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1.2 Comment dériver et collecter les électrons

1.2.4 La question des médiateurs

L’utilisation d’organismes entiers soulève la question de l’accès de l’électrode collectrice à la chaîne photosynthétique. Nous avons mentionné précédemment certains travaux qui mettent en jeu une collection directe impliquant une nanoélectrode (unique ou sous forme

de réseau) insérée dans l’organisme [15] [14]. La difficulté technique et/ou le caractère

invasif de cette méthode rendent cette dernière marginale et peu efficace (les courants collectés sont faibles, de l’ordre de quelques pA). Il semble donc difficile de s’affranchir d’un médiateur redox dont la forme oxydée va alors diffuser au sein de l’organisme puis interférer avec la chaîne photosynthétique alors que l’espèce générée diffuse alors dans puis hors de l’organisme pour être oxydée à la surface de l’électrode collectrice. A ce jour, deux types de médiateur sont principalement considérés, comme le montre l’étude bibliographique de ce chapitre.

Les médiateurs diffusifs

Le choix d’un médiateur adapté à l’extraction des électrons photosynthétiques est lié, au-delà de la stabilité des formes oxydée et réduite, à la capacité de la forme oxydée à accepter les électrons de la photosynthèse. Les accepteurs de la chaîne photosynthétique

sont solidement référencés [48], et il apparaît notamment que les quinones sont des

mé-diateurs de choix pour interagir et être réduites par le photosystème II. Dans ce contexte, de nombreuses quinones sont utilisées avec différents degrés de substitution et natures de

substituants (Fig 1.9).

Le potentiel redox du couple quinone/hydroquinone et la faculté des deux formes à traverser les membranes sont des critères déterminants pour évaluer la capacité du mé-diateur à extraire les électrons de la photosynthèse. Dans ce contexte, l’analyse comparée

Figure 1.9: Nomenclature et formule chimique de plusieurs quinones couramment em-ployées dans les sytèmes biophotoélectrochimiques.

de plusieurs quinones peut être très complexe car elles peuvent interagir de façon

diffé-rente avec le PSII (poche QB ou pool de plastoquinones, v. plus loin). Ainsi, la même

quinone peut conduire à des performances différentes selon la configuration expérimen-tale (suspension vs immobilisation, organisme entier vs sous-unités photosynthétiques). De manière générale, la dichlorobenzoquinone et la benzoquinone sont les plus utilisées dans la littérature.

Cependant, les quinones peuvent être liées à des processus de signalement complexes et leur ajout peut diminuer la viabilité du microorganisme, notamment en interagissant

avec la chaîne respiratoire. C’est pourquoi l’anion ferricyanure Fe(CN)3−6 est une

alterna-tive souvent utilisée. A la fois accepteur du PSII et accepteur du PSI, il a été établi que

Fe(CN)3−6 est un moins bon accepteur du PSII que la 2,6-dichlorobenzoquinone [49].

Tou-tefois, la principale limitation de l’anion ferricyanure vient de son incapacité à traverser les membranes lipidiques. Ceci restreint son utilisation aux sous-fragments cellulaires ou aux cyanobactéries.

PSII en traversant la paroi cellulaire puis la membrane cytoplasmique, le ferricyanure peut seulement passer la paroi cellulaire mais peut être réduit ensuite par les protéines

transmembranaires de la membrane cytoplasmique (Fig 1.10).

Figure 1.10: Haut : interaction de quinones exogènes avec une cyanobactérie à travers un transfert électronique au niveau du PSII. Bas : interaction de l’anion ferricyanure avec une cyanobactérie à travers un transfert électronique au niveau de la membrane cytoplasmique. D’après Sekar et coll [42] et Bombelli et coll [33].

Les polymères d’osmium

L’effet potentiellement toxique des médiateurs exogènes diffusifs utilisés limite les concentrations de travail et de fait la performance des systèmes. C’est pourquoi la connexion de la chaîne photosynthétique avec l’électrode par le biais de polymères cationiques

polymères à ions osmium mentionnés au cours de ce chapitre. Chargés positivement et déposés sous forme d’hydrogel sur l’électrode, ces polymères ont été historiquement uti-lisés pour améliorer la connexion électrique entre l’électrode et l’enzyme glucose oxydase

chargée négativement dans le cadre de la détection électrochimique du glucose. [50]

Figure 1.11: Schéma montrant le principe de l’utlisation des polymères d’osmium ex-trait des travaux de Hasan et coll [51].

La combinaison de polymères redox, d’enzymes et d’agents réticulants conduit à la formation d’hydrogels redox qui peuvent connecter les centres redox enzymatiques indé-pendamment de leur orientation spatiale et ainsi permettre la formation de multi-couches qui amplifient le courant par rapport à une monocouche. Dans ce cas, le transfert électro-nique entre les centres oxydés et réduits se fait par des collisions de type Marcus (aussi

appelée effet tunnel assisté par les phonons) et non par hopping [52].

Les mécanismes de transfert électronique opérés par les polymères d’osmium entre les cellules des microorganismes et les électrodes restent toutefois mal compris. En effet, la bonne connexion électrique est attribuée à la forte interaction électrostatique entre les cel-lules bactériennes chargées négativement et les polymères d’osmium chargés positivement. L’immobilisation des cellules vivantes dans la matrice polymérique et le contact entre les polymères et la membrane ou paroi cellulaire sont aussi des facteurs déterminants pour le transfert électronique. La question de la stabilité des films de polymères d’osmium pose

toujours problème pour les applications, et le contrôle de la quantité d’osmium sur les électrodes modifiées est crucial car un excès d’osmium peut paradoxalement entraver le

transfert des électrons depuis les microorganismes [51]. Enfin, si l’emploi de polymères

d’osmium sur des microorganismes simples et accessibles semble adapté, la présence de parois cellulaires et de membranes épaisses ou multiples rend leur efficacité très limitée ou, à défaut, nécessite l’utilisation d’un médiateur diffusif.

Les systèmes exoélectrogènes

La possible toxicité des médiateurs exogènes et/ou leur absence de sélectivité vis-à-vis de la chaîne photosynthétique ont relancé l’intérêt pour les systèmes opérant en absence de médiateurs artificiels afin d’améliorer la durabilité des systèmes. L’idée de ces systèmes

dit « exoélectrogènes6 » est donc d’avoir des performances peut-être plus faibles qu’en

présence de médiateur mais plus stables dans le temps. Ceci passe par l’élaboration d’un biofilm à la surface de l’électrode. La connexion électrique entre les organismes et l’élec-trode se fait via des complexes cytochromes produits par les membranes extérieures des cellules ou des pilis conducteurs, sortes d’appendices se situant à la surface de la paroi de

nombreuses bactéries [51].

Ainsi Y. Zou et al ont élaboré un système biophotovoltaïque sans médiateur avec

Synechocystis sp PCC6803, après avoir cultivé un biofilm sur électrode de carbone. Des

travaux similaires ont été rapportés avec la microalgue eucaryote Chattonella Marina sous forme de biofilm développé sur électrode à peinture de carbone modifiée par du

po-lypyrrole [53] ou de cyanobactéries Synechocystis sp. PCC 6803 sur électrode à encre de

carbone [54]. L. Gorton et al ont aussi proposé une stratégie similaire avec un biofilm

marin (52 % de cyanobactéries et 48 % d’hétérotrophes nourris en continu) sur électrode

de graphite recouverte d’un polymère d’osmium [55]. Dans ces cas, que ce soit sous forme

de demi-pile ou de pile, les performances restent modestes, moins de 1 µA.cm−2 sous

illu-mination et relativement stables sur quelques heures voire même un jour avec alternance de cycle jour/nuit toutes les 2h. Toutefois, la faible intensité de ces courants permet de 6. Ce terme renvoie à un microorganisme capable de transférer des électrons avec son environnement extracellulaire

révéler des courants indépendants de l’illumination qui laissent à penser que d’autres voies d’extraction autres que la photosynthèse ont lieu.

Cependant, d’autres études montrent que de meilleures performances peuvent être

atteintes (10 µA.cm−2) en fonction de l’adhésion des organismes (algues ou cyanobactéries)

sur la surface de l’électrode et de la densité du biofilm [33] [56].

Les systèmes microfluidiques

Figure 1.12: Schéma du dispositif biophotovoltaïque microfluidique extrait des travaux de Bombelli et coll [57].

Au-delà des trois orientations décrites dans les paragraphes précédents, des approches complémentaires ont également vu le jour, notamment en ce qui concerne le «design» de la cellule élecrochimique. A ce titre, des dispositifs basés sur et tirant profit de la

microfluidique ont été rapportés. Les dispositifs de Knowles et coll [57] sont réalisés par

lithographie pour former des canaux microscopiques (Fig 1.12), équipés (au moyen de

la technique microsolide) d’électrodes de travail en alliage de InSnBi disposées au fond du dispositif et d’une cathode en platine scellée. Les volumes de travail sont d’environ 400 nL. Les cellules exoélectrogènes de Synechocystis sp. PCC 6803 sont injectées et laissées sédimenter sur l’anode pour permettre une proximité physique importante avec les

électrodes, indispensable au transfert électronique qui se fait sans médiateur. La puissance

délivrée par ce dispositif atteint des pics de 100 mW.m−2. Dans le cadre d’une stratégie

d’évolution dirigée7, des possibilités de miniaturisation supplémentaires ouvrent la voie à

l’étude de plus petites populations de cellules dans le but de réaliser un dépistage rapide des microorganismes électrochimiquement actifs.