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Il n’est pas question de développer de l’IA pour elle-même, comme une fin

en soi, mais justement de canaliser cette

précieuse énergie pour le développement

d’applications, d’usages qui contribuent à

améliorer notre performance économique

ainsi que le bien commun

S’inspirer de ce qui fait la force des programmes DARPA

Les directeurs de programme : ce sont des experts reconnus dans leur domaine, capables d’identifier et de porter les applications et technologies prometteuses. Ils sont indépendants : ils prennent les décisions de façon autonome pour éviter les frictions dues aux chaînes de décisions hiérarchiques et sont nommés sur une durée relativement courte (3 à 5 ans) pour maintenir cette dynamique et cette expertise ;

La prise de risque : par nature, les projets ambitieux techniquement comportent une part importante de risque. Cette prise de risque doit faire partie intégrante de la culture des projets et il ne faut pas avoir peur d’un taux de succès faible de l’ordre de 10 %.

Des cycles courts et dynamiques : les développements se focalisent en priorité sur des preuves de concept ou prototypes qui fonctionnent et au potentiel de marché important. Ils se font dans des délais courts (maximum 5 ans) avec une capacité à démarrer et stopper immédiatement les projets au fil du temps et au gré des succès et des échecs.

Des programmes aux objectifs précis : il s’agit d’être précis sur les objectifs à atteindre en prenant garde de ne pas être prescriptifs sur les technologies aptes à résoudre les problèmes posés.

Le financement : chaque programme est doté d’un budget important et finance plusieurs équipes tout en en maintenant un nombre réduit (3 à 5), et les délais dans lesquels les projets doivent être menés sont réduits.

Pour que ces modalités soient effectives, il faudra être particulièrement vigilant sur trois points : l’acceptation de la prise de risque, la capacité à mettre en œuvre les cycles courts et dynamiques ainsi que le financement. En effet la prise de risque pose problème pour des raisons culturelles : l’argent public doit être dépensé pour répondre à des besoins précis et les résultats doivent être garantis. Il faut donc ici faire un choix politique fort et l’afficher pour le mettre en œuvre.

La capacité à mettre en œuvre les cycles courts est quant à elle souvent freinée par les supports contractuels, cela suppose donc de réformer les procédures de la commande publique (voir les recommandations correspondantes).

Enfin, concernant le financement, il faut accepter de financer plusieurs équipes pour un même projet dans un délai court, ce qui induit un surcoût initial au profit d’une plus grande capacité d’innovation et d’une qualité plus importante du résultat à terme.

Il faut cependant prendre en compte dès l’amont un certain nombre de problématiques transverses (notamment sécurité et éthique), qui ne pourront être intégrées a posteriori. C’est un enseignement issu du monde de la cyber-sécurité : il n’est pas possible d’intégrer la dimension sécurité après coup sans détruire une grande partie de ce qui a été construit. Il y a donc ici un enjeu

important à sensibiliser les chefs de projet et architectes pour s’assurer de la bonne prise en compte dès le début des projets en matière d’IA.

Déterminer et afficher de grands enjeux sectoriels

C’est là un changement fondamental de notre politique industrielle qu’il nous faut insuffler : la structuration du soutien à l’innovation autour de grands enjeux sectoriels, des objectifs ambitieux de stratégie industrielle à long terme, qui dépassent le sujet de l’IA mais contribuent à donner un terrain favorable à son développement. Ces enjeux pourraient être divers et propres à chaque secteur : détection précoce des pathologies, médecine des 4P20, disparition des déserts médicaux, mobilité urbaine à zéro émission…

L’intérêt de cette démarche est triple. Premièrement, ce dispositif laisse aux écosystèmes existants la liberté de se structurer pour proposer des solutions.

L’IA seule ne permettant pas de répondre à ces objectifs, elle devrait y contribuer fortement tout en permettant de catalyser son développement.

Deuxième vertu de ces enjeux larges : ne pas fermer la porte à l’innovation de rupture, qu’elle soit technologique, d’usage ou de modèle d’affaires. Fixer des objectifs trop précis reviendrait en effet à prendre un parti pris technolo-gique qui pourrait devenir obsolète sur le court terme, alors que les grands enjeux ont vocation à afficher une direction valable dans le temps. Il s’agit enfin de donner une direction claire à la politique industrielle, permettant une structuration large des écosystèmes autour d’un projet mobilisateur.

Quelle organisation sectorielle ?

Pour chaque secteur, ces grands enjeux pourraient être déterminés par des comités sectoriels chargés d’en faire la publicité et d’animer leurs écosystèmes.

La constitution de ces comités reste à définir. Ils pourraient néanmoins, dans certains cas, reposer sur des structures existantes mais devront impliquer des représentants des administrations, des métiers concernés, des industriels (startups, PME, ETI et grands groupes) et du milieu de la recherche publique.

Cette diversité a pour but de s’assurer que les objectifs sont à la fois suffi-samment ambitieux, d’intérêt opérationnel et porteurs, tant d’un point de vue technologique, social qu’industriel.

Quel financement ?

Ces enjeux ont vocation à être intégrés dans les dispositifs de soutien à l’innovation classiques, opérés par BPI France21. Ils pourraient être complétés par des dispositifs spécifiques :

– subventions attribuées en flux pour apporter une aide au développe-ment de produits à fort contenu innovant. Le caractère en flux permet d’examiner les projets tout au long de l’année et d’attribuer les aides au fil de l’eau. On pourra notamment s’inspirer du dispositif RAPID (Régime d’APpui à l’Innovation Duale) mis en œuvre par la Direction Générale de l’Armement afin que l’aide soit effective dans un délai de 3 mois à condition que le dossier soit retenu ;

20. Médecine personnalisée, préventive, prédictive, participative

21. On peut citer les financements de projets de R&D collaboratives et les financements de R&D.

– concours dont le modèle a déjà été mis en œuvre22 et opéré par BPIFrance.

Ceux-ci peuvent éventuellement comporter différentes phases pour lesquelles les aides deviennent de plus en plus importantes ;

– investissement en fonds propres à la suite d’un concours propre ou dans une dernière phase d’un concours comme indiqué au point précédent.

La logique de ces dispositifs reste cependant la même dans tous les cas : il s’agit de laisser émerger et d’accélérer des projets innovants en matière d’IA qui contribuent à la réalisation des grands enjeux sectoriels affichés et ne sont donc en aucun cas prescriptifs.

Il faut noter ici qu’une telle structuration n’est pas en mesure, et n’a pas vocation à supplanter les investissements privés. Il s’agit en revanche d’un excellent moyen de constituer une vitrine technologique avec une aide financière. En matière privée, il faut que l’Europe se mette à la hauteur de ses concurrents internationaux et que le venture capital se développe de plus en plus.

Organiser de grands défis articulés avec les enjeux sectoriels

Les grands enjeux de long-terme ne sauraient pour autant se suffire à eux-mêmes.

Il faut penser en parallèle l’émulation de l’écosystème dans la durée, l’émergence et la mise en œuvre de solutions innovantes dans cet intervalle. En complément, il est donc nécessaire de mettre en œuvre des dispositifs pour développer des capacités opérationnelles à horizon plus rapproché (ex. : prévenir les maladies nosocomiales, détecter en temps réel les cyberattaques).

Le soutien à l’innovation sous forme de défis occupe aujourd’hui une place limitée dans l’approche publique du soutien à l’innovation alors que cette méthode a prouvé son efficacité, notamment aux États-Unis avec le modèle de la DARPA précité. Ceux-ci doivent afficher des objectifs clairs, quantita-tifs et opérationnels et, malgré tout, suffisamment ambitieux pour stimuler la capacité d’innovation de l’écosystème avec, à la clé, des récompenses financières importantes. Il est donc proposé d’organiser dans chaque secteur des défis d’innovation, visant à financer le développement de capacités opérationnelles technologiquement ambitieuses sur le court-terme et qui concourront à progresser sur les grands enjeux sectoriels.

S’inspirer de : DARPA Grand Challenge

Cette compétition a été organisée par la DARPA en 2004, 2005 (et 2007 dans un contexte urbain) et avait pour objectif de développer des véhicules terrestres complètement autonomes capables de :

– parcourir le circuit indiqué en moins de 10 heures ;

– utiliser le système de positionnement GPS et éventuellement d’autres signaux civils disponibles ;

– fonctionner de manière complètement autonome sans recevoir aucune commande lors de son parcours ;

– ne percuter aucun un autre véhicule de façon intentionnelle au cours de la compétition.

22. Dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir à raison de 35 M€ et 40 M€ par an respectivement dans le cadre du concours mondial de l’innovation et du concours d’innovation numérique.

À l’issue de ce concours, les 3 premières équipes recevaient des prix respectifs de 2 M$, 1 M$ et 500 000 $.

Les modalités de mise en œuvre de ces défis pourraient prendre des formes différentes en fonction des objectifs, selon la perspective ou non d’achat public. Il est impératif que ces défis impliquent l’ensemble des acteurs, des chercheurs aux industriels pour lesquels c’est d’ailleurs une occasion de créer des liens et des projets communs, facilitant ainsi les transferts de technologie.

Sans perspective d’achat public, il est possible de se limiter à une perspec-tive de R&D ou d’expérimentation auquel cas les récompenses financières pourraient être du type subventions ou marché public dans le cadre de l’exception de R&D. Dans ce cas, les résultats ne seront pas directement réutilisables par la puissance publique.

Avec perspective d’achat public, dans le cas où les résultats ont vocation à être réutilisés par la puissance publique de façon opérationnelle, le défi doit être directement conçu et intégré dans un marché public capable de supporter une phase ultérieure d’opérationnalisation. Le défi serait alors une première phase d’évaluation et de sélection du marché à la suite de laquelle la puissance publique pourrait décider d’en faire l’achat final. Ceci constituerait en soi une motivation et une récompense supplémentaires pour les gagnants du défi avec une perspective directe d’achat à l’issue. Cette modalité permettrait également de répondre à la problématique de parvenir à transférer l’innovation directement dans les milieux opérationnels, ce qui n’est pas permis par les autres modalités sans remise en concurrence.

Dans tous les cas, la mise en œuvre de ces défis nécessitera une implication importante de la part des administrations et de leurs opérateurs dès les phases amont, que ce soit pour l’exécution, l’accompagnement et l’achat dans le cas où une perspective d’achat serait intégrée aux concours. L’organisation de ces défis trouvera également à s’appuyer sur les structures d’innovation lorsqu’elles existent.

Expérimenter des plateformes sectorielles

Une plateforme est un service qui occupe une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, aux contenus, aux services ou biens édités ou fournis par des tiers. C’est un modèle de développement à l’efficacité redoutable, qui fait la force des géants chinois ou américains. Il ne faut donc pas voir derrière ce terme une implémentation physique ou technique mais avant tout une logique fonctionnelle : une plateforme permet à des écosystèmes de se structurer autour des fonctionnalités qu’elle met à leur disposition. Elle doit permettre la conception et le déploiement de produits ou services en lien avec tous ses utilisateurs, publics et privés, dans une logique de création et de répartition de la valeur. Il est ainsi envisageable que demain, les utilisateurs (citoyens, opérationnels des métiers du secteur, industriels…) aient accès à un spectre complet d’applications, du service public jusqu’à des applica-tions privées voire des expérimentaapplica-tions pour la recherche publique. C’est la stratégie que les grandes plateformes ont mise en œuvre. Pour prendre l’exemple des assistants personnels (Google Home, Amazon Alexa…), ceux-ci

mettent à disposition des ressources sur leur cloud, le périphérique installé dans le foyer et l’infrastructure qui permet de faire fonctionner l’ensemble.

Avec des kits de développement disponibles publiquement, des entreprises tierces sont alors en mesure d’expérimenter puis de déployer de nouvelles fonctionnalités sur un marché constitué.

Il y a urgence à adopter ces logiques pour réinventer la collaboration public-privé. Le risque ? Que d’autres s’en chargent. On le constate chaque jour : l’écosystème numérique est marqué par une logique très forte de winner takes all et les positions dominantes semblent de plus en plus difficiles à contester.

Les domaines concernés par l’IA ne font pas exception. C’est pourquoi il revient à la puissance publique d’initier cette logique de plateformisation dans ces différents secteurs, ne serait-ce que pour éviter une aspiration de la valeur par un acteur privé en position de prééminence.

De telles plateformes sectorielles devront permettre aux acteurs de ces écosys-tèmes – industrie, puissance publique, recherche académique, tissu citoyen et associatif – de développer et mettre sur le marché de nouvelles fonctionnalités adaptées aux secteurs en question. En particulier, elles devraient :

– rassembler les données pertinentes pour le secteur et organiser leur captation (objets connectés et capteurs spécifiques) et leur collecte (données existantes) ;

– mettre en place des accès différenciés et sécurisés à des interfaces appli-catives de programmation23 aux acteurs de l’écosystème (chercheurs, entreprises et puissance publique) ou dans certains cas directement à des données ;

– donner accès à des infrastructures de calcul d’ampleur significative comprenant les moyens matériels et logiciels adaptés à l’IA ainsi que les données du secteur ;

– faciliter l’innovation en disposant d’une capacité à expérimenter dans un cadre maîtrisé notamment s’il propose des règles dérogatoires au droit commun ;

– permettre de réaliser dans la continuité et sur un même support le développement, l’expérimentation et le déploiement de produits opéra-tionnels et commerciaux ;

– créer des logiques d’écosystème et de plateforme permettant aux acteurs de passer directement à l’échelle sur des marchés a minima nationaux en leur permettant de déployer leurs applicatifs dans un continuum de services entre le public et le privé.

Certaines conditions doivent être respectées pour garantir le succès d’une telle démarche. La première condition tient à la mise en place d’une logique d’accès différenciés, afin de maîtriser et de sécuriser l’utilisation des appli-cations et données (parfois sensibles) qui y sont hébergées. Cette exigence doit permettre d’articuler un principe de proportionnalité entre la finalité recherchée par la personne qui souhaite accéder à ces ressources et les moyens nécessaires pour l’atteindre.

La seconde condition est celle de l’ouverture et de la transparence. Aussi

23. en anglais Application Programming Interface (API)

des questions d’efficacité et de performance, il est impératif de privilégier autant que possible l’utilisation de technologies ouvertes (« open source » et

« open hardware »), pour ne pas être victime de logiques d’enfermement. La publicité de cette plateforme, des données et des ressources qu’elle contient est un facteur majeur d’adhésion et de mobilisation de l’écosystème considéré.

La dernière condition est celle de la prise en compte des contraintes secto-rielles dans le développement des plateformes, comme par exemple la gestion du consentement dans le cadre de la gestion des données à caractère personnel. Au-delà des questions de conformité, cela doit permettre aux différents acteurs de disposer à terme d’une boîte à outils pré approuvée, et ainsi de les dispenser de développements complémentaires qu’ils auraient dû consentir dans le cas contraire.

Mettre en place des bacs à sable d’innovation

Il est essentiel de fluidifier les parcours d’innovation en IA, particulièrement dans les secteurs prioritaires. Une plainte qui revient régulièrement dans chacun de ces domaines : la lourdeur de la réglementation ainsi que les délais d’instruction des dossiers pour mettre en œuvre ces expérimentations, ceux deux points n’étant pas sans rapport.

C’est pourquoi notre mission recommande de mettre en place des bacs à sable d’innovation, qui s’entendent d’un triple aspect : un allègement, temporaire, de certaines contraintes réglementaires pour laisser le champ libre à l’innovation, un accompagnement des acteurs dans la prise en compte de leurs obligations et – dernier point mais non des moindres – des moyens d’expérimentation en situation réelle. La loi pour une République numérique a fait un premier pas vers cette logique, notamment par les possibilités ouvertes pour l’expérimentation dans les télécoms24.

S’agissant des obligations réglementaires, chaque secteur a des probléma-tiques qui lui sont propres. Il en est ainsi, par exemple, de l’essai de drones dans l’espace aérien, strictement réglementé par l’aviation civile. Du côté technique, l’expérimentation de nouvelles applications peut être soumise à des contraintes opérationnelles

diverses : utilisation de techniques de cryptographie, cloisonnement de bases de données, contraintes d’interconnexion et d’interopérabi-lité, durcissement de dispositifs de collecte…

Pour accélérer le développement

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