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Considérer que l’humain se caractérise par son bain dans le langage, implique qu’il se trouve coupé de sa naturalité. De plus il est culturel, et social par essence.

Les travaux de la psychologie dite scientifique, ne donnent pas une définition du sujet. Ils rendent sa définition équivalente à ce qui peut se mesurer de ses capacités, de ses compétences, qu’elles soient perceptives, attentionnelles, motrices. Ces capacités et compétences sont tantôt supposées être appuyées et délimitées sur des supports biologiques (régions du cerveau, groupes de neurones, trajets nerveux, substrats hormonaux, etc.), tantôt relever du domaine de l’esprit, par opposition à celui du corps. La discipline de la psychosomatique tente de réunir les deux entités classiques, mais reste emprisonnée dans un schéma qui les dissocie. Le modèle émergentiste dans le domaine de l’étude des processus de réception et de création artistique, propose qu’il existe une interaction entre les perceptions, les émotions et les jugements, interaction qui fait que le tout est supérieur à la somme des parties284. Cette notion d’interaction est aussi utilisée

en psychologie du sport pour rendre compte de la question complexe des facteurs de performance. Il nous semble qu’elle présente le biais de supposer des effets multipliés, voire rendus exponentiels à la mise en relation de capacités, là où les chercheurs ne trouvent pas d’explication tenable à certaines réalisations humaines, ou là où l’on se rend compte que certains possèdent les mêmes capacités sans aboutir aux mêmes résultats.

Lacan relisant Freud, remarque sa « prudence singulière. Il nous a dit ici : que l'analyste n'avait véritablement, sur le fond, sur la nature de ce qui se manifestait de création dans le beau, rien à dire ; que dans le domaine chiffré, à proprement parler de la valeur de l’œuvre d'art comme telle, nous nous trouvons en position, je ne dirai même pas d'écoliers, en position de gens qui pourront ramasser les indices, les miettes et assurément pas à même d'articuler ce dont il s'agit dans la création elle-même »285. Nous postulons que

cela concerne la performance, qu’elle soit artistique ou sportive.

284 Couchot E., Lambert X., « Une approche émergentiste de l’expérience esthétique », déjà cité. 285 Lacan J., Séminaire VII, L’Ethique de la Psychanalyse, éd. num. de P. Valas, p. 534.

Cela correspond en fait à une impossibilité de saisir ce qu’il en est de toute constellation psychique. Freud énonce à propos de la névrose que « tout individu fait son choix parmi les mécanismes de défense possibles et ne se sert que d’un certain nombre d’entre eux, toujours les mêmes, ce qui montre que chaque moi est, de prime abord, nanti de tendances et de prédispositions individuelles dont nous ne pouvons, à dire vrai, connaître ni les conditions, ni les modalités. En outre, nous savons que nous n’avons pas le droit de pousser jusqu’à l’antagonisme les divergences qui existent entre les qualités innées et les qualités acquises […] »286. Admettre que le psychisme se constitue à partir d’un réel, c’est

viser la différence absolue que chacun établit vis-à-vis de l’universel de la structure.

Au lieu d’attribuer un potentiel hypothétique à une interaction de facteurs, nous avançons que la création et la performance s’érigent à partir d’un réel insaisissable. Comment dès lors, peut-on penser leurs possibilités ?

Renaud : l’activité malgré tout.

Renaud (prénom modifié), à 39 ans, est père de trois enfants : un issu d’une première union, et deux d’une seconde relation. Il se présente comme passionné de son sport, qu’il pratique depuis son adolescence. Sa discipline comporte la possibilité d’une certaine longévité, et en effet il se trouve gagner plusieurs compétitions de niveau national depuis une bonne quinzaine d’années. Une grande satisfaction pour lui, exprimée et visible, est de pouvoir partager sa passion de la compétition avec son premier fils, qui s’y investit également. Son sport étant relativement peu médiatisé en France, il n’en vit pas, il est employé dans la fonction publique.

Nous l’avons sollicité dans le sens de nous expliquer ce qui fait qu’il y soit investi, et la façon qu’il a d’en parler est communicative. Notre démarche à son égard était également une recherche en rapport à sa pathologie psychique. Il se dit en effet bipolaire, ayant eu recours à plusieurs reprises à une hospitalisation en psychiatrie et se trouvant encore à l’heure actuelle, suivi par un psychiatre, et traité par psychotropes. Lors de notre entrevue, il est intarissable, passe en revue chaque année où il a obtenu un résultat sportif significatif, de façon largement détaillée. Au fil de la discussion, il parle de son interruption de pratique durant plusieurs années. C’était du fait de sa maladie. Celle-ci s’est déclenchée suite au départ de sa femme, qui a eu une relation avec un pratiquant de la même discipline, alors très proche de Renaud, un partenaire sportif et ami.

C’est seulement dans l’après-coup de la rencontre que nous avons pu élaborer sur la causalité de la « bipolarité ». Pour nous, cette notion revient à nommer des phénomènes qui concernent l’humeur. Renaud décrit avoir vécu une période de grande dépression, puis des phases d’« excitation ». Celles-ci correspondent à des périodes de préoccupation et de sollicitations (les compétitions, par exemple). Lors de ces phases il lui arrive de ne pas dormir durant plusieurs nuits. Tout cela s’échelonnant sur des mois et des années, notre questionnement porte sur la structure sous-jacente.

Une hypothèse serait celle d’une déstabilisation psychotique en lien à des passages qui ne peuvent être élaborés, symbolisés ; une autre hypothèse est celle d’une blessure narcissique, inassimilable, un deuil recouvert par les médicaments, le diagnostic de la maladie contribuant à fortifier les remparts « à la Vauban » (selon le mot de Pierre Bruno, emprunté à l’un de ses analysants), que la névrose obsessionnelle constitue.

La manière dont Renaud s’adapte au quotidien à ses troubles, et dont il en parle librement, pourrait faire penser à une psychose stabilisée.

Cependant, nous penchons pour la seconde hypothèse, nous appuyant sur une série d’exemples dans le domaine relationnel que Renaud construit, renvoyant à différentes modalités de traitement de la culpabilité. En effet, il est blessé par le manque de reconnaissance qu’il attendrait par rapport à son investissement conséquent dans les instances sportives. Il est sensible au manque de sérieux que certains revendiquent lors de déplacements en compétitions, souffrant de ne pouvoir générer lui-même une exemplarité qui serait suivie.

La fin de notre entretien approchant, Renaud nous confie, comme un aveu, que l’époque où il s’est investi dans son activité est celle de la séparation de ses parents, lorsqu’il avait quatorze ans. Il s’est alors plongé dans l’entraînement durant des heures et des heures. Vis-à-vis des raisons du volume horaire de son investissement, qu’il n’a de cesse de souligner, il élabore peu, hormis que cela lui permet de « ne pas penser ».

Un seul entretien ne peut pas toujours permettre d’approcher précisément ce qui se joue pour le sujet concernant sa problématique symptomatique. Nous n’avons pas pu accéder à plus d’éléments explicatifs. Néanmoins, ce que nous pouvons extraire de l’entrevue correspond à plusieurs points. Tout d’abord, un désir brûlant à pratiquer, qui se traduit par un investissement quotidien (corporel et intellectuel) depuis plus de vingt- cinq ans. Deuxièmement, la réalisation de nombreuses performances reconnues dans son milieu sportif, qu’il attribue à l’intensité de son travail, à une certaine conception de la logique de l’activité, et à son sérieux à l’approche des compétitions.

Troisièmement, un certain rapport à sa pathologie, motif préalablement annoncé de notre entrevue : Renaud verbalise qu’il parvient désormais à vivre avec, faisant attention à bien se reposer, à prendre des congés à l’approche d’une compétition par exemple. Il « gère » son humeur et ses perturbations somatiques.

Nous constatons que Renaud traite son symptôme uniquement comme un problème à gérer. Il ne fait pas mystère, ne suscite pas chez lui de questionnement.

La piste de la névrose nous amène à questionner le champ du père pour Renaud. Nous pouvons avancer que le divorce de ses parents durant son adolescence a eu son effet, et que la pathologie s’est déclenchée lors de sa propre séparation. Celle-ci a pu avoir une dimension de résonance. De plus, c’est clairement du côté du père qu’il est, que la difficulté de la séparation a pu se faire ressentir.

Ces épisodes auraient mérité une (meilleure) élaboration, afin d’éviter que l’absence de mot ne fasse retour dans le réel. Le cas de Renaud nous paraît paradigmatique de l’importance que les institutions sportives développent de meilleures structures de prévention des psychopathologies chez les sportifs287. Il convient en effet

d’encourager à la prise de parole concernant le contexte de l’investissement chez les adolescents. Le sport de haut niveau comprend une dimension d’oubli de soi. Si des affects problématiques sont refoulés, et ils sont forcément présents à l’époque adolescente, ils peuvent se traduire en symptômes.

287 Lors de la saison 2016-2017, les obligations du Suivi Médical Réglementaire des Sportifs de Haut Niveau, en matière de prévention des risques psychopathologiques, se sont vues réduites par le Ministère.

III – La psychanalyse contre une naturalisation de l’acte.

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