• Aucun résultat trouvé

O UVRAGES BILINGUES

1.2. Deux grands problèmes et leur traitement

1.2.1. Syntaxe : statut du second élément

1.2.2.2. La question aspectuelle

Nous pouvons à présent revenir sur la manière dont les "aspectual particles"98 sont traitées dans la littérature. On se souviendra que H. Poutsma (op. cit.) et A. Kennedy (op. cit.) se préoccupaient déjà des propriétés aspectuelles des particules. Le premier estimait qu'elles pouvaient jouer un rôle dans l'expression de l'ingressif, du continuatif et du terminatif (cf. citations supra p. 17), tandis que le second faisait valoir leur importance en tant que marqueurs de perfectivité ou d'intensité (cf. citation supra p. 19-20). Une fonction que leur prêtait également A. Live (op. cit.) puisque, pour cette linguiste qui jugeait que « the role of the particle […] approaches the aspectual » (ibid. : 443), « almost all the particles represent some variant of the intensive or the terminative – or both » (ibid. : 437). Signalons que l'éventail des unités auxquelles sont attribuées ces qualités aspectuelles varie quelque peu d'un ouvrage à l'autre, ce qui n'est guère étonnant dans la mesure où l'inventaire des particules,

98

Nous reprenons pour l'instant le terme utilisé par N. Dehé et al. (op. cit.) et par R. Jackendoff (op. cit.), sans que cela ne préjuge en rien de sa pertinence.

nous l'avons vu, ne fait pas l'unanimité. On remarque, par exemple, que R. Jackendoff (ibid. : 76-80) ne retient à ce titre que away, on, over, through et up, alors que d'autres auteurs font aussi figurer down, off et out en bonne place dans leurs listes d'"aspectual particles". D'aucuns y ajoutent même parfois along et in. Pour ce qui est de la nature exacte des valeurs aspectuelles que sont censées véhiculer ces différentes particules, on observe là encore un certain flottement dans les analyses, même si L. Brinton (cf. op. cit. : 167) est fondée à rejeter la déclaration d’A. Live selon laquelle « these quasi-aspectual features are not consistently matched with particular particles, nor do we find clear-cut contrasts among them » (ibid.). En effet, il apparaît clairement qu'au-delà des divergences terminologiques, deux interprétations dominent.

L'une, la plus ancienne et sans nul doute la plus courante, consiste à voir les particules comme des marqueurs d'aspect perfectif, le propre de ce dernier étant de représenter le procès dans sa totalité. N. Quayle (op. cit. : 63) n'affirme-t-il pas que « la perfectivité est une valeur que l'on peut qualifier d'omniprésente dans la plupart des particules verbales ». L'autre, l'"hypothèse résultative"99, fait de la particule le siège de l'état résultant. Elle n'est guère plus récente puisque H. Poutsma y faisait déjà allusion dans sa Grammar of Late Modern English (ibid. : 301) :

The above adverbs [i.e. out, through and up] may, in a manner, be regarded as denoting a kind of result of the action expressed by the verb with which they are connected.

C'est toutefois chez D. Bolinger (op. cit.) qu'elle a été le plus largement développée pour la première fois, l'auteur constatant pêle-mêle que :

[phrasal verbs] denote an action and at the same time a result. (ibid. : 81) The notion of resultant condition is essential to phrasal verbs. (ibid. : 96)

mais surtout que :

In its core meaning […] the particle must contain two features, one of motion-through- location, the other of terminus or result.100 (ibid. : 85)

Et elle a été reprise par P. Busuttil dans sa thèse (op. cit.), où elle occupe une place non moins centrale, bien que les prémisses soient peut-être légèrement différentes. De fait, l'auteur se

99

L. Brinton (ibid. : 176 sqq.) fait également état d'une "analyse causative" des verbes à particule mais il ne nous a pas semblé utile de nous attarder dessus dans la mesure où, comme le souligne la linguiste, elle s'apparente à l'"hypothèse résultative" et pose sensiblement les mêmes problèmes.

100

déclare convaincu que l'ensemble des verbes complexes qui l'intéressent « procèdent d'une logique résultative » (ibid. : 60).

Cette interprétation de la valeur dite "aspectuelle" des particules, tout comme la précédente d'ailleurs, est pourtant battue en brèche par L. Brinton, qui, nous le verrons, en appuie une autre. Selon elle, il existe de multiples raisons101 de considérer l'"hypothèse résultative" comme problématique, la principale étant qu'une telle lecture du sens des particules n'a qu'une validité limitée. En effet, elle serait restreinte aux énoncés dans lesquels celles-ci prennent un sens "directionnel". A cet égard, il n'est pas anodin que D. Bolinger reconnaisse que (ibid. : 96) :

after something is fixed up it is not up, and after it has been brought about it is not about. Not all phrasal verbs embody something quite so explicit as outright resultant condition.

ni que P. Busuttil concède qu'en cas d'emploi figuré l'aspect résultatif est nettement plus difficile à percevoir (cf. ibid. : 61). Cela ne l'empêche toutefois pas de soutenir qu'il est présent malgré tout102. Il est vrai que chez lui l'"hypothèse résultative" n'est pas défendue pour elle-même, mais en tant que partie prenante du mouvement complexe de genèse des phrasal verbs, comme en atteste la remarque qui suit (ibid. : 212) :

Pour ce qui concerne les assemblages à deuxième terme postposé, le schéma de base est un schéma, à l'origine au moins, résultatif, à partir duquel sont effectuées les diverses opérations mentales qui donnent naissance aux nouvelles lexies (notamment déduction, inférence, extrapolation et métaphorisation).

101

L. Brinton (ibid. : 177) les recense de manière systématique dans la liste que voici :

first, because it does not show the connection between spatial and resultative meanings of the particles; second; because it overemphasizes the resultant-state reading of phrasal verbs; third, because it does not distinguish between goal and attainment of goal; and fourth, because it does not show clearly enough the relation between simple verb and corresponding phrasal verb.

102

Partant des exemples

c) He looked the word up. (ibid. : 60)

e) One gift he was blessed with, he considered, was the ability to see through people, to size them up, see what they really were beneath public pose; an invaluable talent. (ibid. : 61)

Il développe le raisonnement suivant (ibid.) :

Si on cherche un mot dans un dictionnaire, c'est bien parce qu'on ne le connaît pas, si on cherche à évaluer quelqu'un, c'est bien parce qu'on ne sait pas ce qu'il vaut, et si le "héros" de l'exemple (e) a une supériorité par rapport au commun des mortels c'est bien sa faculté d'"aller voir de l'autre côté" des humains. Nous avons affaire, dans chaque cas, au passage d'un état A (ignorance) à un état B (connaissance).

Il a beau nuancer son propos en remarquant que « s'il est aisé de considérer que THROUGH indique un passage, nous convenons qu'il est plus difficile d'expliquer comment UP indique, non pas un passage, mais le résultat d'un passage » (ibid.), le bien-fondé d'une telle explication nous laisse sceptique.

A nos yeux, ce point est cependant loin d'être le plus convaincant de l'argumentation développée par P. Busuttil. A la suite de L. Brinton (ibid. : 181-182), nous sommes donc plutôt encline à penser que la résultativité ne fait pas partie des propriétés intrinsèques des particules, même si celles-ci leur permettent de s'en trouver porteuses, moyennant des conditions d'emploi appropriées103.

En ce qui concerne la première interprétation, qui fait des particules des marqueurs d'aspect perfectif, la linguiste est beaucoup plus catégorique puisqu'elle déclare que « verbal particles do not mark perfective aspect » (ibid. : 168). Ce jugement est parfaitement justifié car l'interprétation en question procède d'un emploi abusif, quoique fort répandu, du terme

perfectif. D'après L. Brinton (ibid. : 167), mais aussi et surtout S. Hancil (2003 : 52), c'est

dans les travaux de l'allemand W. Streitberg104 qu'il trouve sa source. A l'origine, le mot

perfectif appartenait exclusivement à la terminologie slave permettant de caractériser l'aspect

en russe, où il était utilisé pour désigner l'aspect « envisageant une action en tant qu'un tout indivisible » (Hancil, ibid. : 50). En cherchant à transposer cette terminologie, et en particulier l'opposition binaire perfectif/imperfectif, au domaine du gotique, W. Streitberg en est venu à attribuer une fonction perfectivante à certaines des particules de cette langue (cf. Hancil,

ibid. : 52-57) : en effet, il voyait en elles l'équivalent des préverbes du russe qui, par

préfixation à un verbe simple, servent à marquer le perfectif. De nombreux chercheurs ont ensuite repris cette analyse pour l'étendre aux particules de l'anglais (cf. Brinton, ibid.). Ce faisant, accuse S. Hancil (ibid.), W. Streitberg et ses successeurs ont commis une erreur majeure, celle « d’avoir fait de particules à fonction lexicale des particules à fonction grammaticale aspectuelle » (Quivy). On peut supposer que cette méprise est en partie due au fait que l'une des « fonction[s] sémantique[s] spécifique[s] du perfectif » est d'exprimer l'achèvement (cf. Hancil, ibid. : 64). Or, les particules seraient précisément l'un des biais par lequel l'anglais est susceptible d'indiquer qu'une occurrence de procès est achevée (cf. Hancil,

ibid. : 65). Cependant, comme le souligne très justement S. Hancil (ibid.), la ressemblance

n'est, en réalité, qu'apparente, puisqu'en russe on a affaire à une marque de nature morphologique qui est obligatoire, tandis qu'en anglais on a recours à des « moyens lexicaux

103

A cet égard, il ressort de la plupart des travaux qui adhèrent à l'"hypothèse résultative" que :

a resultative interpretation of phrasal verbs is most plausible when the particle is in semantic 'focus' or 'predicative' position, that is, following the object. (Brinton, ibid. : 181)

104

STREITBERG, Wilhelm, 1891 : "Perfective und imperfective Actionsart in Germanischen", in Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur 15, 70-177.

variés » qui sont optionnels (Hancil, ibid.). Il apparaît donc que les particules ne sont, tout au plus, qu'un de ces moyens, parmi d'autres.

La mise au point ainsi opérée par L. Brinton et S. Hancil ne signifie pas qu'il faille écarter totalement l'hypothèse, sous-jacente, que le fonctionnement des particules de l'anglais présente certaines similitudes avec celui des préverbes qui servent à former le perfectif russe. En revanche, la preuve est clairement faite qu'en la matière, on doit absolument éviter de s'acharner à vouloir raisonner par analogie, car cela conduit inévitablement à forcer les particules à entrer dans un moule qui n'est pas façonné à leur mesure. C'est pourquoi nous sommes persuadée qu'il n'y a qu'en s'affranchissant des problématiques classiques que l'on peut espérer parvenir à une explication convenable des similitudes observées. Dans tous les cas, et quelle que soit la perspective que l'on choisit d'adopter, on doit à tout le moins veiller à ne pas tomber dans le piège de la confusion entre aspect et aktionsart, entre "aspect grammatical" et "aspect lexical"105. C'est de cette confusion, fort courante au demeurant, que relèvent tous les commentaires qui font des particules des marqueurs d'aspect perfectif et que dénoncent S. Hancil et L. Brinton.

Selon cette dernière, qui soutient l'idée que la fonction des particules est lexicale (cf.

ibid. : 235), celles-ci sont en fait, pour la plupart106, des « markers of telic aktionsart »107 (ibid. : 168), autrement dit (ibid.) :

They may add the concept of a goal or an endpoint to durative situations which otherwise have no necessary terminus.

Notons au passage la présence de la précision suivante, qui est particulièrement bienvenue (ibid. : 182) :

105

Nous reviendrons sur cette distinction, et sur la problématique de l'aspect en général, un peu plus loin (cf. infra 3.1.1.1).

106

A en croire L. Brinton (ibid. : 169),

The particles which most frequently indicate the endpoint of an action are up, down, out, and off; less frequent are

through, over, and away.

Par ailleurs, elle fait état de ce que (ibid. : 175) :

on, along, and away make aspectual, not aktionsart, distinctions and […] mark continuative/iterative aspect; that is,

they portray a situation which may otherwise have stopped as continuing, or they portray the situation as repeated.

Cette valeur est également mentionnée par N. Dehé et al. (op. cit. : 14). Pour éviter les redondances, nous ne l'évoquerons pas ici mais dans les parties des chapitres 2 et 3 consacrées à away.

107

Signalons que N. Dehé et al. (ibid. : 9) voit, eux aussi, dans la télicité « a feature strongly associated with particles ».

Though the particles contribute the notion of goal or endpoint, they say nothing about the achievement or realization of that goal. It is rather the grammatical aspect of the expression which indicates whether or not the goal has been attained.

La distinction qu'établit là L. Brinton est essentielle car elle permet de comprendre à quoi tiennent les propriétés aspectuelles des particules, leur nature mais aussi leurs limites. De plus, elle jette un jour nouveau sur le rôle des particules dans l'expression de l'achèvement : il devient évident que, si elles peuvent y participer, en aucun cas elles ne sauraient véhiculer cette notion à elles seules. On saisit alors mieux combien il est erroné de les appréhender comme des outils de perfectivation.

Cette clarification est rendue possible par le fait que la réflexion de L. Brinton sur la valeur aspectuelle des particules s'inscrit dans une étude d'une portée plus générale, qui entend prouver que l'on ne peut décrire les différents marqueurs aspectuels de l'anglais de manière satisfaisante qu'à la condition de reconnaître à l'"aspectualité" deux dimensions, l'une grammaticale et l'autre lexicale. Partant de là, l'auteur est en mesure non seulement de réfuter les analyses qui découlent d'un amalgame entre ces deux dimensions, mais aussi de faire la part de ce qui revient réellement à la particule dans le sens aspectuel global d'un énoncé mettant en jeu un phrasal verb. Se dessinent ainsi des régularités quant au rôle joué par les particules suivant le type de verbe auquel elles se trouvent associées, ce qui permet à L. Brinton de montrer qu'elles constituent un "microsystème" cohérent et productif (cf.

ibid. : 58). Certes, on regrettera que l'argumentation de la linguiste s'appuie si largement sur

les catégories de la classification de Z. Vendler (1967), tout comme on pourra déplorer que son approche, compositionnelle, de l'"aspectualité" soit parfois un peu trop simplificatrice. Il n'en demeure pas moins que son travail représente une vraie avancée en matière de traitement de la valeur aspectuelle des particules.