Les mécanismes réactionnels faisant intervenir un ou plusieurs états excités
sont communs dans la chimie luminescente. Les réactions de chimiluminescence
et bioluminescence sont par définition des réactions faisant intervenir les états
excités. En effet, l’état excité émetteur est obtenu suite à une réaction chimique.
De nombreuses molécules photoluminescences émettent suite à une cascade de
réactions chimiques dans les états excités, le passage d’un état singulet à un état
triplet étant un exemple concret (voir Figure 5.1).
La difficulté de la réactivité dans les états excités est double. Dans un premier
temps, il faut considérer une surface d’énergie potentielle pour chaque état
électro-nique inclus dans le mécanisme réactionnel. Il est alors beaucoup plus compliqué et
long d’obtenir un scan détaillé de toutes ces surfaces, réduisant la précision quand
au mécanisme réactionnel. Dans un second temps comme on tient compte de
plu-sieurs états électroniques il existe des intersections permettant de passer de l’un à
l’autre. Outre le fait que ces intersections sont très difficiles à représenter et à étudier,
connaître les probabilités de passages d’un état à l’autre est un facteur clef afin de
comprendre ces mécanismes. Certaines réactions photochimiques possèdent 4 ou
5 intersections donnant des produits finaux complètement différents ; estimer le
chemin réactionnel emprunté devient alors une tâche ardue.
Ainsi deux états électroniques peuvent être dégénérés à certains endroits de la
surface d’énergie potentielle. On appelle une intersection conique ce croisement
entre deux états de même spin. Parmi les mécanismes photoluminescents, la
pré-sence d’une intersection conique accroit la possibilité d’une transition non radiative
et donc une perte d’émission de lumière. Cependant le passage d’un état excité par
une intersection conique peut conduire à un nouveau produit de réaction.
Dans les réactions chimiluminescentes et bioluminescentes, la présence d’une
intersection conique permet d’atteindre le premier état excité et permet au système
d’accéder à l’état électronique responsable de l’émission de lumière.
C
HAPITRE5 : M
ODÉLISER DES CHEMINS RÉACTIONNELSFIGURE 5.1 – Schéma des principales réactions photochimiques sur une surface
d’énergie potentielle.
Deuxième partie
La luminescence
Chapitre 6
Les différentes sortes de luminescence
La luminescence est un mécanisme physique donnant lieu à une émission de
lumière. Cette émission correspond à la perte d’énergie ou désexcitation d’un état
électronique dit excité vers un état de plus basse énergie. L’énergie est libérée sous
forme d’un photon lumineux avec une longueur d’onde d’émission correspondant à
la différence d’énergie entre les deux états électroniques considérés.
La luminescence s’oppose à l’incandescence où l’émission de lumière provient
du chauffage du système.
La première étape du mécanisme de la luminescence permet l’excitation du
système c’est à dire que le système gagne suffisamment d’énergie afin d’atteindre un
état dit excité. Il existe différentes façons d’exciter le système selon la source initiale
d’énergie. Ainsi on peut parler de :
- Mécanoluminescence : l’état excité est obtenu par action mécanique sur un
solide. On peut citer comme exemple la piézoluminescence ou la sonoluminescence.
Ce type de luminescence peut également se retrouver chez des espèces vivantes
comme la crevette pistolet. Cette crevette chasse on faisant imploser des bulles
formées par la fermeture rapide de sa pince. L’effondrement de cette bulle, à des
conditions de pression et de température extrêmes produit des flashs de lumière
peu intense et invisible à l’œil nu. En conséquence ce type de mécanoluminescence
à été nommé shrimpoluminescence80.
- Electroluminescence : l’état excité est obtenu suite au passage d’un courant
électrique ou en la présence d’un champ électrique fort. L’électroluminescence est
fortement implantée dans notre vie quotidienne, les LEDs (diodes
électrolumines-centes)81présentes dans les appareils électroniques utilisent ce type de mécanisme
ainsi que certains types de laser ou de solides semi-conducteurs.
- Photoluminescence : l’état excité est obtenu suite à l’absorption d’un photon.
Il existe deux types de photoluminescence, la fluorescence et la phosphorescence.
La fluorescence est très utilisée dans le domaine médical comme dans le cas des
fluorophores. La phosphorescence est quand à elle utilisée comme émission de
lumière retardée dans des peintures ou objets. Les OLED (diode électroluminescente
organique)82 émettent le plus souvent par phosphorescence. Ces deux types de
photoluminescences seront étudiés en détails ci-après.
- Chimiluminescence : l’état excité est obtenu suite à une réaction chimique.
Il existe peu de molécules dites chimiluminescentes, notons cependant comme
exemple le luminol (dans les tubes lumineux) et les 2-coumaranones.
- Bioluminescence : l’état excité est obtenu suite à une réaction chimique dans
un site catalytique d’une espèce vivante. De nombreux organismes vivants utilisent
la bioluminescence comme moyen de défense, de communication, attraction... La
bioluminescence est également utilisée dans le domaine biomédical. La
biolumi-nescence sera étudiée plus en détails dans une section suivante.
Dans le reste de ce chapitre, on va approfondir les mécanismes de luminescence
utilisés dans cette thèse. On détaillera aussi certains outils employés en chimie
théo-rique afin de modéliser ces luminescences.
6.1 La photoluminescence
Comme indiqué dans la partie précédente la photoluminescence est la branche
de la luminescence où l’obtention de l’état excité se fait par absorption d’un photon,
c’est à dire d’un rayonnement lumineux possédant une énergie définie. Lors du
pro-cessus d’émission, la perte d’énergie peut se faire selon deux propro-cessus différents, un
processus radiatif et un processus non-radiatif. Le diagramme de Perrin-Jablonski
permet d’avoir un point de vue global sur ces deux processus.
Dans ce diagramme (voir figure 6.11), l’état fondamental du système est noté S0,
les états excités singulets Sn et les états excités triplet Tn. En outre, chaque état
élec-tronique du système est composé de niveaux vibrationnels qui participent aux
pro-cessus radiatifs. Lors de l’absorption d’un photon d’énergiehν, un électron va être
promu vers un des niveaux vibrationnels de l’un des états excités singulets. L’énergie
du photon absorbée doit être au minimum égale à la différence d’énergie entre l’état
fondamental et l’état excité. On dit d’une transition qu’elle est verticale si celle est
suffisamment rapide pour qu’il n’y est pas de réorganisation des noyaux du système
excité. On considère également que lors de cette transition verticale il n’y a pas de
réorganisation de l’environnement lié au système.
Puis, dans un second temps, le système excité va perdre de l’énergie de telle sorte
à repeupler l’état fondamental S0. L’énergie peut être perdue sous forme de chaleur
comme dans le cas de la relaxation vibrationnelle ou de la conversion interne (CI).
Ces deux relaxations appartiennent aux processus non-radiatif. La relaxation
vibra-tionnelle permet au système de se relaxer afin de retourner à l’état vibrationnel le
1. 1. Figure adaptée de celle créée par Germain Salvato-Vallverdu dont le code source est
dispo-nible à l’adresse http ://www.texample.net/tikz/examples/the-perrin-jablonski-diagram/
C
HAPITRE6 : L
ES DIFFÉRENTES SORTES DE LUMINESCENCEEtat Fondamental S0
T1
S1
S2
A
bs
o
rpt
io
n
Flu
o
res
cenc
e
P
ho
sph
o
resc
ence
CI
CI
CIS
CIS
R
V
R
V
R
V
R
V
L´egende
CI
Conversion Interne, Si −→Sj transition non radiative.
CIS
Croisement Inter-syst`eme, Si −→Tj transition non radiative.
RV
Relaxation Vibrationnelle.
Figure 6.1 – Le diagramme de Perrin-Jablonski.
plus bas en énergie de l’état électronique considéré. La conversion interne permet
la transition entre deux états électroniques de même spin vers l’état le plus bas en
énergie.
Le processus radiatif se traduit par l’émission d’un photon lors de la
désexcita-tion. Si l’émission de ce photon a lieu suite à une perte d’énergie entre deux états
singulets on parle de fluorescence. L’émission peut également avoir lieu entre un
état triplet et l’état fondamental singulet, c’est la phosphorescence. Cette dernière
est possible grâce au croisement inter-système (CIS) permettant la transition d’un
électron entre deux états de multiplicité de spins différents (dans notre cas singulet
et triplet). Comme dans le cas de l’absorption, la fluorescence et la phosphorescence
sont assimilées à des transitions verticales.
Outre le spin de l’état électrique de départ, il est possible de discriminer la
fluo-rescence de la phosphofluo-rescence selon le temps de vie de l’état excité. En effet, la
fluorescence est un phénomène rapide de l’ordre de la nanoseconde alors que le
temps de vie de la phosphorescence est de l’ordre de la seconde.
Dans la majorité des molécules organiques, la fluorescence et la
phosphores-cence ont lieu entre le 1er état excité, respectivement S1 ou T1 et l’état fondamental
S0. Il est également important de noter que ces deux processus radiatifs sont en
concurrence avec la conversion interne pour la transition entre S1 et S0. On définit
alors la notion de rendement quantique, noté Φ, correspondant au nombre de
photons émis sur le nombre de photons absorbés par le système. Il est alors possible
de rendre compte de l’efficacité des processus radiatifs en calculant ce rendement
quantique.
Les molécules pouvant émettre des photons par photoluminescence sont
appe-lées chromophores. Dans les chromophores on s’intéresse plus particulièrement à
deux orbitales moléculaires, l’orbitale moléculaire la plus haute occupée (HOMO) et
l’orbitale moléculaire la plus basse vacante (LUMO). En effet, la transition entre les
états électroniques S1 et S0 est majoritairement issue d’une transition entre la HOMO
et la LUMO. Dans le cas des molécules organiques, la présence d’une alternance
de simple et doubles liaisons (molécule conjuguée) permet d’expliquer l’absorption
puis l’émission de photons dans le visible. Cette conjugaison se traduit par une
délo-calisation des électronsπsur l’ensemble des atomes participant à cette conjugaison.
La HOMO et la LUMO sont alors majoritairement constituées d’orbitales
orthogo-nales au plan moyen de la molécule et localisées sur différentes parties du système.
La notion de transfert de charge correspond au déplacement de la densité
électro-nique entre la HOMO et la LUMO. Ce transfert de charge est nécessaire afin de
pou-voir émettre dans le visible, plus celui-ci est important plus l’émission est déplacée
vers les longueurs d’ondes rouges. Enfin, selon les atomes appartenant à la HOMO
ou la LUMO et la nature de la transition électronique, la photoluminescence peut
induire des transformations chimiques comme par exemple des isomérisations.
Plusieurs facteurs peuvent modifier l’écart énergétique et ainsi la longueur
d’onde d’émission. Par exemple, la présence de groupements auxochromes permet
de stabiliser ou déstabiliser les deux orbitales frontières HOMO et LUMO. Ces
grou-pements sont dits électroaccepteurs si ils induisent un déplacement de la densité
électronique dans leur direction comme pour le groupement carbonyle C=O. Les
groupements électrodonneurs induisent quand à eux un déplacement de la densité
électronique vers les autres atomes de la molécule participant à la conjugaison.
Le deuxième facteur prépondérant dans la modification de la longueur d’onde
d’émission fait intervenir l’environnement extérieur de la molécule. La présence
d’un solvant, plus ou moins polaire ou d’autres molécules (protéines, chimie
hôte-invité) permet également le déplacement de la longueur d’onde d’émission.
Il est alors primordial de décrire précisément ces effets environnementaux afin
de bien reproduire le phénomène de photoluminescence. La prise en compte de
C
HAPITRE6 : L
ES DIFFÉRENTES SORTES DE LUMINESCENCEl’environnement dans le calcul des énergies des états électroniques a été développée
dans le chapitre 4.
Enfin, on appelle un déplacement hypsochrome quand l’écart énergétique entre
la HOMO et la LUMO augmente (la HOMO est stabilisée et/ou la LUMO est
désta-bilisée) et un déplacement bathochrome quand ce dernier diminue (la HOMO est
déstabilisée et/ou la LUMO est stabilisée).
Dans le document
Etude QM/MM de systèmes bioluminescents
(Page 60-69)