait donc pas plus de 0,8mmol/L de sulfure. De plus, les sulfates sont en grande partie consommés par des processus de précipitation (anhydrite, thénardite) liés aux conditions hydrothermales. Dans ces conditions, la réduction des sulfates ne peut représenter qu’une contribution mineure à la production de sulfure mesurée en solution.
Par contre, nous avons montré que la réduction de la pyrite en pyrrhotite est possible à basse température et à des pH légèrement alcalins contrôlés par la calcite (7<pH<9). La cinétique de la réaction à été étudiée pendant 300 heures dans une gamme de 90°C à 180°C pour des
pressions partielles d’H2 allant de 8 à 18 bars (Chapitre VI.2). La vitesse de la réaction
augmente avec la température. La quantité de sulfure produite par la réaction de réduction de
la pyrite en pyrrhotite par H2 peut être calculée suivant l’équation 6.3 définie dans l’étude
cinétique expérimentale:
Log nS(-2) (mol.m-2)= -5.22 + 0.47 Log(hours) + 1.10 Log Ppascal(H2) – 2755/T(K) (Eq. 6.3)
L’application de cette équation suppose d’être loin de l’équilibre pyrite-pyrrhotite et que le pH soit contrôlé par la calcite. Les résultats de son application directe aux expériences sur les
assemblages eau/argilites/H2 sont présentés dans le Tableau VI-2.
Ref. exp. T (°C) PH2 (bar) Temps n(S-2) (mmol/m²) Surf.Spé (m²/g) mpyrite (g) Sulfures produits (mmol) #COX12 250 6 100 heures 0,64 1,2 0,2 0,15 #COX-H2 90 7 5 mois 0,02 1,2 0,03 0,0007
Tableau VI-2 : Calcul du nombre de moles de sulfure produites lors des expériences préliminaire de tests
sur l’assemblage eau/argilite du Callovo-Oxfordien/H2. La surface spécifique des pyrites framboïdales du
Callovo-Oxfordien est calculée par des considérations géométriques pour un cube de pyrite de 1µm de coté et une densité de 5. La teneur en pyrite des échantillons d’argilite est prise à 1%.
Au bout de 100 heures de réaction, la concentration de sulfure mesurée lors de l’expérience #COX12 était de 2,8 mmol/L (Figure IV-4) soit 0,56 mmol de sulfure dans 200mL de
solution du réacteur. Par le calcul, la production théorique de sulfure lors de cette expérience est de 0,15 mmol (Tableau VI-2) soit environ 4 fois mois que mesurée.
Cet écart peut s’expliquer par la valeur de la surface spécifique de la pyrite, mais aussi par le fait que le modèle cinétique théorique à été développé dans le cadre d’un système simplifié pyrite-calcite et pas dans un contexte complexe tel que celui de l’argilite du Callovo-Oxfordien. Si la précipitation de pyrrhotite n’a pas lieu à la surface des pyrites framboïdales, alors la vitesse de dissolution est maximum car non limité par la diffusion de l’hydrogène. Il est également possible que la réactivité des pyrites framboïdales ne soit pas la même que celle d’une pyrite de collection telle que celle utilisée pour l’étude cinétique expérimentale.
A 90°C au bout de 5 mois, la production de sulfure calculée dans le cadre de nos expériences est très faible : 0,7 µmol (Tableau VI-2). Cette valeur est cohérente avec le fait que la concentration en sulfure dans la solution n’a pas pu être mesurée par une technique classique de iodométrie (Chapitre IV-2).
Un autre point important pouvant être expliqué par la réduction de la pyrite par H2 est la
différence de production de sulfure à 250°C en présence d’hydrogène, suivant que le fluide initial contient ou non des sulfates (Chapitre IV-1-3). En première hypothèse cette différence avait été attribuée à la possible réduction des sulfates. Mais au vu des cinétiques mesurées (Chapitre V), il est peu probable que cette réaction soit responsable de tels écarts de concentration en si peu de temps. Par contre la réduction de la pyrite en pyrrhotite produit des sulfures et son avancement est fonction du pH de la solution. Or suivant que la solution
initiale contient des sulfates (Na2SO4) ou non (milli-Q, NaCl) le pH de celle-ci n’est pas le
même. La principale différence de pH serait due à la précipitation d’anhydrite (CaSO4). En
effet, en présence de sulfate et de calcium (apporté par la dissolution de la calcite), l’anhydrite est susceptible de précipiter. La dissolution de calcite est alors plus importante pour préserver son équilibre, changeant ainsi la spéciation et la concentration des carbonates en solution et donc le pH. A 250°C, le pH d’une solution à 22 mmol/L de NaCl à l’équilibre avec la calcite est de 7,5 (l’anhydrite ne pouvant précipiter en l’absence de sulfate), tandis que le pH d’une
solution à 11 mmol/L de Na2SO4 à l’équilibre avec la calcite et l’anhydrite est de 8,1. Ces
calculs, s’ils ne reflètent pas les valeurs exactes des pH in-situ lors des expériences
eau/argilite/H2 à 250°C, permettent cependant de supposer que le pH de l’expérience
contenant des sulfates était supérieur au pH des expériences n’en contenant pas. Nous avons montré que la réduction de la pyrite en pyrrhotite est favorisée lorsque le pH augmente. Notons que cette remarque n’est valable que dans la limite de stabilité de la pyrrhotite. En
effet pour des pH très alcalins (pH 10 à 150°C) les oxydes de fer (magnétite, hématite) auront tendance à se former au détriment de la pyrrhotite, même en présence d’hydrogène. Dans le cas présent, les pH estimés restent dans une fourchette légèrement alcaline adéquate pour la
transformation pyrite-pyrrhotite par H2. Le pH plus basique de la solution dans le cas de
l’expérience réalisée avec le fluide initial enrichi en sulfate expliquerait donc que les concentrations en sulfure mesurées soient supérieures à celles du fluide initial ne contienant pas de sulfates pour des temps réactionnels similaires.
La teneur en pyrite des échantillons d’argilite du Callovo-Oxfordien utilisés dans ces expériences est d’environ 1%. Pour les expériences réalisées à 250°C avec un rapport eau/roche de 10 et 20 g d’argilite, une réduction totale de la pyrite conduirait à une concentration en sulfure de l’ordre de 8 mmol/L. Or les concentrations en sulfure mesurées sont comprises entre 2,8 et 4 mmol/L, soit une réduction de 33 à 50% de la pyrite. Les quantités de pyrite présentent dans l’argilite sont donc une source suffisante de sulfure pour
expliquer les mesures de concentration d’H2S.
Les observations réalisées lors des études préliminaires de tests sur l’assemblage
eau/argilite/H2 à 90°C et à 250°C sont donc cohérentes avec le mécanisme et les mesures
cinétiques de réduction de la pyrite par H2 obtenues par l’étude sur un système simplifié.
VI.5. Les points clés de l’étude
L’étude sur la réduction de la pyrite par l’hydrogène à permis de montrer que cette réaction est possible à des températures relativement basses (90°C) et que ces sous-produits sont la pyrrhotite et les sulfures. Contrairement à la réduction des sulfates, les effets de l’hydrogène sur la pyrite sont visibles et mesurables en quelques centaines d’heures à 90°C. L’avancement et la cinétique de la réaction sont dépendants de la température, de la pression partielle d’hydrogène, du pH et de la composition de la solution et de la surface spécifique de la pyrite. Ces résultats font le lien avec les observations réalisées lors des expériences préliminaires de
test de la réactivité de l’assemblage eau/argilite du Callovo-Oxfordien/H2 et confortent
l’hypothèse qui avait alors été évoquée sur la réduction des pyrites framboïdales par H2.
Au-delà d’une simple description qualitative, cette étude apporte une première loi de vitesse permettant l’intégration de la réactivité géochimique de l’hydrogène sur la pyrite dans des simulations numériques.