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Rapports aux lieux, mondialisation et privilèges : questions et enjeux

1. Questionner la reconfiguration des rapports aux lieux par les mobilités

Ce travail de thèse propose d’interroger la dimension spatiale des phénomènes de mobilités que sont le backpacking et l’hivernage en regardant les enjeux de relations de pouvoir à l’échelle mondiale par le prisme des reconfigurations des rapports aux

1 Dans la continuité de C. Ghorra-Gobin et M. Reghezza-Zitt (2016), on considère la mondialisation comme l’émergence d’un espace social planétaire, se manifestant notamment par une mise en réseau du monde. La globalisation, terme souvent utilisé par les anglophones selon Wagner (2007) renvoie davantage à la transformation du capitalisme, notamment par la financiarisation.

lieux. Cette section situe l’approche géographique dans le cadre du champ émergent des privileged migrations, développe l’intérêt de cette entrée par l’espace pour approfondir la question des territoires en réseaux, et clarifie les clés de lectures qui sont mobilisées dans le cadre de l’analyse du rapport aux lieux des backpackers et des hivernants.

1.1. Approfondir une approche géographique des

privileged

mobilities

Les travaux sur les mobilités internationales remettent en question des concepts centraux de la géographie : le lieu, le territoire, la frontière, etc. Les mobilités ne sont ni « tout terrain », ni « hors sol » comme le rappelle F. Ripoll (2015b), les dispositions aux déplacements évoquées au chapitre 1 dépendent largement des lieux d’origine et des destinations, ainsi, bien sûr, l’espace compte. Pourtant, si l’espace est présent dans les termes comme « spatialities », « place », « geographies », il est rarement un outil central pour penser les lifestyle migrations. À titre d’exemple, un article de synthèse de M. Casado-Díaz (2012) proposant dans son titre d’ « explorer les géographies » des lifestyle migrants est en fait un état de l’art sur le traitement du phénomène en général, et n’évoque des « géographies » que dans le sens de nouvelles localisations du phénomène, usage limité de l’approche géographique. Le récent ouvrage de M. Janoschka et H. Haas (2014) est un des premiers recueils collectifs et synthétiques portant sur les lifestyle migrations qui évoque la dimension spatiale dans son titre et pose comme centrale la question suivante : « how conflicts and contested spatialities are negotiated within destinations of lifestyle mobility ? » (ibid, p.6). Cette approche par les « spatialités contestées » met en valeur les conflits internes qui se développent dans les destinations en lien avec la présence des lifestyle migrants. L’objectif est effectivement primordial puisque minoré jusqu’à présent dans ce champ de recherche parfois très bienveillant, mais le rôle de la dimension spatiale du phénomène n’est à nouveau pas vraiment pris en charge, et on retrouve une approche par « les géographies » qui se contente de montrer la diversité des localisations des conflictualités. Il est néanmoins intéressant de noter dans cette démarche que l’espace semble apparaître, bien que superficiellement, comme un révélateur des conflits et rapports de pouvoir. L’ouvrage Geographies of privilege (Winddance Twine et Gardener, 2013) montre quant à lui plus spécifiquement comment les acteurs sociaux normalisent et perpétuent des privilèges en utilisant l’espace. C’est dans cette continuité que je choisis d’approfondir cette dimension spatiale des rapports sociaux.

1.2. Penser les identités sociales et collectives dans les modèles contemporains de production de la territorialité

Le cadre de pensée de la mondialisation a amené de nombreux auteurs à envisager une forte modification du rapport entre espace et société. De nombreuses approches, sociologiques, politiques, anthropologiques et géographiques se sont penchées sur l’espace, de façon souvent théorique. Il s’agit ici d’expliciter les différentes théories qui ont nourri l’approche géographique proposée pour aborder les backpackers et les hivernants.

1.2.1. Les mobilités et la déstabilisation du lien entre espace et société

Les modifications du lien entre espace et société dans un cadre mondialisé impliquent des questionnements sur les échelles de compréhension des phénomènes, sur la déstabilisation de territoires collectifs fortement structurant tels que l’État-nation, et sur les mécanismes portant ces déstabilisations.

A. Amin (2002) souligne dans son article Spatialities of globalisation2 que plusieurs positions théoriques coexistent, se partageant notamment entre l’idée d’un « aplatissement » de l’espace laissant les pratiques hégémoniques se diffuser sans limites, et celles d’une connectivité accrue de l’espace. La mondialisation est principalement vue comme processus spatial d’augmentation des tensions entre les liens territoriaux d’une part (comme la citoyenneté) et les développements transterritoriaux (comme la circulation des élites). Il souligne que les dynamiques simultanées de distanciation et de compression de l’espace-temps sont interprétées, par exemple par B. Jessop, N. Brenner ou encore E. Swyngedouw, non pas comme un remplacement d’une échelle nationale par une échelle globale, mais comme une complexification des échelles, une relativisation de celles-ci, et un accroissement des échelles supra- et infranationales.

La remise en cause de l’idée même d’État-nation par la mondialisation a été au centre des travaux de nombreux auteurs et reste un objet de débat. Pour U. Beck (2003), le pouvoir de l’État est miné non pas par un autre État, mais de manière « dé-territoriale » ou « ex-dé-territoriale » par le commerce transnational, et ce nouveau jeu de pouvoir déterritorialisé chevauche l’ancien jeu de pouvoir territorial. Les réformes politiques nationales servent notamment à appliquer les objectifs économiques standards et néo-libéraux. D’un point de vue des identités, il propose d’envisager un « État post-national » reposant sur un cosmopolitisme et où l’État s’accommode de la diversité des nations en son sein. A. Appadurai (2005) évoque également un monde devenu « déterritorialisé » et « post-national ». Ses propositions théoriques permettent notamment de penser la production des identités collectives, et notamment leur

2 L’article a l’intérêt notamment de synthétiser les propositions théoriques de nombreux auteurs tels que N. Brenner, B. Jessop, E. Swyngedouw ou encore A. Giddens relatives à l’espace de la globalisation.

dimension culturelle, dans un cadre qu’il envisage comme « global ». Ce qu’il nomme la production de « localité »3, est affectée à la fois par les efforts de l’État-nation pour s’établir dans un espace plat, continu et homogène en nationalité, par la « disjonction croissante entre territoire, subjectivité et mouvement social collectif » (p. 271) ou autrement dit par les flux diasporiques globaux, et enfin par les médias, créant des nouveaux voisinages virtuels et des communautés électroniques. Ces déstabilisations du lien entre identités collectives et territoires amènent notamment à penser de nouveaux types de communautés, qui ne seraient plus fondées sur l’interconnaissance de proximité, ni sur la Nation comme « communauté imaginée » comme l’avait pensé B. Anderson4. Cet enjeu de la déstabilisation des États-nation pose des questions identitaires mais aussi politiques. D. Retaillé (2005) traduit la question des mobilités en terme de solidarité :

« Il y a deux manières d’habiter le monde : dans une généalogie ou dans la coprésence. Ce sont les deux réponses cardinales à une question vertigineuse : de qui suis-je solidaire, non pas au sens des moralistes mais du point de vue de la vie ? Suis-je solidaire de ma lignée (...) ? Ou suis-je solidaire de mes contemporains, au delà même des limites d’identité qui m’ont été assignées par l’autre manière d’être (...) ? » (ibid)

La dichotomie n’est jamais selon l’auteur aussi nette entre une identité héritée et une identité construite, mais la territorialité telle qu’elle s’imagine autrement pose des questions de citoyenneté, de responsabilité et de souveraineté.

C’est bien cette citoyenneté relative à un État occidental qui permet à la plupart des backpackers et des hivernants d’accéder à de nombreuses destinations. Comment vivent-ils cette citoyenneté dans ce mode de vie mobile ? La question de l’appartenance et de la création de nouveaux liens par la mise en réseaux des lieux est ainsi au cœur du questionnement et repose sur l’influence de différentes notions relatives au concept de « territoire ».

1.2.2. Penser des territoires en réseaux

Différentes notions ont été proposées par des géographes afin de penser de façon englobante et interscalaire cette modification de la dimension spatiale des identités et des rapports sociaux dans le cadre mondialisé des mobilités.

D’une part le concept de territoire a largement été discuté depuis les années 1980. Le dialogue fictionnel entre Proter et Sceptiter -respectivement défenseur et détracteur du concept de « territoire » - (Debarbieux, in Vanier, 2009), présente certains arguments du débat autour de ce concept. L’un d’eux consiste en une méfiance

3 La « localité » pour A. Appadurai se définit comme un « propriété phénoménologique de la vie sociale », un « sentiment de l’immédiateté sociale », elle se réalise dans des « structures de voisinage », lesquelles sont justement déstabilisées par l’État-nation, les flux diasporiques et les médias.

4 Voir notamment l’article de synthèse et clarification de C. Chivallon (2007) sur les « communautés imaginées » d’Anderson. B. Anderson, dans son ouvrage de 1983 Imagined Communities. Reflections on the

Origin and Spread of Nationalism, envisage la Nation comme une « communauté imaginée » notamment

de la propension du territoire à fractionner les entités spatiales, et du même coup, à diviser les sociétés. À l’inverse, le territoire dans son appréhension réticulaire réaffirme en un sens la possibilité d’une pensée non « territorialiste »5 du territoire. Les approches récentes du « territoire » et des « territorialités » considérés dans une dimension « réticulaire », « en réseau » et « mobile » (par exemple : Cattan, 2012; Frétigny, 2013; Berroir et al., 2009) ont ainsi largement marqué le cheminement conceptuel de cette recherche de thèse. L’approche par la réticularité est également intéressante car elle irrigue de plus en plus la pensée de la société, et doit se comprendre, comme la mobilité, comme une construction sociale :

« Différents indices suggèrent, au contraire, que la métaphore du réseau tend progressivement à prendre en charge une nouvelle représentation générale des sociétés. C’est ainsi que la problématique du lien, de la relation, de la rencontre, de la rupture, de la perte, de l’isolement, de la séparation en tant que prélude à l’instauration de nouveaux liens, à la formation de nouveaux projets, et l’insistance sur la tension perpétuelle réactivée entre l’exigence d’autonomie et le désir de sécurité, sont aussi au cœur des changements actuels de la vie personnelle, amicale et surtout familiale (...). » (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 207)

La notion de territorialités dites « mobiles » (Fourny et al. 2011) propose quant à elle de penser les lieux du déplacement, les transports et cheminements, comme des interfaces de création de groupes, de réseaux, qui, puisqu’ils ne reposent pas sur les supports de socialisation traditionnels que sont la famille ou le travail, pourraient être à l’origine de nouvelles construction et territorialisation de solidarités collectives. Elle est stimulante dans la mesure où les lieux étudiés sur les parcours des backpackers et des hivernants sont aussi des lieux de passage. Plus largement, le collectif de recherche Terrhabmobile (Fourny et al., 2011; Terrhabmobile, 2013) réfléchit sur les interactions entre territoire, habitabilité et mobilité –quotidienne principalement–, enjeux résonnant tout à fait dans les questionnements proposés par cette thèse à une autre échelle de mobilité.

Les questions de M. Stock quant à l’expérience des lieux par la mobilité ont largement stimulé les questionnements propres à cette thèse :

« Les multiples déplacements, pour les individus, ont en effet pour particularité de faire le lien entre les lieux géographiques. Ils conduisent à rencontrer et à vivre ou faire l’expérience (erleben) de multiples lieux. Comment en rendre compte ? Comment formuler la question qui permet d’appréhender le fait que les hommes pratiquent une multiplicité de lieux liés entre eux par des déplacements et circulations ? Plus spécifiquement, comment rendre compte de la manière dont les hommes habitent les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles ? C’est poser la question de la construction de la signification des lieux pour les hommes vivant dans une société dans laquelle la mobilité géographique tend à

5 R. Brunet (1993) définit le « Territorialisme » comme un mauvais usage de la territorialité qui survalorise un territoire d’appartenance au point de prétendre en exclure toute personne considérée comme étrangère.

devenir la norme, ou du moins se trouve valorisée (Rémy, 1996). » (Stock, 2006)

La notion d’« habiter poly-topique » proposée par l’auteur (Stock, 2006) a permis de saisir la mobilité notamment par « l’adéquation géographique ». Celle-ci indique l’autonomie de l’individu pour choisir les lieux les plus appropriés à sa pratique et serait accrue par les mobilités. Pour M. Stock (2006), en proposant d’analyser l’habiter poly-topique, il s’agit bien de s’interroger sur le rapport aux lieux qui sont identifiés comme des référents dans la cadre d’une mobilité accrue. L’intérêt principal est celui d’appuyer la prise en compte des non-résidents dans les lieux. L’accent sera cependant mis, dans le cadre de cette thèse, moins sur l’ « individualisation » qui sous-tend en partie la théorie de l’habiter mobile, que sur une compréhension des positions des individus dans des groupes, des sociétés et plus largement dans des rapports mondialisés, et la cristallisation de ces positions dans une dimension spatiale. La proposition de M. Stock nous amène cela dit à articuler aux territoires en réseaux le concept de « lieu ». Ce concept, mis en avant par la notion de « rapport aux lieux », est choisi comme central dans cette thèse. La prochaine section doit ainsi montrer comment le « rapport aux lieux » permet d’interroger les reconfigurations des liens entre société et espace à travers les mobilités des backpackers et des hivernants.

1.3. Questionner la production d’un rapport aux lieux ambivalent par les pratiques et les imaginaires des

backpackers

et des hivernants

Si l’on part d’une acception synthétique du rapport aux lieux comme d’une part, le rapport à ses lieux familiers, donc à soi et à ses pairs, et d’autre part, le rapport à l’Ailleurs et donc aux autres (Chapuis, 2012), la thèse pose comme question de recherche la qualification du rapport aux lieux construit dans le cadre des mobilités des backpackers et des hivernants, et pose l’hypothèse principale que ce rapport est ambivalent, parce qu’il exprime un flou entre le Chez soi et l’Ailleurs. Il s’agit ici de développer la construction de cette question de recherche, les acceptions des concepts et grilles d’analyse qui interviennent et la déclinaison de plusieurs sous-hypothèses.

1.3.1. Le « rapport aux lieux » des backpackers et des hivernants : entre mise en relation et appropriation des lieux dans un cadre privilégié

La notion de « rapport au lieu » repose sur une conception du « lieu » comme entité géographique différenciée attestant de l’hétérogénéité de l’espace. Suivant les apports théoriques de B. Debarbieux (1995b; 1995a) sur le lieu, cette entité est considérée suivant 1) l’ordre de sa matérialité qui l’inscrit dans la réalité de l’espace géographique, 2) l’ordre de la signification qui lui associe des valeurs et rôles spatiaux, et 3) l’ordre du symbole qui fait du lieu une potentielle figure emblématique d’une autre réalité. Loin d’être une portion figée de l’espace, le lieu est considéré ici comme

un espace-temps t recomposé continuellement par les relations sociales à toutes les échelles. Le lieu est donc envisagée dans une approche « relationnelle » (Massey, 1994; Clifford, 1997; Amin, 2002; Cattan, 2012) développée par exemple ci-dessous, et peut s’articuler avec le concept de territoire présenté précédemment :

« From a relational point of view, moreover, the very identities of places (territories) are relationally constructed. That is to say, places are what they are in part precisely as a result of their history of and present participation in relations with elsewhere. (...) They (places) do not come into being in isolation. This was an essential argument behind the idea of ‘a global sense of place’ (Massey, 1991). Territories are constituted and are conceptualized, relationally. Thus, interdependence and identity, difference and connectedness, uneven development and the character of place, are in each pairing two sides of the same coin. » (Massey, 2011)

Le lieu, défini comme tel, est une accroche conceptuelle appropriée à la compréhension de phénomènes fugaces, comme les mobilités, impliquant une présence-absence dans le lieu.

En effet, la particularité des lieux étudiés dans cette thèse est qu’ils sont regardés principalement à travers le point de vue de ceux qui y passent, plus ou moins longuement : les backpackers et les hivernants. C’est en ce sens que l’on interroge l’ambivalence de ces rapports aux lieux et des lieux produits. Ces individus mobiles passent, donc ils viennent de quelque part, et vont quelque part. Ils apportent ainsi potentiellement avec eux, des traces de cet Ailleurs dans le lieu. Aussi, ils passent, mais leur statut privilégié par rapport à la population locale peut leur conférer une légitimité pour produire des traces dans le lieu, pour se l’approprier. La notion de « rapport au lieu » permet de rendre compte de cela : le rapport qui se construit dans un flou entre passage6 et ancrage, flou entretenu par les liens avec les « autres lieux » mis en réseaux, et par la situation privilégiée donnant à l’individu un relatif contrôle sur ce passage et cet ancrage. Ce rapport aux lieux ambivalent participe de la construction des lieux et de l’expérience de ceux-ci par l’individu, il s’analyse tant à l’échelle locale de l’appropriation des lieux, qu’à l’échelle du réseau de lieu dessiné par la mobilité. La thèse propose de décrypter ce rapport aux lieux en analysant les pratiques et les imaginaires, portes d’entrées empiriques sur les phénomènes étudiés7.

6 B. Debarbieux, C. Del Biaggio et M. Petite (2008) rappellent que cet enjeu de l’articulation entre passage et ancrage n’est pas nouveau : « Cette façon de problématiser la spatialité et la territorialité, de coupler dans l’analyse circulation et ancrage, a des précédents nombreux en géographie depuis la fin du 19e siècle. » (ibid, p. 76).

7 L’analyse des pratiques et les imaginaires constitue une grille largement utilisée dans la littérature mobilisée et s’illustre pertinente pour l’analyse des mobilités étudiées. Il est jugé toutefois utile de préciser qu’une autre grille a influencé l’analyse, celle relative à l’approche de l’espace comme dimension de la société, proposée notamment par F. Ripoll (2015a). Ce dernier propose trois ordres à travers lesquels saisir cette dimension spatiale : l’ordre matériel, institutionnel et symbolique. Le triptyque a par exemple influencé la formulation d’un chapitre 7 en partie tourné vers l’ordre institutionnel de ces mobilités.

1.3.2. Les imaginaires de la mobilité et des lieux

Comme le rappelle R. Amirou (1995), « le voyage est d’abord imaginé » (p. 47). L’ « imaginaire » est une notion relativement difficile à définir, qui a été utilisée comme une grille assez polysémique (Chivallon, 2007). Elle est cependant particulièrement intéressante dans le cadre de l’analyse des mobilités ici étudiées.

J-F. Bayart (1996) encourage l’utilisation de « l’imaginaire » tel que Castoriadis (1975, cité par Bayart, ibid) l’a définit. Pour ce dernier, l’institution de la société est le résultat de la matérialisation de significations imaginaires, l’imaginaire étant la faculté de faire exister ce qui n’existe pas. Pour J.-F. Bayart (ibid), l’usage de l’imaginaire, à la place de l’identité culturelle, doit permettre de sortir d’une approche culturaliste envisageant la culture comme figée. A. Appadurai (2005) reprend également cette notion et parle du pouvoir de l’imagination “comme double capacité à se souvenir du passé et à imaginer le futur” (p. 34). Ce rôle et cette pratique de l’imagination pour produire, selon Appadurai, de la localité, serait particulièrement renforcée dans le cadre des communautés transnationales. C. Chivallon (2007) souligne l’importance de ne pas couper l’imaginaire du réel, par exemple en considérant que le travail de l’imaginaire existe uniquement lorsqu’il s’agit de penser une absence. Pour elle, et la mobilisation des « imaginaires » dans cette thèse suivra sa position, le degré de concrétude qu’un imaginaire peut prendre est une façon de penser les rapports de pouvoir :

« Notre point de vue consiste ici à affirmer avec force que l'imaginaire est « radicalement » partout, pour emplir de sens un univers qui se présente de façon indifférenciée. (...) Le découpage entre « réel » et « imaginaire » empêche de penser cette distribution inégale des ressources de la symbolisation parce que l'imaginaire ne se définit pas par son opposition au réel, mais par les degrés de concrétude qu'il acquiert et qui dépendent des