• Aucun résultat trouvé

Réconcilier agriculture et société

Dans le document L agriculture de demain en Pays de la Loire (Page 196-200)

Les enjeux d’image et de liens entre agriculture et société ont été au cœur de l’ensemble des auditions réalisées par le CESER dans le cadre de cette étude.

Renouer le lien et renforcer la confiance

Fruit d’une histoire et d’une longue tradition d’excellence, la puissance agricole française et ligérienne tient aux savoir-faire de femmes et d’hommes attachés à leurs territoires, dévoués à leurs métiers et qui revendiquent de pouvoir l’exercer avec fierté. L’agriculture est pourtant sujette à certaines critiques d’une partie de la population, dont le CESER s’est fait l’écho dans les pages précédentes.

Auditionnée par le CESER, la SAFER Pays de la Loire, représentée par Didier BOUTTIER (vice-président) et Aline MAUGER (directrice adjointe) a insisté sur le fait que la préservation des espaces naturels et agricoles nécessite de raisonner le plus en amont possible dans l’élaboration des documents d’urbanisme (SCoT, PLUi, PLU), en s’assurant par exemple qu’une parcelle qui deviendrait constructible en zone à urbaniser (zone AU, zone 2AU) ne soit pas située en zone naturelle, humide, ou sensible..

Au cours de son audition par le CESER, la Coopérative d’installation en agriculture paysanne (CIAP44), représentée par Patrick BARON et Pauline LATAPIE, et CAP 44, représentée par Dominique DENIAUD, ont précisé que 35

% des installations se font avec des agriculteurs non issus du milieu agricole et que de plus en plus d’installations se font en zones péri-urbaines, tout en soulignant que cette tendance devrait croitre à l’avenir.

Malgré ces critiques, la majorité des Français n’a jamais cessé de montrer son intérêt/son attachement à l’agriculture, comme en témoignent le succès constant du Salon de l’agriculture ou les audiences de films et documentaires consacrés au monde agricole (« Nous paysans », « Au nom de la Terre » …).

Cet intérêt et cet attachement se traduisent dans les enquêtes d’opinion.

Réalisé par l’IFOP, le baromètre d’image des agriculteurs mesure chaque année le niveau de confiance des Français vis-à-vis des agriculteurs. Malgré une augmentation d’épisodes médiatiques et polémiques, cette enquête d’opinion montre que la confiance reste haute. L’enquête IFOP réalisée en 2020144 montre que 72 % des sondés pensent que les consommateurs peuvent avoir confiance dans les agriculteurs. Par ailleurs, selon ce même sondage, 64 % estiment qu’ils sont respectueux de la santé des Français et 55 % de l’environnement.

Source : IFOP, le baromètre d’image des agriculteurs, Vague 20, 2020.

Dans le même temps, les enquêtes d’opinion révèlent la déconnection croissante d’une large frange de la société vis-à-vis des réalités agricoles.

Une enquête IPSOS / Ministère de l'Agriculture (juillet 2020)145 montre que les Français prêtent de multiples fonctions à l’agriculture et aux agriculteurs dont ils souhaitent pouvoir se rapprocher :

• En très grande majorité les Français ont le sentiment "qu'une trop grande coupure s'est instaurée entre les habitants des zones urbaines et les agriculteurs " : 71 % des interviewés sont tout à fait d'accord (23 %) ou assez d'accord (48 %) avec cette opinion ;

144 https://www.ifop.com/publication/le-barometre-dimage-des-agriculteurs-vague-20/

145 https://www.ipsos.com/fr-fr/les-francais-sont-tres-attaches-leurs-agriculteurs

• Les Français, loin d'être indifférents à cet éloignement, sont en attente d'actions : 83 % estiment en effet qu'il est urgent (35%) ou important (48%) de trouver des solutions pour réduire cette coupure entre citadins et agriculteurs.

Ainsi, cette enquête d’opinion révèle que dans la logique de l’attachement qu’ils manifestent, les Français expriment une forte attente d'informations sur le monde agricole et ses réalités dont ils sont majoritairement éloignés.

De fait, une large frange de la population entretient de moins en moins de rapport avec l’agriculture. Si la société se trouve de plus en plus déconnectée des réalités agricoles, c’est également parce que ces dernières se sont complexifiées : peu de consommateurs sont aujourd’hui capables de se représenter un élevage et ce que cela implique en termes de pratiques agricoles.

Agriculteur est devenu un métier très technique, diversifié et méconnu.

Il s’en trouve un décalage croissant entre la perception de l’agriculture par les Français et la réalité, entre l’image d’Epinal et l’agriculture moderne.

Le grand public, le citoyen-consommateur, demeure en effet souvent ancré dans l’image d’un modèle traditionnel, celui de la ferme familiale à « taille humaine », bien éloigné des réalités agricoles d’aujourd’hui marquées par une grande diversité de modèles et par une forte technicité des pratiques agricoles.

Le monde agricole émet lui-même des signaux parfois contradictoires sur la manière dont il est perçu dans la société française. Il reflète les incertitudes, les ambivalences de perceptions, de discours et de pratiques qui traversent le monde agricole et qui en complexifient la compréhension pour le grand public.

Le sentiment d’« agribashing » / de « food bashing »

L'agribashing / food bashing sont des termes apparus dans le débat public très récemment qui font écho à un sentiment résultant d'actions de dénigrement du monde agricole et agroalimentaire, relayées par les médias et entretenues, plus insidieusement, par des réactions de tous les jours hostiles aux agriculteurs.

Dans un rapport consacré aux « Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse » (2021), le Sénat soulignait :

« L'agribashing n'est pas qu'un mot médiatique dénué de sens : il est très profondément ressenti comme une injustice criante par tout un monde agricole ne comprenant pas les accusations dont il fait l'objet par une frange de la population de plus en plus active. Il vient de surcroît aggraver un sentiment d'abandon déjà fortement présent dans l'esprit du monde

paysan, confronté à des difficultés économiques croissantes et en quête d'une reconnaissance sociale pourtant méritée »146.

Cet agribashing ambiant, ressenti par une partie de la profession agricole, est alimenté par les actions médiatiques à l’encontre des agriculteurs, notamment par des inscriptions (tags) à caractère antispéciste apposées sur les murs d'enceinte des exploitations ou par l’accroissement des intrusions sur ces mêmes sites, ce qui peut alimenter un sentiment d'insécurité et une forte charge émotionnelle. En effet, les sphères professionnelles et personnelles sont poreuses ; l’exploitation se confond la plupart du temps le lieu d’habitation.

Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, en 2019, les atteintes aux biens commises au préjudice du monde agricole affichent une hausse de + 1,5 % par rapport à 2018 pour un total de 14 498 faits dont 49 intrusions ou dégradations au sein d'exploitations agricoles à des fins idéologiques ayant fait l'objet d'un suivi. En 2020, malgré les confinements, leur nombre est de 30 atteintes aux biens, notamment dans la région Pays-de-la-Loire.

Cohabitation dans le monde rural

Enfin, si elles peuvent être en lien, en partie, avec la profession d'agriculteur, les violences et menaces relèvent également et majoritairement de conflits de voisinage et de problématique de cohabitation (ex : chant d’un coq, odeur d’un élevage, crainte liée au développement de la méthanisation et au risque d’explosion…). Cette recrudescence des conflits en lien avec l'activité agricole

146 http://www.senat.fr/rap/r20-451/r20-451.html

Auditionnée par le CESER, Sylvia GOUABEAU (Drive fermier 53, agricultrice membre du réseau « Bienvenu à la ferme ») a souligné toute l’ambivalence de la communication qui est à la fois nécessaire pour renouer avec l’opinion et le citoyen-consommateur et crainte car elle met en visibilité l’exploitation et accentue la vulnérabilité (vols, intrusions, insécurité …).

Auditionné par le CESER, Joel LIMOUZIN (vice-président de la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire) a fait part de l’incompréhension et du découragement du monde agricole devant les attaques d’associations dénigrant les pratiques agricoles. Il a notamment déploré Les intrusions sur les exploitations, pilotées par des associations de défense du bien-être animal, qui vont jusqu’à libérer des animaux à des fins idéologiques.

dans un monde rural en recomposition a été soulevée au cours de certaines auditions menées dans le cadre de cette étude.

Ces conflits d'un genre particulier, qui peuvent avoir une forte résonance médiatique, ont amené le législateur à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises en 2021. Sont désormais inscrits « les sons et les odeurs » qui caractérisent les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins au sein du patrimoine commun de la nation147.

Cet enjeu de cohabitation des activités agricoles sur les territoires a également été soulevé par les acteurs du secteur agro-alimentaires de LIGERIAA, qui ont cité les difficultés rencontrées pour l’implantation d’usines agro-alimentaires sur certains territoires en raison notamment des enquêtes publiques.

Méfiance, défiance, agribashing, problématiques de cohabitation…

Ces situations sont souvent la résultante de réalités qui s’ignorent.

Dans ce contexte, il apparait nécessaire de lutter contre deux influences :

• D’une part, ne pas laisser se développer l’agribashing / le food bashing comme argument et outil de communication d’une frange de la profession agricole qui refuserait ainsi d’accepter la nécessité du changement et la légitimité des citoyens à prendre part au débat ;

147 Loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises

Au cours de son audition par le CESER, Dominique GUYOT (directeur du Campus de Pouillé) a précisé que les citoyens ont des opinions contradictoires et des positions très tranchées. Il a souligné qu’a pu être prêté à la crise COVID et aux confinements un changement de mentalité vis-à-vis du monde rural. Selon lui, c’est à appréhender avec prudence car la cohabitation avec les agriculteurs dans le monde rural reste parfois difficile.

Au sujet de ces conflits de voisinage, les membres de LIGERIAA auditionnés ont pointé l’ambiguïté des discours politiques et l’absence de stratégie collective en soulignant que ces problématiques de cohabitation révèlent un conflit de vision du monde. Dans ce contexte, ils appellent à ce que les politiques régionales fixent un cap qui rappelle l’importance de l’agriculture et de l’agro-alimentaire sur les territoires et qui puisse faciliter le développement de projets d’intérêt général et les dynamiques collectives.

Dans le document L agriculture de demain en Pays de la Loire (Page 196-200)