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Quitter le périurbain dépendant de l’automobile sans renoncer pour autant à la voiture et à ses coûts

dépendance automobile : un choix moins définitif

3. Quitter le périurbain dépendant de l’automobile ou le signe plus profond d’un désenchantement du « tout

3.3. Quitter le périurbain dépendant de l’automobile sans renoncer pour autant à la voiture et à ses coûts

Au-delà du gain réalisé en termes de logement et de sa localisation, qu’en est-il en termes de déplacements ? Si ces derniers sont facilités, sont-ils nécessairement moins coûteux ? Assiste-t-on à un renoncement à l’automobile ? Précisons que les considérations ci-dessous sont indépendantes de tout statut d’occupation du logement.

De fait, les réponses en la matière ne sont pas tranchées. Si on regarde en détail les ménages du chantier 2, ils déclarent pour beaucoup avoir économisé sur le coût du carburant même s’ils reconnaissent également avoir du mal à faire des comparaisons selon l’ancienneté de la localisation périurbaine dépendante de l’automobile. Ils font le plein moins souvent, utilisent plus souvent les transports collectifs de manière exclusive. De même, leurs territoires quotidiens d’activités se sont logiquement réduits. Toutefois, si réduction il y a, le renoncement à l’automobile reste partiel. Tous ceux qui en avaient une auparavant l’ont conservée et continuent à l’utiliser. Pour certains comme Samia ou le mari de Sylvie ou le compagnon de Christelle, ils l’utilisent même au quotidien, pour se rendre à leur travail, notamment quand ce dernier implique des lieux de travail variables. Ensuite, la voiture reste essentielle aux yeux des ménages pour l’approvisionnement hebdomadaire comme en témoigne Nelly. Si cette dernière devait systématiquement prendre sa voiture pour faire ses courses lorsqu’elle résidait à Sainte-Colombe, elle continue à l’utiliser encore aujourd’hui : « Bah, j’ai les petits magasins autour mais pour les plus grosses courses c’est en voiture aussi, c’est Leclerc Vitry ou Carrefour Ivry, je l’ai déjà fait à pied pour des bricoles mais c’est souvent en voiture ». La voiture reste le mode déplacement privilégié pour porter des charges lourdes et volumineuses. Elle permet aussi l’accès à des modes d’approvisionnement perçus comme moins coûteux par rapport aux petits commerces locaux. Offre plus en phase avec leurs revenus, les ménages modestes issus du périurbain dépendant de l’automobile continuent alors à utiliser leur voiture pour effectuer leurs

courses.

La voiture reste l’instrument privilégié de la grande distance et la réduction des déplacements hebdomadaires se traduit souvent par des déplacements plus importants le week-end. Moins fatigués par des déplacements hebdomadaires, des déplacements plus liés aux loisirs sont alors envisageables. De plus, pour les ménages dont une partie du réseau est toujours localisé dans les territoires qu’ils ont quittés, la voiture est incontournable pour entretenir ces liens familiaux et amicaux.

« A l’époque, l’essence était moins cher. Quand je mets en euro, à l’époque, on payait moins d’un euro. Là on est passé à 1,50€. Donc c’était un peu différent […] C’est plus difficile à comparer […] Ça me faisait un gros budget essence à l’époque. Puisque maintenant, bon, paradoxalement, j’ai un abonnement pour le bus et j’utilise quand même la voiture. Je viens en voiture deux fois par semaine parce que le mercredi j’emmène mon fils au centre de loisirs. Donc là j’utilise la voiture parce que c’est un peu excentré ». Christine, 44 ans, secrétaire médicale, divorcée, 2 enfants (14 et 9 ans), vit à Dijon (location privée), a vécu jusqu’en 2004 à Francheville (toujours propriétaire avec son mari).

« Tous les week-ends on est en campagne de toutes façons, chez des amis. […] D’une manière générale, on n’est jamais chez nous les week-ends. Parce que la famille habite loin alors on va les voir. Parce que les amis ont aussi déménagé loin. Ça peut faire Sologne, Paris, Bretagne, Grenoble, Chambéry… Bordeaux…. On n’est jamais là. Après nos amis qui sont en campagne à côté de nous, ben pareil, on est tout le temps chez eux l’été. L’hiver ils viennent ici et nous l’été on va chez eux. » Séverine P., 31 ans, assistante de direction à Fontaine-lès-Dijon, mariée, 1 fils de 2 an et demi, vit à Dijon (propriétaire) depuis 2005, a vécu à Gemeaux (location privée) jusqu’en 2004.

« D’UN POINT DE VUE FINANCIER, LE DEMENAGEMENT ?

C’est pareil [elle réfléchit], je dirais que c’est pareil. Ici je paye 400 avec les aides, et là-bas je payais à peu près pareil parce que c’était plus petit à St Colombe, c’était un deux pièces mais comme on avait deux salaires, que là je suis toute seule mais j’ai les aides donc ça compense. ET APRES SUR LES AUTRES DEPENSES ?

Bah là-bas, y avait plus de dépenses voitures, c’était au moins un plein, peut-être pas pour la semaine mais presque que ici c’est un plein pour 15 jours. A Part quand je descends évidemment pour le week-end là-bas, mais logiquement, un plein me fait plus longtemps ici car j’ai plus de transport. Je me sers moins de la voiture que là-bas non. C’est toujours la voiture car les trains il y en a pas beaucoup euh. » Nelly, 26 ans, secrétaire en intérim, célibataire, 1 fils de 14 mois, vit à Ivry-sur-Seine (HLM) depuis 2010, a vécu à Sainte-Colombe (location privée) de 2005 à 2008.

Les territoires périurbains entre dépendance automobile et ségrégation sociospatiale

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truc, c’est que…. et euh… c’est… par mois, je dirais… par mois... Ben, disons que ça va tout contrebalancer, parce que du coup, je ne fais plus de petites distances au quotidien, donc, du coup ça… ça a contrebalancé, je dirais que c’est… oui… c’est 150, 200 €.

PAR MOIS ?

Oui, parce qu’en fait, c’est plus des longues distances. Avant, les… les petites distances quotidiennes me fatiguaient, donc du coup, je ne faisais pas des longues distances. Mais étant donné que je prends les transports, je me dis, bon, je me fais plaisir de l’autre côté puisque je ne fais pas tous les petits trajets aux quotidiens, quoi.

TOUT CONFONDU, LE BUDGET VOITURE, IL EST PLUS ELEVE MAINTENANT ?

C’est plus élevé. C’est plus élevé, oui. C’est dû 500, 550 €, voilà. Avec… parce que vous ne m’avez pas dit les remboursements et tout ça, du coup, j’englobe ça et voilà. » Redouane , 27 ans, gardien de la paix à Paris (13e), célibataire, sans enfant, vit à Paris (HLM) depuis 2008, a vécy à Maincy (location privée) de 2005 à 2008.

Pour toutes ces raisons (non exhaustives), si le budget déplacement tend à diminuer au quotidien, la diminution n’est pas toujours drastique. Dans plusieurs cas, ce budget peut même augmenter : Redouane, qui a réduit ses navettes, a acheté une grosse cylindrée qui lui coûte cher (crédit, assurance, consommation, etc.). Tous ces exemples montrent que, si les ménages modestes vivent dans des territoires moins dépendants de l’automobile, moins coûteux au quotidien du point de vue de la mobilité, ces derniers ne renoncent pas définitivement à la voiture et conservent donc une partie des coûts fixes qui y sont associés : achat, assurances, une part incompressible de carburant, etc. La réduction des distances peut même provoquer un accroissement de la mobilité autonome en ayant recours à d’autres modes individuels motorisés comme les deux-roues (moto, scooter). Dans ce cas, les ménages ne renoncent pas à une mobilité autonome en changeant de territoires, ils renoncent juste à une voiture, pour éviter la congestion ou contourner l’absence de permis de conduire par exemple. Là encore, le calcul économique sur les gains d’une localisation moins dépendante n’est alors pas évident à réaliser.

Enfin, si les ménages modestes perdent en pénibilité de déplacement, ils ont aussi plus d’opportunités pour sortir qu’ils n’avaient auparavant, ce qui n’est pas sans conséquence sur leurs dépenses dans d’autres postes que la mobilité. Plusieurs l’ont constaté telles Christine ou Laurence B. Certes plus locales, les activités et donc les déplacements n’en sont pas moins nombreux. L’effet de substitution peut donc avoir des conséquences négatives sur le niveau de vie des ménages et amènent à reconsidérer l’avantage économique d’une relocalisation vers plus d’urbanité des ménages modestes. Ce qu’ils gagnent d’un côté, ils peuvent être amenés à le perdre de l’autre sans pourtant renoncer à des déplacements automobiles ou motorisés individuels.

En somme, en termes de déplacements, quitter le périurbain dépendant de l’automobile ne s’accompagne pas nécessairement d’un renoncement à l’automobile mais plutôt à un abandon du tout-automobile. Pour les ménages modestes, ce choix revient à accroître les opportunités d’alternatives modales à la voiture sans pour autant renoncer à un instrument qu’ils peuvent considérer comme étant indispensable et chargé d’un pouvoir symbolique. On pensera notamment à

Redouane qui s’est acheté une grosse cylindrée. Toutefois, en cas d’aléas (panne, accident, coûts divers), les ménages rencontrés et leurs membres (parents et enfants) ne se retrouveront pas ou plus prisonniers d’un territoire dont ils ne peuvent s’échapper.

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En somme, pour les ménages ayant quitté des territoires périurbains dépendants de l’automobile au profit de territoires moins dépendants, nous pouvons noter que plusieurs effet jouent dans le choix d’une relocalisation moins dépendante :

Un effet HLM. La possibilité d’avoir un logement inférieur au prix du marché est un facteur déclencheur du départ de ces ménages de territoires dépendants de l’automobile,

Un effet de statut matrimonial et de cycle de vie. Les motifs associés conduisent à quitter le périurbain (célibataire et divorcé, orientation sexuelle, jeunes couples ayant des activités de jeunes sans enfants plus facile en ville).

Un effet d’hétérogamie résidentielle et de discordance des cultures habitants au sein des couples. Ces différences peuvent être un facteur de séparation, mais surtout impliquent ensuite une relocalisation vers l’urbain du plus citadin des deux.

Un effet de culture habitante de la centralité (Paris, Petites couronne ou pole important de grande banlieues) qui joue à plein pour quitter une localisation résidentielle périurbaine dépendante qui est parfois le fruit du hasard ou d’une circonstance spécifique (centre de formation en lointaine banlieue).

Pour l’essentiel des enquêtés du chantier 2, un vécu négatif de la dépendance automobile dans le périurbain lointain a incontestablement joué dans leur décision de déménager vers plus de centralité et d’urbanité. Cependant, si la dépendance automobile est un facteur jouant à plein, la condition est nécessaire mais non suffisante. Pour qu’il y ait départ, il faut : une opportunité attrayante de logement, une absence de réseau périurbain et un réseau urbain, un conjoint de culture habitante citadine ou urbaine, une culture habitante d’Ego citadine ou urbaine, un statut matrimonial ou une situation affective qui pousse à s’orienter vers la ville (célibataire, divorcée, homo…), etc.

Si les natifs du périurbain (ou assimilés) aspirent à vivre dans des espaces plus centraux et moins dépendants et sont plus conscients que les autres de la dépendance à l’automobile, leur localisation actuelle correspond aussi à une phase de leur cycle de vie plus favorable à la vie citadine. Cependant, leur culture habitante et leur socialisation primaire à la dépendance automobile sont susceptibles de jouer en faveur d’un retour vers le périurbain (peut-être pas aussi dépendant) à terme. Beaucoup ne sont pas dans le rejet du modèle d’habiter périurbain et la géographie du marché immobilier les incitera à cette démarche pour accéder à leur tour à la propriété pavillonnaire.

Enfin, du point de vue des ressources économiques des enquêtés, si une relocalisation plus urbaine permet à coup sûr de réduire la pénibilité des déplacements et souvent les frais de carburant ou le nombre de voiture, elle ne se traduit pas toujours, si l’on considère l’ensemble du budget du ménage, par une amélioration du niveau de vie (commerces plus chers, plus de tentations notamment pour sortir et se divertir, parfois dépenses automobiles constante, voire plus élevées). Par ailleurs, malgré des opportunités de logements sociaux, la plus grande centralité implique des logements parfois exigus (surpopulation et/ou encombrement excessif du logement).

Partie 3 : La construction socio-spatiale

de la dépendance automobile ?

Comparaisons entre l’aire urbaine