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L’hypothèse du stress-oxydant : cycle redox et activation du dioxygène 159

4.4 Empoisonnement par les quinones

4.4.4 L’hypothèse du stress-oxydant : cycle redox et activation du dioxygène 159

Si la « protein binding theory» permet de rendre compte de la toxicité dans certains cas, elle se révèle insuffisante dans d’autres. Ainsi, la cytotoxicité induite par l’acéta-minophène sur les hépatocytes peut être supprimée par l’ajout d’antioxydants, d’agents anti-radicalaires, de ligands de fer ou de réducteurs de thiols qui restent sans action sur

l’alkylation. De plus la 3,5-(CH3)2-acétominophène se lie peu (aux potentiels nucléophiles)

et se révèle très hépatotoxique alors que la 2,6-(CH3)2-acétaminophène se lie fortement

tout en étant peu hépatotoxique [127]. Ceci suggère donc la présence d’un mécanisme

alternatif qui met en jeu un stress oxydant.

Cette situation de « stress oxydant » a été identifiée à la fin du XIXème où des

tra-vaux ont mis en évidence que l’ajout d’un réducteur (phénylhydrazine) aux érythrocytes (globules rouges ou hématies) provoquait une dénaturation oxydante de l’hémoglobine en pigments verts qui précipitaient. Aujourd’hui il est bien connu que l’hémoglobine catalyse l’oxydation de la phénylhydrazine par l’oxygène ce qui donne naissance à des agents oxy-dants et radicaux qui oxydent l’hémoglobine et les constituants des membranes. Le stress oxydant est aujourd’hui bien identifié et défini comme une situation liée à une produc-tion excessive et non contrôlée d’espèces réactives de l’oxygène et de l’azote. Quand les mécanismes de défense anti-oxydants (permanents ou mis en place suite à un stress) sont débordés par cette production (défaut des défenses anti-oxydantes, inflammation, stress extérieur lié à des sources exogènes -soleil, tabac, alcool etc. . . ), un état de stress oxydant s’installe et conduit par la suite à des pathologies graves (certains cancers, dégénérescences neuronales, diabète, maladies cardio-vasculaires. . . ).

Dans ce contexte, les quinones peuvent être impliquées à travers leur réduction mono-électronique en semiquinones radicalaires. Cela peut se faire sous l’action de la NADPH réductase du cytochrome P-450 par exemple. La plus grande part des semiquinones for-mées sont réoxydées dans les conditions aérobies et peuvent ainsi entreprendre des cycles redox inutiles pour l’organisme en réduisant le dioxygène en présence et former des

Les hydroquinones, produits de réduction biélectroniques des quinones peuvent éga-lement être le processus de formation de l’anion superoxyde. Ce dernier et ses dérivés constituent les ROS (Reactive Oxygen Species). Ainsi, l’anion superoxyde, radical

anio-nique peut ensuite générer du peroxyde d’hydrogène H2O2 par dismutation enzymatique

ou spontanée. Les radicaux superoxydes peuvent conduire soit en présence de traces de

fer soit par réaction avec H2O2 à des radicaux hydroxyles, agents oxydants puissants qui

seraient responsable de la grande partie des dommages encourus par des macromolécules

essentielles lorsque la cytotoxicité oxydante est observée [128]. La séquence des

événe-ments possibles est représentée ci-dessous, des étapes pouvant se produire sans faire appel

au reste de la séquence. BQ désigne la benzoquinone, BQH2 la benzoquinone réduite.

BQ + 2 GSH −−→ BQH2+ GSSG (4.4)

BQH2+ O2 −−→ BQH+ O•−2 + H+ (4.5)

BQ + BQH2 = 2 BQH (4.6)

BQH+ O2 −−→ BQH + O•−2 + H+ (4.7)

Figure 4.14: Schémas de cycles redox catalysés par la quinone. L’astérisque indique une possibilité de réalisation uniquement pour les quinones qui s’autooxydent [129]

4.4.5 Les hépatocytes : des cellules modèles pour l’étude des

mécanismes de cytotoxicité des quinones

Les travaux de S. Orrenius et coll menés sur des hépatocytes de rats isolés illustrent l’effet du stress oxydant induit par les quinones. Il a été ainsi montré que la ménadione

(2-méthyl-1,4-naphtoquinone) causait une respiration résistante au cyanure4, l’oxydation

du GSH et la perte de la viabilité cellulaire. La toxicité est par ailleurs exacerbée par

l’in-activation de la GSH reductase [130]. D’autres chercheurs ont montré que l’adriamycine,

un anticancéreux anthracyclique n’était pas toxique pour les hépatocytes de rats sauf si le

GSH était préalablement éliminé et la glutathione réductase inactivée [131]. Ces travaux

mettant en jeu des études sur les effets de la déplétion du glutathion et de l’inactivation de la glutathione réductase ont donné de fortes preuves sur le rôle vital protecteur de la glutathione lors du stress oxydant. Ainsi les hépatocytes de rats isolés constituent des cellules modèles pour étudier la part qu’a le stress oxydant dans la toxicité induite.

C’est dans cette logique que la cytotoxcité d’une série de benzoquinones substituées

(sur des hépatocytes de rats) a été étudiée (Fig 4.15).Les expériences ont été conduites à

des concentrations cellulaire de 106 cellules/mL. Pour cela, les cellules ont été suspendues

dans un tampon de Krebs-Henseleit contenant 12,5 mM d’Hepes à pH 7,4 dans une

atmosphère à 5% de CO2. La cytotoxicité a alors été définie comme le pourcentage de

cellules laissant entrer le bleu de trypan (solution à 0,16 %) après incubation avec les

quinones. La concentration ED50représente la concentration de quinones nécessaires pour

causer 50 % de cytotoxicité en 2h. La concentration en quinones lors des mesures d’O2 a

été fixée à 100 µM. La prise d’oxygène a été mesurée avec électrode de Clark en présence de KCN pour inhiber la respiration mitochondriale.

L’ordre de la cytotoxicté trouvé en partant du plus toxique est le suivant : chloranil,

2-Br, 2-CH3, 2,6-(CH3)2, 2-5-(CH3)2 et 2,3,5-(CH3)3. Plus le potentiel redox de la quinone

est élevé, plus elle apparaît globalement cytotoxique. La cytotoxicité est aussi corrélée 4. La respiration résistante au cyanure est non mithochondriale puisque chez les animaux l’injection de cyanure bloque le transfert électronique dans la chaîne mitochondriale en inhibant l’activité de la cytochrome oxydase. Néanmoins, des voies alternatives peuvent se mettre en place en mettant en jeu notamment des flavoprotéines oxydases qui réduisent le dioxygène.

Figure 4.15: Bilan comparatif de la cytotoxicité des benzoquinones [128].

au degré de déplétion du GSH due à la formation d’adduits soufre-quinones plutôt qu’à

son oxydation [132] [133] [134]. Ainsi, l’inactivation de la catalase ou de la gluthatione

reductase (qui aident à décomposer H2O2 en H2O et O2) n’a pas augmenté la respiration

résistante au cyanure ni la cytotoxicité de la benzoquinone. D’une manière cohérente, la

duroquinone 2,3,5,6-(CH3)4qui ne forme pas de produits conjugués avec le GSH en raison

d’une faible électrophilie liée à la présence de quatre groupements méthyles, se montre peu cytotoxique même en causant une respiration résistante au cyanure et en oxydant le GSH. La duroquinone est néanmoins 6 fois plus cytotoxique quand la catalase ou la glutathione réductase sont inactivées. Ces résultats suggèrent que le stress oxydant induit par la quinone est l’origine de cytotoxicité si le système de défense cellulaire contre le peroxyde d’hydrogène est rendu dysfonctionnel. La cytotoxicité effective semble liée à l’électrophilie de la quinone (et donc indirectement à son potentiel redox) et à sa capacité à former des adduits avec le GSH ou ses dérivés et à alkyler les groupements thiols protéiques de macromolécules essentielles.

Il est intéressant de comparer ces résultats à ceux obtenus sur des naphtoquinones

dans des conditions similaires (Fig 4.17). Les napthoquinones sont beaucoup plus

cyto-toxiques que les benzoquinones alors même que leur potentiel redox est inférieur. Leur comportement reste toutefois similaire avec la cytotoxicité qui augmente avec leur poten-tiel redox. La cytotoxicité est probablement liée dans ce cas à la fois à la réactivité de la

quinone et ses dérivés et au stress oxydant, en raison de la capacité des naphtoquinones à entreprendre des cycles redox avec le dioxygène.

Figure 4.16: Bilan comparatif de la cytotoxicité des naphtoquinones [128].