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Chapitre II. : Quelle réactivité attendue pour l’hydrogène ?

II.3. Les espèces réactives: considérations cinétiques

II.3.3. Les oxydes de fer et les argiles

L’élément commun aux oxydes de fer et aux argiles susceptible d’être réduit est le Fe(III). A notre connaissance, il n’existe pas d’étude sur la réduction du Fe(III) par l’hydrogène dans la gamme de température 25-150°C. Cependant, l’analyse des données de la littérature propres à ces deux types de minéraux, relatives aux mécanismes et à la cinétique de réduction du Fe(III), peut apporter un éclairage complémentaire à plusieurs égards.

D’un coté, la réduction du Fe(III) en Fe(II) contenu dans les argiles peut être examinée à la lumière des nombreuses études réalisées sur l’interaction fer-argile. Bien que dans ce cas, l’agent réducteur considéré soit le Fe(0), l’intérêt de ces études vient du fait qu’il existe des données à basse température : 80°C. D’un autre coté, la réduction des oxydes de fer par l’hydrogène a été extrêmement bien étudiée mais uniquement au-delà de 150°C pour s’affranchir des contraintes cinétiques. En comparant ces deux types de travaux il est possible de proposer un premier scénario concernant la réduction du Fe(III) dans le Callovo-Oxfordien.

La première remarque intéressante concerne le mécanisme de réduction du Fe(III). Le transfert électronique n’a pas lieu directement entre le Fe(III) et l’agent réducteur : Fe(0) ou

H2. En effet, le donneur d’électron responsable de la réduction du fer est dans les deux cas

La réduction par le Fe(0) est une réaction de corrosion localisée impliquant un contact physique entre l’argile et le Fe(0) (Perronnet, 2004). Lantenois (2003) dans sa thèse décrit un mécanisme réactionnel possible impliquant les protons structuraux des smectites dioctaédriques riches en Fe(III). Ainsi, sur ce schéma, la première étape consisterait en un départ de proton lié au Fe(III) octaédrique avec un transfert d’électrons de l’oxygène vers le Fe(III).

Fe3+O2-H+ Fe3+O2- + H+ Fe2+O- + H+ (Eq. 2.9)

Dans le cas d’une réduction du Fe(III) des oxydes par H2, le mécanisme est comparable. La

molécule d’hydrogène réagit avec les atomes d’oxygène de surface (Osurf) pour former une

molécule d’eau et une lacune électronique.

Osurf + H2 + H2O (Eq. 2.10)

La source d’électrons responsable de la réduction du Fe(III) en Fe(II) proviendrait d’un mécanisme de désorption d’oxygène résultant de la condensation de deux groupements hydroxyles de surface (Eq 2.11).

2 (Fe3+ - OH) Fe3+ - O + Fe2+ + H2O (Eq. 2.11)

Vue la similitude des mécanismes de réduction on peut imaginer que les conclusions des études fer-argile sur les transformations minéralogiques (Guillaume, 2002, Lantenois, 2003,

Peronnet, 2004) restent valables en présence d’H2, à ceci près que l’hydrogène est beaucoup

plus mobile que le Fe(0), ce qui implique une étendue possible des transformations supérieures.

Dans le détail, Guillaume (2002) a montré que même lorsque la source de fer est éloignée de l’argile, la transformation argileuse se produit mais incorpore moins de fer. Ceci implique qu’il existe des mécanismes de transport des électrons entre le métal et l’argile. Lantenois (2003) a testé les paramètres structuraux de l’argile sur la réaction à 80°C. Il a montré que la teneur en fer dans les feuillets octaédriques (celui des feuillets tétraédriques n’intervient pas) et l’accessibilité de ces feuillets (ouverts ou fermés par le potassium) étaient des facteurs favorables. La cinétique des réactions semble être contrôlée essentiellement par des facteurs structuraux. Perronnet (2004) apporte des observations complémentaires. Elle met en

évidence un effet de seuil pour le rapport fer-argile, montre que l’argile précurseur peut être la kaolinite. Elle souligne également l’importance de la cristallochimie des bordures de feuillet, et l’effet inhibiteur des sulfures. Elle interprète ses résultats par une séquence réactionnelle qui implique un contact direct entre le métal et l’argile. Elle en fait la démonstration par des expériences conduites en milieux insaturés (pas de phase aqueuse libre). Perronnet (2004) fait finalement l’hypothèse que le pH intrinsèque plus acide de l’eau interfoliaire favorise l’attaque électrochimique de métal en contact des particules.

Ces acquis de connaissance peuvent être rediscutés dans le contexte H2-argile. En premier

lieu, on peut s’interroger sur la capacité de l’hydrogène à réduire les argiles comme le fait le

fer métal. En effet, l’écart de potentiel standard entre les couples Fe(III)/Fe(II) et H+/H2 est

plus faible qu’entre les couples Fe(III)/Fe(II) et Fe(II)/Fe(0) ce qui suggère une réactivité

moindre de H2 par rapport au fer métal. Cependant, dans les expériences de fer-argile, le fer

métal étant insoluble et le fer trivalent étant lié dans les structures minérales, l’échange d’électrons demande un porteur, l’eau n’étant pas un conducteur électrique. Même dans le cas de contact direct entre le métal et la surface des argiles (les bordures dans le modèle Perronnet), la structure silicatée ou l’eau interfoliaire ne sont vraisemblablement pas des conducteurs électriques. On peine alors à expliquer la source ou le vecteur d’électrons dans le cadre du schéma réactionnel présenté par Lantenois (2003). Une hypothèse possible serait que

ce soit le couple mobile H+/H2 qui assure le transfert d’électrons. Cette hypothèse permet

d’expliquer par exemple l’observation de Perronnet (2004) d’une réaction effective même en l’absence d’une phase aqueuse.

Concernant la cinétique de réduction du Fe(III) dans les oxydes par l’hydrogène à basse température, seuls quelques indices laissent penser que celle-ci pourrait se produire à des vitesses significatives dans le contexte du stockage des déchets radioactifs. En effet, il a été montré qu’il est possible de réduire en petite quantité l’hématite dès 100°C (Yanisagawa et Yamasaki, 1991) et la magnétite à 125°C (Mansour, 2008) en quelques heures. Le taux de réduction entre les différents oxydes dépendrait entre autres de la mobilité du Fe(III) dans la

structure et de la capacité de sorption d’H2 à la surface de l’oxyde. Il est clair qu’à 25°C la

réduction de fer ferrique par l’hydrogène est extrêmement lente comme peuvent en témoigner les nombreux expérimentateurs travaillant en boîte à gants anoxique sous atmosphère d’hydrogène.

Cependant il est à noter que la réduction du Fe(III) en Fe(II) ne nécessite que l’échange d’un électron et n’implique qu’une modification légère de la couche électronique superficielle de l’atome de fer. Sur la base d’un raisonnement atomistique la réduction du Fe(III) en Fe(II)

serait donc beaucoup plus facile que la réduction du CO2 en CH4, ou des sulfates en sulfures

puisque ces dernières impliquent une reconfiguration plus profonde des orbitales et présentent des barrières cinétiques importantes.

La réduction du Fe(III) par l’hydrogène dans le Callovo-Oxfordien, en champ proche comme en champ lointain, représente donc une éventualité à ne pas négliger mais pondérable par la faible disponibilité du Fe(III) (en quantité et en mobilité) dans le Callovo-Oxfordien.