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Les leviers de la rationalisation de l’organisation territoriale de la République

21. Les collectivités territoriales de la République des différents niveaux couvrent ensemble la totalité du territoire habité de la République, qu’elles sont chargées d’administrer aux côtés des services de l’État101. Recourir au concept d’organisation territoriale de l’État a permis à la Cour de comptes de procéder à l’étude de la carte des services déconcentrés et des relations entre les niveaux déconcentrés102. Aussi il est ici fait usage du concept d’organisation territoriale de la République pour examiner la carte des collectivités territoriales et les relations qui se nouent entre les différents niveaux décentralisés.

Le thème de la rationalisation témoigne de la prédominance de la dialectique managériale qui est à l’œuvre depuis plusieurs décennies. La rationalisation consiste en l’« organisation d’une activité, à partir d’une étude scientifique, afin d’adapter efficacement les moyens aux objectifs poursuivis »103. Cette idée a eu d’extraordinaires développements en matière de finances publiques avec la rationalisation des choix budgétaires. Il s’agit de « faire que chaque franc dépensé par l’État le soit à bon escient »104. Selon le dictionnaire, la rationalisation des choix budgétaires correspond à l’« ensemble des procédures de calcul économique utilisées en finance publique pour optimiser les dépenses publiques »105. Or l’organisation territoriale de la République peut être regardée comme la source de dépenses aux performances critiquées. Le rapport Guichard106 et les innombrables rapports qui lui ont succédé sont d’incessantes alertes sur ce point. L’organisation territoriale de la République ne pouvait donc échapper au thème de la rationalisation.

101 Art. 1er, Loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, précitée

102 COUR DES COMPTES, L’organisation territoriale de l’État, op. cit., 294 p.

103 Le Petit Robert, Le Robert, 2013, « rationalisation ».

104 J.-C. GODARD, La rationalisation des choix budgétaires (La méthode R.C.B.), février 1970, p. 5.

105 Le Petit Robert, Le Robert, 2013, « rationalisation ».

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L’organisation territoriale de la République ne permet pas que le territoire des collectivités territoriales soit en rapport avec leur rôle. Le rôle des collectivités territoriales aujourd’hui est effectivement majeur puisqu’il consiste à la fois à définir l’orientation de leurs politiques publiques et à les mettre en œuvre. Avec les évolutions technologiques, certaines échelles sont devenues trop étriquées pour que les politiques publiques mises en œuvre soient efficientes. Rationaliser l’organisation territoriale de la République signifie dès lors trouver sinon retrouver une cohérence entre territoire et rôle des collectivités territoriales. Afin de mettre en cohérence le territoire des collectivités territoriales et leur rôle, la rationalisation de l’organisation territoriale de la République suppose d’adapter le territoire au rôle ou à l’inverse, d’adapter le rôle au territoire. La rationalisation peut alors s’appuyer sur une refonte de la carte des collectivités territoriales (§1) ou sur une réforme de leurs relations (§2).

§1. Rationalisation et refonte de la carte des

collectivités territoriales

22. La refonte de la carte des collectivités territoriales en vue de renforcer la pertinence du territoire des collectivités territoriales tiendrait presque de l’évidence. Dès lors qu’est contestée la pertinence du territoire des collectivités territoriales, il est logique de vouloir le modifier. Jugeant nécessaire une réforme de l’organisation territoriale de la République dans sa conférence de presse du 14 janvier 2014, le Président de la République a aussitôt mis en chantier la réforme de la carte des régions en multipliant les entretiens. Le projet de loi relatif à la délimitation des régions107 esquisse une nouvelle carte régionale par fusions de régions. L’une des pierres angulaires de la rationalisation de l’organisation territoriale de la République voulue par le Président Hollande devrait donc consister en une réforme territoriale. Cela témoigne de ce que la rationalisation de l’organisation territoriale peut, à l’évidence, reposer sur une révision de la carte des collectivités territoriales.

107 Projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le

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L’exiguïté du territoire des collectivités territoriales tient essentiellement au nombre de collectivités territoriales : à chaque échelon, elles seraient trop nombreuses pour que soit garanti à chacune un territoire adapté à leur rôle. De simples modifications des limites territoriales des collectivités territoriales sans réduction du nombre de collectivités territoriales paraissent bien trop insuffisantes108. La suppression de collectivités territoriales permettrait d’attribuer leur territoire à de nouvelles collectivités territoriales ou aux collectivités existantes qui subsisteraient. Après la refonte de la carte des collectivités territoriales, les collectivités territoriales auraient un territoire plus pertinent car plus étendu.

23. Cependant, il n’existe pas d’optimum dimensionnel qui garantirait un exercice rationnel de toutes leurs compétences par l’ensemble des collectivités territoriales. Leurs compétences sont en effet si variées que le découpage d’un territoire qui serait optimal pour toutes les exercer rationnellement est sans doute un « rêve technocratique »109. La critique du territoire des collectivités territoriales a largement souffert de l’absence d’un idéal dimensionnel valable pour toutes les compétences des collectivités territoriales : à quoi bon dénoncer l’imperfection du territoire des collectivités territoriales et réformer leur carte alors qu’elles ne peuvent pas être dotées d’un territoire absolument pertinent ? Alors que telle compétence invite à agir à telle échelle, une autre compétence peut commander d’agir à une échelle plus ou moins vaste. Jean-Marc Offner l’illustre de la sorte : « L’espace fonctionnel d’un réseau d’assainissement n’est pas celui d’un service de transport en commun, qui n’ont eux-mêmes pas grand-chose à voir avec des aires de chalandise »110. Dès lors que les collectivités territoriales sont dotées de

108 En ce sens, voir D. PERBEN, Le projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales.

Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Assemblée nationale, Doc. parl. n° 2516, 14 mai 2010, p. 241 : « Votre rapporteur considère

qu’il n’est pas légitime de soumettre de telles modifications territoriales à une procédure plus souple que celle prévue pour les regroupements de départements ou de régions, alors même qu’elles ne contribuent pas, contrairement à ces derniers, à la rationalisation des structures territoriales. »

109 Y. MÉNY, « L’optimum dimensionnel : rêve technocratique ou absurdité politique ? », Pouvoirs locaux n° 4, mars 1990, p. 90-93. Adde J.-M. OFFNER, « Les territoires de l’action publique locale. Fausses pertinences et jeux d’écarts », loc. cit., p. 27 et s. ; CHR. LEFÈVRE, Gouverner les métropoles, LGDJ, 2009, p. 30 ; C. DEFFIGIER, « Intercommunalité et territorialisation de l’action publique en Europe », RFAP 2007, p. 79.

110 J.-M. OFFNER, « Les territoires de l’action publique locale. Fausses pertinences et jeux d’écarts », loc. cit., p. 34.

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compétences diverses et nombreuses, il faut admettre que leur territoire est condamné à n’être jamais absolument pertinent111.

Une refonte de la carte des collectivités territoriales existantes n’est pas vaine pour autant. Il peut en effet être humblement admis que les collectivités territoriales pourraient être dotées d’un territoire plus pertinent112, à défaut de pouvoir être dotées d’un territoire absolument

pertinent. Ainsi Thouret s’exprimait-il en défendant une nouvelle division territoriale du

royaume : « Le vrai point de décision n’est pas que le plan soit exempt de toute espèce d’inconvénients, mais qu’ils soient moindres que ses avantages, ou moindres que les défectuosités actuelles. »113 Aujourd’hui, les inconvénients tirés de la concurrence entre les collectivités territoriales et de la sous-administration de certaines à cause de leur territoire sont tels qu’il est aisé de proposer des découpages présentant plus d’avantages, à défaut d’être absolument pertinents. L’absence d’optimum dimensionnel ne disqualifie donc nullement le levier de rationalisation de l’organisation territoriale de la République qu’est la révision de la carte des collectivités territoriales. Malgré tout, l’absence d’optimum dimensionnel invite à envisager un autre levier, qui ne porterait pas sur le territoire mais plutôt sur les relations entre les collectivités territoriales.

§2. Rationalisation et réforme des relations entre

les collectivités territoriales

24. Si le territoire des collectivités territoriales n’est plus en rapport avec leur rôle, modifier leur rôle peut aussi permettre de renforcer la pertinence de leur territoire. Or, pour modifier le

111 Voir Y. MÉNY, « L’optimum dimensionnel : rêve technocratique ou absurdité politique ? », loc. cit., p. 91.

112 Voir R. ALLEMAND, « Quels rapports entre structure et territoire ? », in J.-C. NÉMERY (dir.), Quelle nouvelle

réforme pour les collectivités territoriales françaises ?, L’Harmattan, 2010, p. 295 ; R. HERTZOG, « Collectivités territoriales : la réforme sans l’argent, impossible ou indispensable ? », in J.-C. NÉMERY (dir.), Quelle nouvelle

réforme pour les collectivités territoriales françaises ?, op. cit., p. 104. Voir également J.-C. THOENIG, « La décentralisation : dix ans déjà, et après ? », in G. GILBERT et A. DELCAMP (dir), La décentralisation dix ans après,

op. cit., p. 97.

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rôle des collectivités territoriales, il est nécessaire de modifier leurs relations, aujourd’hui fondées sur un principe d’autonomie réciproque114. Le territoire des collectivités territoriales les plus petites pourrait se révéler pertinent si leur action était encadrée par une collectivité de niveau supérieur. Il s’agirait d’opérer un saut d’échelles en faisant en sorte que les collectivités territoriales au territoire le moins pertinent n’exercent leurs compétences que conformément aux orientations définies par les collectivités territoriales d’un niveau géographiquement supérieur, au territoire plus vaste. La hiérarchisation des collectivités territoriales garantirait que l’étroitesse du territoire des collectivités territoriales de niveaux inférieurs ne menace plus la cohérence de l’action publique à une échelle qui les dépasse. En outre, ces relations fondées sur une hiérarchie se sont déjà de fait imposées en raison de la sous-administration de certaines collectivités territoriales, ce qui montre bien que la hiérarchisation est une réponse possible aux difficultés rencontrées par les collectivités à cause de l’étroitesse de leur territoire. En ajustant le rôle des collectivités territoriales des niveaux inférieurs et en le ramenant à la seule mise en œuvre des orientations définies à un niveau supérieur, leur territoire serait plus pertinent. Ce levier se fait de plus en plus présent dans les réflexions portant sur la rationalisation de l’organisation territoriale de la République. À cette fin et selon les vœux formés par le gouvernement de Manuel Valls, la réforme des relations entre les collectivités territoriales devrait ainsi être adossée à la réforme de la carte des régions. En plus de doter les régions d’une taille critique, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République115 prévoit effectivement « le renforcement des responsabilités régionales » en introduisant les prémices de relations hiérarchiques entre les régions et les autres collectivités territoriales. La régulation des relations entre les collectivités territoriales est en somme envisagée comme l’autre pierre angulaire de la réforme de l’organisation territoriale de la République.

25. Le monde politique est acquis à l’idée que les réformes de la carte des collectivités territoriales ou de leurs relations pour mettre en rapport leur territoire et leur rôle participeraient de la rationalisation de l’organisation territoriale de la République. Qui est compétent pour refondre la carte des collectivités territoriales et pour modifier les relations entre les collectivités territoriales est compétent pour rationaliser l’organisation territoriale de la République. Il

114 Voir CONSEIL D’ÉTAT, Études et documents, n° 33, p. 75.

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importe dès lors de déterminer dans quelle mesure l’État peut actionner ces deux leviers de rationalisation à droit constitutionnel constant.

Section 4.

La problématique de la compétence de l’État pour rationaliser