L’étude de mutations ponctuelles dans la protéine est l’un des outils les plus
efficaces afin de comprendre le fonctionnement d’un système. En outre, l’étude de
ces mutations de façon théorique (in silico) ou expérimental est relativement simple
et permet de confirmer et d’améliorer la modélisation du système. Dans ce contexte,
nous allons ici nous intéresser aux différences de séquence entre les deux structures
cristallographiques obtenues par les expérimentateurs d’Abu Dhabi, à savoir GBAv
qui provient de la luciole Amydetes viviani avec une émission dans le bleu-vert et
REPhqui provient de la larve du coléoptèrePhrixothrix hirtuset émet dans le rouge.
Plus précisément on va modéliser les différences en terme de résidus entre ces deux
protéines. On considère trois mutations ponctuelles correspondant au passage entre
GBAv et REPh: deux mutations proches du site actif et une insertion d’un résidu dans
une boucle. En détails, les mutations sont l’arginine 332 en leucine, la leucine 346 en
isoleucine et l’insertion d’une arginine en position 351 (voir figure 10.13). Toutes les
FIGURE10.13 – Structure du site actif dans la GBAv-B+OxyLH2-closed avec les
princi-paux résidus importants dans l’étude des mutations.
numérotations correspondent à la séquence de GBAv. Le but de ces mutations est de
reproduire le déplacement vers le rouge de l’émission observée chez REPh. Afin de
réaliser ces mutations nous allons nous servir du modèle GBAv-B+OxyLH2-closed
précédent, celui-ci reproduisant au mieux les valeurs expérimentales d’émission de
Amydetes viviani.
Pour chacune des deux mutations R332L et I346L dans GBAv, une MD de 10 ns a
été réalisée afin d’équilibrer le système. En outre, une MD de 30 ns a été faite en vue
de bien reproduire le mouvement de la boucle lors de l’insertion de l’arginine 351
dans GBAv. Chaque mutation est étudiée séparément en détail dans les paragraphes
suivants.
10.2.6.1 R332L
La mutation R332L, soit l’arginine 332 en leucine change un résidu polaire chargé
en résidu apolaire et modifie l’interaction électrostatique exercée par ce résidu. Ce
résidu est situé du côté du cycle benzothiazole (voir figure 10.13) et participe souvent
au réseau de liaisons hydrogène avec l’oxyluciférine par l’intermédiaire d’une
molé-cule d’eau. Durant la MD réalisée, on voit un léger mouvement de l’oxyluciférine en
direction du C-terminal. Lors de cette MD, on observe également le mouvement de
l’arginine 213.
C
HAPITRE10 : M
ODÉLISATION ET COMPRÉHENSION DE NOUVELLES LUCIFÉRASESFIGURE10.14 – Structure du site actif dans la GBAv-B+OxyLH2-closed-R332L. L’image
représentée est la (2) et est issue du tableau 10.5.
Tableau 10.5 – Transitions électroniques entre S1 and S0 (Te) obtenues en QM/MM
sur la structure GBAv-B+OxyLH2-closed-R332L. Les numéros entre parenthèses
cor-respondent au numéro de l’imageextraite de la MD. La valeur obtenue selon le même
procédé pour le modèle GBAv-B+OxyLH2-closed est donnée pour comparaison.
TD-DFT/MM avec une base 6-311G(2d,p) sur un structure optimisée dans l’état S1 avec
la même fonctionnelle. La valeur de Tv ace pour chaque structure est donnée ainsi que
la valeur expérimentale issue de la référence17.
Modèle B3LYP SP in vacuo Tev ac Exp.
eV (nm) eV (nm) eV (nm)
GBAv-B+OxyLH2-closed-R332L (1) 2.18 (568) 2.14 (577)
2.3 (538)
GBAv-B+OxyLH2-closed-R332L (2) 2.15 (577) 2.22 (559)
GBAv-B+OxyLH2-closed-R332L (3) 2.22 (557) Erreur
GBAv-B+OxyLH2-closed-R332L (4) 2.21 (561) Erreur
GBAv-B+OxyLH2-closed (1) 2.32 (535) 2.25 (551)
Tableau 10.6 – Transitions électroniques entre S1 and S0 (Te) obtenues en QM/MM
sur la structure GBAv-B+OxyLH2-closed-I346L. Les numéros entre parenthèses
cor-respondent au numéro de l’imageextraite de la MD. La valeur obtenue selon le même
procédé pour le modèle GBAv-B+OxyLH2-closed est donnée pour comparaison.
TD-DFT/MM avec une base 6-311G(2d,p) sur un structure optimisée dans l’état S1 avec
la même fonctionnelle. La valeur de Tev acpour chaque structure est donnée ainsi que
la valeur expérimentale issue de la référence17.
Modèle B3LYP SP in vacuo Tev ac Exp.
eV (nm) eV (nm) eV (nm)
GBAv-B+OxyLH2-closed-I346L (1) 2.35 (528) 2.25 (550)
2.3 (538)
GBAv-B+OxyLH2-closed-I346L (2) 2.40 (516) Erreur
GBAv-B+OxyLH2-closed-I346L (3) 2.40 (517) 2.22 (557)
GBAv-B+OxyLH2-closed-I346L (4) 2.33 (531) Erreur
GBAv-B+OxyLH2-closed (1) 2.32 (535) 2.25 (551)
Avant la mutation R332L, l’arginine 213 interagit aussi avec l’oxyluciférine mais
est souvent située dans la deuxième sphère de solvatation de l’oxyluciférine. Suite à
la mutation R332L, l’arginine 213 passe dans la 1èr e sphère de solvatation (voir figure
10.14). Comme attendu, la mutation de l’arginine 332 affecte de façon importante
la valeur de la longueur d’onde d’émission (voir tableau 10.5). Ainsi on observe un
déplacement vers le rouge de l’émission avec une longueur d’onde d’émission
com-prise entre 557 nm et 577 nm. Le nombre de liaisons hydrogène formées entre
l’oxy-luciférine et l’environnement protéique est similaire à celui dans GBAv-B+OxyLH2
-closed, soit entre 4 et 6. On remarque cependant que certains calculs sont plus
diffi-ciles à converger notamment lorsqu’on cherche à obtenir la valeur du Tv ace , montrant
que la géométrie substrat est instable sans la présence de la protéine. Une MD de 10
ns n’est sans doute pas assez longue pour équilibrer totalement le système.
10.2.6.2 I346L
La mutation I346 change une isoleucine en leucine. Plus précisément, cela
cor-respond à bouger un groupement méthyl CH3 de place, du carbone Cγ au Cβ. Ce
résidu est également dans le site actif avec le groupement CH3pointé vers le cycle
benzothiazole (voir figure 10.13). Cette mutation impacte exclusivement
l’environne-ment géométrique autour du résidu. En effet, les valeurs de l’émission calculées sur
plusieursimagesmontrent peu ou pas de différences avec les valeurs obtenues avec
GBAv-B+OxyLH2-closed (voir tableau 10.6). Notons cependant que pour certains
cal-culs la valeur du Tev acn’est pas accessible. En outre, le nombre de liaisons hydrogène
formées avec l’oxyluciférine est plus faible que pour GBAv-B+OxyLH2-closed,
envi-ron 4-6 pour ce dernier contre 2-3 pour la modèle GBAv-B-closed-I346L.
10.2.6.3 Insertion de R351
On étudie ici l’insertion d’un résidu dans la chaîne polypeptidique. Dans notre
cas on ajoute une arginine à l’emplacement 351 qui correspond au milieu d’une
C
HAPITRE10 : M
ODÉLISATION ET COMPRÉHENSION DE NOUVELLES LUCIFÉRASESTableau 10.7 – Transitions électroniques entre S1 and S0 (Te) obtenues en QM/MM
sur la structure GBAv-B+OxyLH2-closed-insert-R351. Les numéros entre parenthèses
correspondent au numéro de l’imageextraite de la MD. La valeur obtenue selon le
même procédé pour le modèle GBAv-B+OxyLH2-closed est donnée pour
comparai-son. TD-DFT/MM avec une base 6-311G(2d,p) sur un structure optimisée dans l’état
S1 avec la même fonctionnelle. La valeur de Tev ac pour chaque structure est donnée
ainsi que la valeur expérimentale issue de la référence17.
Modèle B3LYP SP in vacuo Tev ac Exp.
eV (nm) eV (nm) eV (nm)
GBAv-B+OxyLH2-closed-insert-R351 (1) 2.25 (550) 2.18 (567)
2.3 (538)
GBAv-B+OxyLH2-closed-insert-R351 (2) 2.25 (550) 2.21 (561)
GBAv-B+OxyLH2-closed-insert-R351 (3) 2.23 (553) 2.21 (560)
GBAv-B+OxyLH2-closed (1) 2.32 (535) 2.25 (551)
structure secondaire de type boucle. L’ajout de ce résidu chargé, polaire et surtout
très encombrant stériquement risque de déformer la conformation de la protéine.
Une MD de 30 ns a alors été réalisée. L’intérêt de l’ajout de ce résidu est de voir s’il est
possible de reproduire le comportement adopté dans REPh. La présence de ce résidu
dans la boucle de REPhforce la protéine a adopter une conformation très singulière.
La boucle possédant l’arginine semble se détacher des autres boucles de la protéine
et "pendre", seulement stabilisée par le solvant environnant.
Lors de cette dynamique, le mouvement de cette boucle n’est pas observée, la
conformation de cette dernière restant collée à la protéine. Les calculs de la valeur
du Te montre un déplacement vers le rouge de l’émission (voir tableau 10.7) bien
que celles-ci soit moins importantes que dans le cas de R332L. Il est néanmoins
né-cessaire de tempérer ces valeurs. En effet, le conformation de la structure secondaire
possédant cette boucle est différente de celle observées chez REPh. Les valeurs de Te
calculées ne nous permettent pas de conclure sur le rôle du résidu R351 chez REPh.
L’étude de ces trois mutations donnent des résultats cohérents. La mutation d’un
résidu polaire en résidu apolaire influence l’environnement électrostatique de la
pro-téine alors que la mutation d’un résidu apolaire en résidu apolaire de même taille n’a
pas d’influence sur le substrat. On peut alors expliquer en partie le déplacement vers
le rouge de REPhpar la mutation R322L.
Les MD concernant l’insertion d’un résidu dans la protéine sont cependant assez
décevantes. Malgré un temps de dynamique assez long, aucune différence n’est
ob-servée dans la conformation des boucles possédant les résidus mutés. On voit ici une
limite des calculs théoriques dans les protéines, la difficulté de prédire des
compor-tements influençant directement la conformation de la protéine.
Concernant l’insertion du résidu R351, une étude plus approfondie de la protéine
REPhmontre qu’une seconde mutation, proche du résidu inséré, la E354N permet la
création d’une liaison hydrogène entre le résidu 351 et le résidu 354. Cette liaison
faible n’est pas du tout observée lors de la MD. Une perspective est donc de tester
l’influence de la double mutation sur la conformation de la boucle et sur la valeur de
la longueur d’onde d’émission de la bioluminescence.
Dans le document
Etude QM/MM de systèmes bioluminescents
(Page 129-134)