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Eléments de sociologie et de psychologie du sportif

Dans le domaine de la psychologie comportementale et/ou cognitive du sport, les notions d’attention et de perception sont très présentes. Des places privilégiées sont accordées aux notions de feedback et de visualisation. Une part importante de ce qui est considéré comme la psychologie du sportif, est reliée à la motivation259. Celle-ci est érigée

au rang de concept, puisqu’elle renvoie à divers champs d’application et de multiples causalités. Elle renvoie à la volonté initiale des mouvements. Certaines règles la régissent : le fait d’être ancrée dans l’estime de soi ou la confiance, et le fait d’être en relation avec les caractéristiques intrinsèques à l’activité pratiquée sont des éléments de son intensité. Des échelles sont développées en rapport à ces modèles260.

Dans les discours de sportifs, nous l’avons évoqué, la motivation est souvent présentée comme inexplicable. L’apparition de la vocation est datée, certes, mais elle est décrite comme une passion, ce qui résonne comme une motivation à la fois intangible et justifiée. Des travaux sociologiques nous permettent de considérer que contrairement à ce qui est décrit comme une motivation datée et définitive, la logique du sport de haut niveau est construite comme participant du renouvellement du désir, par un système d’étapes de sélections, qui ponctuent des valorisations dans le parcours des sportifs. « La condition indispensable de la dévotion sportive réside dans l'idée que toutes ces contraintes ne sont ni vécues ni ressenties comme telles. Les rythmes d'entraînement qui s'accompagnent par exemple d'une hygiène de vie de type ascétique où les veillées tardives, les consommations excessives d'alcool, les repas trop copieux etc. sont à proscrire, laissent aux athlètes assez peu d'alternatives dans l'aménagement de leur vie. Il est d'ailleurs symptomatique d'entendre ces derniers se décrire du coup comme « n’ayant pas un tempérament à sortir », ou encore s'entraîner huit fois par semaine parallèlement à une activité professionnelle sans « qu'il y ait énormément de contraintes » »261. Cette

observation nous permet d’avancer que la « motivation » du sportif, son désir, s’inscrit dans un paysage social qui exerce bien une influence.

259 En commençant par les travaux d’Abraham Maslow aux Etats-Unis et Paul Diel en France, dans les années 1940, les modèles se sont multipliés avec des auteurs comme Deci, Ryan, Vallerand, Cury, Sarrazin… 260 Par exemple celle de la motivation en sport : l’échelle dite EMS.

261 Fleuriel S., « Sport de Haut Niveau ou Sport d’Elite, La Raison Culturelle contre la Raison Economique, Sociologie des Stratégies de contrôle d’Etat de l’Elite Sportive », Thèse de sociologie, Univ. de Nantes, 1997.

Au cours des entretiens que nous avons menés pour cette thèse, il nous est apparu que l’engagement dans une activité ne se fait pas sciemment par rapport à une volonté politique, ni même dans la perspective d’une éthique qui serait à défendre. Hormis pour une personne qui, a posteriori, s’est rendu compte de sa recherche d’une certaine liberté et d’un environnement professionnel peu contraignant, le choix d’un engagement dans une trajectoire placée sous le signe de la production artistique ou sportive se fait en fonction d’une conviction sans calcul conscient.

Pour rester dans la veine de la sociologie, évoquons schématiquement des éléments que ce champ fait émerger. Selon des travaux de Christian Pociello sur le rugby, et de Jacques Defrance sur la course à pied (dans les années 1980,) des enjeux de légitimation pèsent sur les pratiques des activités sportives : les acteurs luttent selon leur classe d’appartenance, pour imposer leurs définitions et leurs façons de pratiquer.

En psychologie sociale, des travaux portent sur l’importance des stéréotypes, notamment sexués (mais aussi socioprofessionnels), considérés comme des « croyances culturelles relatives aux différences ». Ils visent à mettre en évidence les influences des stéréotypes sur la motivation et sur la performance262.

Soit les sujets les ont « internalisés » et s’y conforment, soit les stéréotypes exercent une « menace », qui amène des résultats en relation directe avec le contenu des stéréotypes. Lorsque ces derniers sont activés dans des situations d’évaluation, les sujets tendent à produire des performances et des efforts qui les confirment. Globalement, les stéréotypes sexués affectent la performance sportive, dans la direction d’une conformité sociale : les performances des garçons et des hommes sont meilleures dans les activités qualifiées communément de « masculines », et inversement pour les filles et les femmes, toutes différences de performance en lien aux facteurs biologiques mises à part. Les processus d’influence des stéréotypes sur les performances sportives sont méconnus. L’auteure énumère divers mécanismes susceptibles d’expliquer ces faits : la perception de compétence, la confiance en soi, la valeur de « prophétie auto-réalisatrice » des stéréotypes, les stratégies des sujets qui peuvent être d’auto-handicap, ou au contraire

262 Pour une revue de la question, lire : Chalabaev A., L’Influence des Stéréotypes Sexués sur la Performance et la Motivation en Sport et en Education Physique et Sportive, Thèse de STAPS, Univ. de Grenoble 1, 2006.

de réactance. Ces mécanismes passent à côté d’un point essentiel, qui est la convergence du sujet singulier et social, du fait de son bain dans le symbolique. Pour nous, le stéréotype n’est pas seulement social : s’il est culturel c’est qu’il est ancré dans les subjectivités. L’auteure souligne l’influence des croyances des sujets envers leurs compétences : si elles sont considérées comme évolutives, alors les effets des stéréotypes sont moins importants (Dweck, 1999 ; Aronson, Fried & Good, 2002 ; Good, Aronson & Inzlicht, 2003). Si les sujets sont alertés sur le poids de la « menace du stéréotype », alors l’effet en est réduit (Aronson & William, 2004 ; Johns, Schmader & Martens, 2004). Un stéréotype, c’est un énoncé de l’Autre. Cela explique que toute relativisation de l’Autre rend les stéréotypes moins prégnants, voire vidés de leur sens.

La « cohésion de groupe » est un facteur de performance. Une étude récente, entre autres, s’appliquant à des équipes amateures en football263, le révèle. Nous soutenons

que ce constat peut s’étendre à toute équipe professionnelle, et à tout autre sport, même individuel. Car toute discipline actuelle implique plusieurs acteurs, ainsi qu’un contexte, une « ambiance », autour du sportif. Comment cela se fait-il ?

Les débuts d’une pratique sont marqués par des instants inauguraux, quasiment anecdotiques, ainsi que le formule Ancelin Preljocaj264. Il s’agit de scènes gravées dans les

souvenirs, durant lesquelles se sont concrétisés les éléments constitutifs du transfert. Après-coup elles apparaissent comme des sortes de révélations, d’images marquantes où l’Autre a pris une forme vivante : une manière de se mouvoir, la rencontre d’un corpus de représentations et de pratiques cohérent (par exemple, le Butô pour la personne que nous venons d’évoquer). Cela peut également prendre source au sein d’encouragements reçus de la part d’un proche, ou dans le cadre d’une rencontre d’un acteur de la discipline qui deviendra de prédilection, moments décrits par la suite comme décisifs et fulgurants.

263 Onomo Onomo G. M., Cohésion et Performance des Equipes de football Amateur de l’Agglomération Lyonnaise, Thèse de STAPS, Université Lyon 1, 2014.

Le sujet se trouve en quelque sorte « saisi » par des images fondatrices de son rapport à son activité principale. L’absence ou la pauvreté des élaborations associées peut s’interpréter selon deux directions : soit elles marquent une décision d’éviter de témoigner de causalités ou d’interprétations liées à l’investissement questionné, soit elles révèlent du phénomène d’étrangeté familière (Unheimlich265) à laquelle tout un chacun se

trouve confronté. Nous doutons de la première hypothèse, étant donné la fréquence du phénomène : la passion se caractérise en effet par une incompréhension de ses raisons. La seconde hypothèse nous apparaît la plus plausible. La psychanalyse s’intéresse à l’endroit où le sujet se reconnaît, tout en admettant que quelque chose l’y gouverne. La réalité psychique se constitue par une Autre scène, un savoir superficiellement insu.

L’article de Simone Klebelmann et Serge Zlatine « Le Danseur dans sa Peau. Essai sur le Fantasme et sa Contribution à la Formation du Danseur »266 nous éclaire

différemment sur la psychologie du (de la) sportif.ve. Ces deux analystes suivent des danseurs professionnels en traitement. Ce qui intéresse les auteurs est la question de l’inscription du mouvement dans le corps, dont la parole rend compte. Ils remarquent tout d’abord que les danseurs anglo-saxons trouvent très souvent une prédilection à la boxe ou aux sports de combat. Ils évoquent un épisode éclairant de combat de judo, durant lequel le vainqueur effectue une parade à une attaque de son adversaire, parade tout à fait surprenante, pour les deux protagonistes. L’explication que le vainqueur en fait après-coup est la continuation de l’attaque qui lui a été portée : « quand je me suis relevé, il m’a semblé que c’était ton mouvement que je continuais à la même vitesse, comme si c’était le tien ». Les auteurs soulignent ici la dimension de transitivité du mouvement.

Cette dernière se révèle également chez un analysant professeur de danse, ancien boxeur professionnel. En parlant de ses victoires passées, il explique que le moment où il recevait le coup dans lequel il excellait lui-même (un crochet du droit) le poussait à réagir et à l’appliquer. Les auteurs vont jusqu’à supposer qu’il se mettait en position de le recevoir, afin de pouvoir déclencher sa propre attaque et ce coup électif.

265 Freud S., Unheimlich (1919), déjà cité.

Ces exemples amènent à mobiliser l’appui du miroir pour rendre compte de l’émergence de mouvements. Plus précisément, le stade du miroir théorisé par Jacques Lacan (1936) permet de penser la possibilité d’une identification, originellement basée sur l’image et sur les signes d’un autre. Un professeur de danse décrit sa préférence à regarder le miroir plutôt que ses élèves directement, lors des exercices. « La glace ramasse l’image », elle est le support de la recherche d’un corps autre. C’est lui qui verbalise souvent n’être « pas bien dans sa peau », et la nécessité des heures de travail pour améliorer la technique, en allant au-delà de la normalité et des concepts médicaux.

Klebelmann et Zlatine rendent compte de l’inauguration de la vocation d’un danseur, lors de la première rencontre, la vue déterminante d’un couple dansant. Deux corps enlacés évoluant sur scène ont eu l’effet d’un marquage à vie, image à atteindre, tout au long de la formation et des représentations données par le sujet dans sa pratique : « toute sa vie, il cherchera à être ce que dans un regard il a fixé d’un couple aperçu […] »267. Cette quête ne va pas sans interrogations sur son être propre, dans une relation

en miroir, ou en parallèle, à sa partenaire, sur ce qu’il est lui-même quand il cherche à refléter l’homme dans ce couple. Le cas d’un autre danseur montre aussi l’importance de l’image primordiale dans sa trajectoire : Carmen Amaya continue de le fasciner.

Les auteurs résument : « le danseur est captif d’une image dont il est difficile de dire si c’est elle qui le traverse ou lui qui la transperce. Chaque fois qu’il entre en piste, en public, la scène est en quelque sorte redoublée pour lui par rapport au regard des autres ». C’est ce dont la réflexion qu’ils nous rapportent témoigne : « lorsque je danse en public, je ne sais pas ce qui se passe […] Les instants où je danse en public me marquent, mais toujours après, car c’est après que c’est important, quand le spectacle est déterminé. Il y a quelque chose d’acquis268. Après la compétition on est différent. Le corps a gagné quelque chose que je ne

saurais définir […] ». C’est sous le regard des autres que ce changement peut s’opérer.

267 Le témoignage de Darélia Bolivar, danseuse au Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, recoupe ce constat d’un instant-clé de la passion naissante. Intervenue lors de la journée « Passions Sportives. Rencontre entre des Psychanalystes et des Sportifs » organisée par la Cause Freudienne Aquitania le 29/11/2014, elle parle de son engouement premier et de son engagement en tant que danseuse, décidé en regardant un ballet à la télévision, alors qu’elle est encore enfant.

Cette étude sur les danseurs nous amène à soutenir une conception du fantasme comme cristallisé dans une ou quelques images fondamentales, faisant écho à une définition de l’être que le sujet se donne. A la fois, il s’y reconnait, car elle lui parle, et cherche à l’atteindre dans une quête qui en même temps, le réalise. Jamais tout à fait accomplie, cette quête permet toutefois de récupérer quelques gains, de jouissance ou de définition pourrait-on écrire, qui relient le (la) danseur.se avec la communauté des regardeurs et des pairs, qui le (la) reconnaissent.

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