• Aucun résultat trouvé

En réalité, en décidant de leur propre cadre de compétence, les collectivités ne décideraient de facto du cadre de compétence de l’État que pour ce qui est des compétences

L’absence d’habilitation constitutionnelle implicite au profit de l’État

56. En réalité, en décidant de leur propre cadre de compétence, les collectivités ne décideraient de facto du cadre de compétence de l’État que pour ce qui est des compétences

56. En réalité, en décidant de leur propre cadre de compétence, les collectivités ne décideraient de facto du cadre de compétence de l’État que pour ce qui est des compétences dont l’État a consenti la décentralisation. Autrement dit, les collectivités infraétatiques en redéfinissant elles-mêmes leur carte ne peuvent pas obtenir la décentralisation d’une compétence non décentralisée par l’État ; elles ne peuvent que modifier l’étendue de la décentralisation de compétences partiellement décentralisées sur le territoire de l’État. En décidant de leur propre cadre de compétence, elles altèrent donc, tout au plus, le cadre dans lequel sont exercées les seules compétences décentralisées. En ce sens, le cadre de la

68

souveraineté de l’État n’est pas affecté puisque des compétences ne peuvent pas lui être arrachées contre son gré.

Au contraire, l’État peut toujours retirer aux collectivités territoriales leurs compétences en vertu de sa souveraineté. Il retrouverait alors le cadre originel dans lequel il exerçait la compétence lorsqu’il ne l’avait pas encore décentralisée. Selon Hans Kelsen, la décentralisation au sens large ne peut être qu’un processus imparfait car il suppose que des normes soient toujours valables pour le territoire de l’État tout entier, malgré la création de collectivités infraétatiques habilitées à créer des normes. L’auteur souligne en effet qu’« il paraît problématique que, dans le cas de pure décentralisation, il puisse encore être question d’un territoire total et d’un ordre juridique. [Si] la décentralisation était poussée à un point tel que coexistent plusieurs collectivités juridiques, plusieurs ordres juridiques, avec des domaines de validité territoriaux indépendants (séparés les uns des autres), sans que – faute d’une quelconque communauté, si lâche soit-elle – ces territoires puissent être considérés comme des parties d’un territoire total, on aurait dépassé la limite extrême au-delà de laquelle on ne peut plus parler de décentralisation. »242 Par définition, la décentralisation, en ce qu’elle est nécessairement imparfaite, respecte la souveraineté de l’État sans laquelle l’État ne saurait retenir des compétences. Aussi la décentralisation reste un processus fragile, réversible. Déterminer librement sa compétence, ce que permet la souveraineté, signifie pour la collectivité souveraine non seulement déterminer les compétences qu’elle n’exercera plus mais également celles qu’elle exercera à nouveau. Par conséquent, si les cadres locaux de compétence délimités par les collectivités ne conviennent pas à l’État pour l’exercice d’une compétence, il lui est juridiquement loisible, en exerçant sa souveraineté, de ne pas décentraliser ladite compétence ou de procéder à sa recentralisation. La compétence d’une collectivité infraétatique ne peut être que précaire. L’État, grâce à sa souveraineté qu’il exerce sur tout son territoire, a finalement le dernier mot quant au cadre de ses compétences si bien qu’il n’a pas besoin d’être titulaire du pouvoir territorial pour protéger sa souveraineté.

57. Quelle que soit sa définition, juridique, organique ou patrimoniale, le territoire de l’État n’est en aucune manière menacé par les réformes de la carte des collectivités territoriales. Il est

69

donc impossible de déduire de l’intégrité du territoire de l’État sa compétence pour exercer le pouvoir territorial à défaut de dispositions constitutionnelles expresses. Cela ne peut pas davantage être déduit de la forme décentralisée de l’État.

§2. Le rejet de la forme décentralisée de l’État

comme fondement implicite à sa compétence

58. En vertu de sa « souveraineté constituante »243, l’organe constituant détermine la forme de l’État. En France, l’article 1er de la Constitution a été réécrit en 2003244 afin de conforter le processus de décentralisation entamé par le législateur245. Il est depuis lors prévu que « l’organisation de la République est décentralisée ». Cette disposition témoigne également de la volonté du constituant de circonscrire ce processus puisque la décentralisation consacrée par le constituant est notamment opposée au fédéralisme. Le constituant, contrairement à une partie de la doctrine, a estimé que le fédéralisme n’était pas un simple degré avancé de décentralisation246. Il semble ainsi insister sur le fait que la décentralisation telle qu’il la conçoit est une force au moins aussi centripète que centrifuge. Aussi la décentralisation pourrait impliquer la compétence exclusive de l’État central pour découper le territoire des collectivités « seulement » décentralisées. Plusieurs exemples paraissent accréditer la thèse selon laquelle la forme de l’État rejaillit sur la compétence de l’État pour réformer la carte des collectivités territoriales (A). Cependant, des contre-exemples démontrent qu’il n’y a pas de nécessité entre la forme de l’État et la compétence pour exercer le pouvoir territorial (B).

243 O. BEAUD, « La souveraineté de l’État, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », loc. cit., p. 1049.

244 Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, JO du 29 mars 2003, p. 5568.

245 Voir R. GARREC, Le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République.

Rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, Sénat, Doc. parl. n° 27, 23 octobre 2002, p. 80.

70

A. Des exemples accréditant la thèse de l’impact de la forme de l’État sur la compétence pour exercer le pouvoir territorial

59. Le caractère fédéral de l’État emporterait la compétence des entités fédérées pour réformer leur carte et, par conséquent, l’incompétence des organes étatiques. Un bien moindre degré de décentralisation emporterait, en revanche, la compétence exclusive de l’État. Ce postulat a permis de dépasser le mutisme de certaines constitutions d’autant qu’il se trouve confirmé par les dispositions d’autres constitutions qui font concorder forme de l’État et compétence de l’État.

60. Ce postulat a notamment permis de dépasser le silence de la Constitution de la